CIG Magazine N°08

ENTRETIEN LES BARÈMES DE COTISATION EN QUESTION PAGES 10-13 ENQUÊTE COMÉDIES MUSICALES : UNE SPÉCIALITÉ JUIVE PAGES 16-17 REPORTAGE CARTE BLANCHE AU NEUROPSYCHIATRE BORIS CYRULNIK PAGES 21-23 L E M AG A Z I NE D E L A COMMUNAU T É I S R A É L I T E D E G E NÈ V E 1 0 2 02 1 - 03 2 02 2 N ° 0 8

Soyez sûr de frapper à la bonne porte Présentes depuis 1886 et leaders en Suisse romande, les sociétés Gerofinance I Régie du Rhône - BARNES figurent parmi les enseignes immobilières pionnières. Tous types de biens et surtout le vôtre. GEROFINANCE | RÉGIE DU RHÔNE : gérance, copropriétés, mises en valeur – gerofinance.ch BARNES : achat, vente, projets neufs, location résidentielle – barnes-suisse.ch

L’ÉDITO UNITÉ ET SOLIDARITÉ L’année 2021 a été ponctuée par une crise sanitaire et économique qui ne semble jamais prendre fin. C’est déjà la deuxième année consécutive où nous nous retrouvons masqués et nous ne pouvons qu’espérer pouvoir nous réunir sans ces précautions le plus rapidement possible. Cette année a encore été marquée par un effort sans précédent de la part de la CIG et de ses collaborateurs. Le soutien indéfectible de notre Service social auprès des plus démunis et des plus délaissés, la prière et l’étude via de nouveaux moyens technologiques, l’éducation de nos enfants dans nos précieux Gan Yéladim et Talmud Torah, jusqu’à, malheureusement, l’accompagnement des familles endeuillées dans ce contexte si particulier – nous avons œuvré pour maintenir un niveau de service de qualité, mais aussi pour moderniser nos actions toujours dans le même objectif : offrir un soutien continu et une infrastructure moderne à nos membres et tous les Juifs de Genève. Sans oublier le GSI et ses gardes qui nous permettent de vivre notre judaïsme en paix. J’en profite pour les remercier chaleureusement. Les axes principaux et les priorités de notre mission nécessitent non seulement un travail sans relâche, mais représentent aussi un coût inexorable. Vous avez reçu en fin d’année une proposition pour un nouveau modèle de cotisation dont le projet sera voté lors de la prochaine Assemblée Générale, pour une entrée en vigueur en 2023. Je vous invite à étudier et à soutenir cette initiative qui permettra non seulement de simplifier le barème actuel, mais aussi d’y apporter plus d’équité et de transparence. Cette évolution devrait aussi permettre d’augmenter considérablement les retombées financières pour notre CIG. Depuis plus de 180 ans, la CIG existe et croît grâce à ses membres et surtout ses généreux donateurs. Ce soutien est indispensable non seulement au bon fonctionnement des dicastères, mais aussi à la survie de nos activités. Il est de la responsabilité de chacun de contribuer à la hauteur de ses moyens à l’effort communautaire et ainsi à la transmission de nos valeurs de génération en génération. Nous faisons appel, une fois de plus, à votre générosité, à votre solidarité et à votre sentiment d’appartenance communautaire pour nous permettre de travailler dans l’intérêt des Juifs de Genève, nos enfants et petits-enfants et tous ceux qui, avec l’aide de D.ieu, feront briller la CIG ces 180 prochaines années et au-delà. Que nous soyons tous inscrits dans le livre de la vie ! Nous espérons de tout cœur nous retrouver, toujours plus unis, toujours plus nombreux et le visage découvert. Au nom de notre Présidente et de son Comité, je vous transmets nos chaleureux vœux de santé et prospérité pour l’année civile 2022. Bonne lecture. Pour le Comité, Eric Roditi SOMMAIRE LES NEWS..........................................5-7 LA CHRONIQUE DU RABBIN Toxicomanie et Halakha. ....................... 8-9 L’ENTRETIEN Scientifique, musicien et… trésorier................................................10-13 LA RENCONTRE Israël a toujours besoin d’aide........... 14-15 L’ENQUÊTE Comédies musicales : une spécialité juive. ............................. 16-17 LE PORTRAIT Gabriel Tamman zl, l’inclassable....... 18-19 LE REPORTAGE Comment un trauma se transmet-il à travers les générations ?. ................ 21-23 L’HISTOIRE Un hommage mérité enfin rendu au Comte de Veyrier. ............................. 24 ÇA S’EST PASSÉ À LA CIG Nos activités. ..................................... 25-27 Nos instantanés................................. 28-29 L’ÉTAT CIVIL. ..................................... 31 LA CUISINE. ..................................... 33 LE TRAIT D’HUMOUR............... 34 Editeur Communauté Israélite de Genève Rédaction en chef Eric Roditi Rédaction Rav Dr. Izhak Dayan Noémi Amatriain Emilie Cailleux Jean Plançon Jennifer Segui Jean-Daniel Sallin Relecture Leila Racordon Conception BuxumLunic www.buxumlunic.ch Photo de couverture Shutterstock Tirage 1500 exemplaires Impression Imprimerie Agescom OC TOBRE 202 1 -MARS 2022 3

VOTRE HÉRITAGE OU DON EN FAVEUR DE LA CIG GRÂCE À UN LEGS OU UN DON, VOUS POUVEZ AIDER LA COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE DEGENÈVEÀSEDÉVELOPPER ET CONTINUER D’OFFRIR LE MEILLEURACCOMPAGNEMENT POUR CHAQUE ÉTAPE DE LA VIE DES GÉNÉRATIONS FUTURES. Tout legs est exonéré d’impôt, la CIG est une association reconnue d’utilité publique CIG - Avenue Dumas, 21 - 1206 Genève - +41 22 317 89 00 - www.comisra.ch REACHING NEW HEIGHTS Gestion de fonds I Gestion d’actifs I Family Office www.bedrockgroup.com REACHING NE HEIGHTS

LES NEWS POUR NE RIEN MANQUER DES ÉVÉNEMENTS DE LA COMMUNAUTÉ 16 & 17.03.2022 08 & 09.04.2022 14-23.04.2022 COLLECTE DE DOCUMENTS, SECONDE ÉDITION Pour la deuxième fois, le Mémorial de la Shoah, à Paris, vient à la rencontre des Juifs de Genève pour organiser une collecte de documents et de témoignages à la Maison Juive Dumas. Photos de familles, lettres, journaux, papiers d’identités, dessins… Cette vaste opération vise à rassembler et préserver autant d’archives privées extrêmement précieuses pour les générations futures. Les documentalistes du Mémorial recevront les intéressés sur rendez-vous de manière individuelle, et les documents seront, au choix, reproduits sur place ou archivés à Paris. Informations et prises de rendez-vous sur notre site Internet CULTURE POURIM: LE PROGRAMME ! Cette année, le jeûne d’Esther commencera le 16 mars à 5 heures 18. Il se poursuivra jusqu’à 19 heures 19, Minha (18h15 à Beth Yaacov et 18h00 à Dumas) suivie de Arvit et lecture de Méguilat Esther à 19h20. Le 17, la lecture se tiendra après cha’hrit, à 7 heures. Nous vous donnons rendez-vous, nous l’espérons nombreux, à la Maison Juive Dumas. Plus d’informations sur comisra.ch CULTE CHABAT HAGADOL DANS NOS SYNAGOGUES Chabat Hagadol dans nos synagogues, sera l’occasion, comme à l’accoutumée, de différents discours. Nous vous invitons à consulter le détail du programme sur notre site Internet ! Rendez-vous sur comisra.ch CULTE FESTIVITÉS DE PESSAH Les célébrations de Pessah débuteront avec le jeûne des premiers nés, entre 5 heures 12 et 21 heures 01 le vendredi 15 avril. Les 2 sedarim auront lieu les 15 et 16 au soir. Rendez-vous sur comisra.ch pour plus d’informations pour les lieux et inscriptions aux sédarims CULTE 10.05.2022 ® MAGALI GIRARDIN ® SHUTTERSTOCK SOIRÉE DE CHANTS Samedi 26 février prochain, le ministre officiant Eric Ackermann et le Grand Rabbin Izhak Dayan vous accueillent sous les ors de la synagogue Beth Yaacov pour une soirée tout en chansons. Messieurs, à vos vocalises ! Inscriptions sur notre site Internet CULTE 26.02.2022 5 OC TOBRE 202 1 -MARS 2022

14 & 19.05.2022 27.03.2021 07-08.03.2022 HILOULLOT & LAG BAOMER Nous vous donnons rendez-vous les 14 et 19 mai prochains en soirée pour les hiloulas de Rabbi Meir Baal Haness et Rabbi Shimon Bar Yo’haï. Le 18 mai au soir, nous célébrerons également le début de Lag Baomer . Plus d’informations sur comisra.ch CULTE UN WEEK-END SPÉCIAL BIBLIO Dimanche 27 mars, la bibliothèque Gérard Nordmann ouvrira ses portes de 10h à 12h30 dans le cadre du BiblioWeekend, organisé par BiblioSuisse. Le thème des festivités ? «Décrocher la lune » ! Nous vous attendons nombreux pour en découvrir davantage ! Plus d’informations à venir CULTURE HA’MACOM SUR LES PLANCHES La troupe Ha’macom remontera sur scène pour jouer L’Atelier, de Jean-Claude Grumberg, au Théâtre de L’Espérance, à partir du 7 mars prochain et pour deux soirées. Pour redécouvrir ce huis-clos classique qui mêle dix destins inégaux face aux traumatismes de la guerre et de la Shoah, prenez vos billets dès maintenant ! Rendez-vous sur comisra.ch CULTURE 04-06.06.2022 LITURGIE DE CHAVOUOT Cette année, la fête de Chavouot se tiendra dès le 4 juin au soir jusqu’au 6. Pour l’occasion, une veillée est organisée à la synagogue de la Maison Juive Dumas dans la nuit du 4 au 5 juin à minuit et demi. Plus d’informations sur comisra.ch CULTE POUR PLUS D’INFORMATIONS, CONSULTEZ NOTRE SITE INTERNET WWW.COMISRA.CH ® SHUTTERSTOCK ® SHUTTERSTOCK ® SHUTTERSTOCK 7 OC TOBRE 202 1 -MARS 2022

LA CHRONIQUE DU RABBIN TOXICOMANIE ET HALAKHA La majorité des personnes qui tombent dans la toxicomanie le font pour des raisons qui dépendent des circonstances de vie dans lesquelles elles se trouvent. Il se peut qu’elles commencent à le faire par curiosité et finissent par devenir accro. Les principales raisons qui conduisent à une consommation de drogues et à une accoutumance sont les suivantes : la curiosité, la prescription médicale de drogues, les pressions de la vie, l’utilisation régulière des drogues qui améliorent le rendement, les mauvaises fréquentations, la pression du groupe et la facilité d’accès. La consommation de drogues est généralement associée aux jeunes, ou aux personnes marginalisées. Cependant, ces substances psychoactives sont consommées par des personnes aux profils très divers et aux âges très variés. Les drogues peuvent avoir différents effets plaisants, excitants et même hallucinogènes. Cependant, leur consommation a également de graves conséquences sur la santé des consommateurs et sur leur fonctionnement social : dérèglements neurochimiques dans le cerveau, altération de l’humeur, problèmes familiaux (relationnels et sociaux), problèmes cardio-vasculaires, affaiblissement du système immunitaire, problèmes respiratoires, conduite anti-sociale, anxiété et insomnie, etc. La surconsommation peut conduire à l’hospitalisation du patient, au coma et même à la mort. L’usage des drogues est devenu un problème social, et a suscité l’intervention des pouvoirs publics afin d’y apporter une solution, car la drogue développerait le sentiment d’immortalité, ferait perdre le goût du travail, ruinerait la santé physique et mentale des personnes, conduirait à la délinquance, causerait l’échec scolaire, détruirait les familles, aggraverait l’insécurité, propagerait les maladies, ferait prospérer la grande criminalité, déstabiliserait des démocraties... Et cette liste n’est qu’indicative. La consommation de drogues, du point de vue halakhique, est strictement interdite. Le Rambam, qui était aussi médecin, rapporte (Hilkhot Dé’ot, ch. 4, 1) : « Puisque le fait de s’assurer que son corps est en bonne santé et sain s’ inscrit dans la volonté de l’Éternel, il est impossible d’accéder à la connaissance des voies de D.ieu quand on est malade, en conséquence, il faut s’éloigner des éléments qui peuvent provoquer la déperdition du corps. » Il est donc évident qu’on a l’obligation de prendre soin de sa personne. À plus forte raison, devra-t-on fuir les conditions qui la mettent en danger ? Le cas le plus courant est l’usage de la drogue qui nuit gravement à la santé. Il y a d’autres arguments pour interdire son usage, rapportés par l’un des grands décisionnaires de notre siècle, Rav Moshé Feinstein zl, dans son ouvrage Igrot Moshé (Yoré Déa, 3, 35). • Le premier est le fait que les drogues affaiblissent et détruisent le corps, même si certaines personnes, en bonne santé, n’en souffrent pas directement. Mais l’impact sur l’esprit est toujours présent, empêchant la réflexion et le bon fonctionnement du cerveau. Concrètement, la personne qui se drogue ne parvient plus à étudier la Torah, à prier et à pratiquer les mitzvot, qui, sans implication de l’esprit, sont considérées comme n’ayant pas été réalisées. • En outre, le fait de tomber dans ce défaut fait terriblement souffrir les parents. Le consommateur de drogue transgresse la mitzva de kiboud av vaém (l’obligation du respect du père et de la mère). • Il faut encore ajouter, toujours selon le Rav Feinstein zl, l’abandon de l’injonction (Vayikra 19, 2), « Kédoshim Tihyou » (soyez saints), visant à ce que la personne restreigne son profit du monde. Pour le Rambam, la sainteté est une discipline où l’homme apprend la sobriété et la modération. Le Rav Moshé Feinstein zl établit un parallèle entre le « ben sorer oumoré », un fils dévoyé et rebelle, dont parle la Torah (Deutéronome XXI, 18 à 21), et la personne droguée. Les infractions dont est accusé le « ben sorer oumoré » sont similaires à celles dont se rend coupable le toxicomane. Tout comme les conséquences néfastes qui pourraient s’abattre sur la société à la suite de son mauvais comportement. Le fils rebelle est qualifié de Zolel véssové (viveur et buveur) : il a volé et mangé en un repas un « tartimar » (mesure de poids) de viande, et bu un « demi-log » (mesure de volume) de vin. Selon Rabbi Yossi Hagualilé (Sanhédrin, 72a), le fils rebelle est gravement sanctionné, car la Torah a pénétré la psychologie d’un tel enfant : il finirait par dilapider le patrimoine de son père, et cherchant en vain à assouvir ses passions comme par le passé (sans y parvenir), il guetterait aux carrefours et volerait les passants (lélastèm et habiryot). En d’autres termes, le caractère excessif de son appétit, par la stimulation exacerbée de son amour de la chair et des boissons, entraînerait le « ben sorer oumoré » à la délinquance. 8 LA CHRONIQUE DU RABBIN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 08

® SHUTTERSTOCK Le verset « Lo tokhlou ’al hadam» (Lévitique XIX, 26) – ne faites point de repas près du sang – est interprété par le Talmud (Sanhédrin, 63a) comme un avertissement au « ben sorer oumoré », à savoir : « ne prenez pas un repas qui conduise au sang ». Maïmonide (Guide des égarés, III, 41) est plus explicite, et dit que le « ben sorer oumoré » est gravement puni à cause de ce qu’il pourra devenir plus tard : un assassin. Il en est de même pour le toxicomane, qui se lancerait dans le brigandage, pour parvenir à payer sa dose de drogue, et risquerait de tuer des personnes pour assouvir ses envies. Notons la différence entre le « ben sorer oumoré » et le toxicomane. Le premier n’a envie que de nourriture permise, alors que le toxicomane est saisi de fortes envies qui ne lui apportent rien de positif. Rappelons que le phénomène d’addiction est mentionné dans le Talmud (Psakhim, 113a), quand Rav disait à son fils Rabbi ’Hya : « Lo Tishté sama, ne prend pas de drogue, car on s’y habitue, et on finit par dépenser de grandes sommes d’argent pour en obtenir (Rachi). » Le Rav Moshé Feinstein zl conclut : « Il est évident et clair que se droguer amène à de graves interdits, et il faut tout faire pour éliminer cette impureté de l’ensemble des enfants d’Israël. » Rav Dr. Izhak Dayan, Grand Rabbin LA PERSONNE QUI SE DROGUE NE PARVIENT PLUS À ÉTUDIER LA TORAH, À PRIER ET À PRATIQUER LES MITZVOT, QUI, SANS IMPLICATION DE L’ESPRIT, SONT CONSIDÉRÉES COMME N’AYANT PAS ÉTÉ RÉALISÉES. 9 OC TOBRE 202 1 -MARS 2022

L’ENTRETIEN SCIENTIFIQUE, MUSICIEN ET… TRÉSORIER Trésorier de la communauté depuis avril 2019, Ron Appel fait partie , aux côtés d’autres membres très impliqués, des artisans de l’un de nos plus importants chantiers du moment. La révision du barème des cotisations, voulue pour consolider durablement nos finances, est prévu pour entrer en vigueur en 2023. Côté cour, ce scientifique, Genevois d’adoption et membre de la CIG depuis plus de 40 ans, est spécialisé dans la bioinformatique, soit l’informatique appliquée aux sciences de la vie, un domaine en pleine expansion dont il codirige l’Institut Suisse entre Genève et Lausanne. Mais si le Professeur connaît par cœur la petite musique des gènes et des protéines, il maîtrise également celle des plus grands compositeurs classiques, dont il se régale en tant qu’auditeur et interprète, grâce à une tessiture de baryton qui lui permet d’exercer ses talents devant le public. Interview avec l’un de nos membres qui sait, malgré son tempérament discret, toujours faire entendre sa voix. Vous êtes trésorier de la CIG depuis avril 2019. Comment êtes-vous arrivé à occuper cette fonction ? Je fais partie du Comité depuis 2018. Et il s’est avéré qu’en 2019, la place s’est libérée et mes collègues du Comité ont considéré que c’était à moi de remplir ce rôle. Même si je suis un scientifique pur et dur, donc très éloigné des questions financières (il rit). En quoi consiste votre rôle ? La CIG est une association. Comme dans toute institution de ce genre, il y a un comité qui gère l’association et un trésorier qui en gère les finances. Mais, ici, c’est un peu particulier dans la mesure où, compte tenu de notre taille, nous fonctionnons plutôt comme une PME, avec quelques quatre-vingts collaborateurs pour un budget d’environ 8 millions de francs. Ainsi, nous avons un Secrétaire Général , Elias Frija, et un Directeur financier, Alon Halfon. Ça n’est donc pas le trésorier qui s’occupe des comptes, mais bien le Directeur financier et son équipe. Mon rôle ici est dès lors un peu particulier. Pour moi, il est de faire le lien entre le Comité qui a des responsabilités stratégiques et le Directeur financier. Le trésorier représente le Comité et supervise les finances et la gestion financière de la communauté. Il est là en soutien du Secrétaire Général et du Directeur financier. Membre actif, membre du Comité, puis trésorier… Depuis quand faites-vous partie de la CIG? Depuis que je suis arrivé à Genève en 1978 pour étudier à l’université. J’ai rejoint la CIG comme étudiant. Je me suis tout de suite engagé dans l’Union des étudiants juifs de Genève et aussi au sein de l’Union des étudiants juifs de Suisse dont j’ai été le vice-président. Pour moi, la participation à la vie communautaire a toujours coulé de source. Pourquoi ? Parce que la partie juive de mon identité a toujours été très importante. D’ailleurs c’est aussi ce qui a influencé mon choix de venir étudier à Genève, le fait de pouvoir intégrer une communauté importante, active, dynamique. Je suis né et j’ai grandi à Bienne, où la communauté était plus restreinte. J’aurais pu étudier à Neuchâtel ou ailleurs, mais j’ai aussi choisi Genève pour cet aspect. Vous parlez d’identité… Que signifie ce mot pour vous ? C’est un mélange entre la foi et la culture. Il y a le côté purement religieux bien sûr, mais aussi le côté culturel avec des valeurs intégrées dès l’enfance. C’est très lié à l’éducation que j’ai reçue et à la volonté de perpétuer ça, de le transmettre également à mes deux enfants. Le fait aussi de faire partie d’une minorité, qui implique que si on s’y identifie, automatiquement on va s’impliquer. Parce ce que ce qui fait la force d’une minorité, c’est justement l’implication de ses membres. Mes parents n’étaient pas pratiquants. Mais ils étaient très traditionnels, très communautaires. Je vous donne un exemple de cet engagement… Mon père n’allait à la synagogue que pour les grandes fêtes, Rosh Hachana, Yom Kippour, Pessah… Il avait une petite fabrique de montres à Bienne dans laquelle il travaillait énormément avec son beau-père et ma mère, même à chabbat. Mais son lieu de travail n’était pas loin de la synagogue et s’il manquait un dixième homme pour pouvoir célébrer l’office, on l’appelait au téléphone et il venait immédiatement. C’était vraiment un devoir communautaire pour lui, pas forcément un acte religieux. Cette identité juive était très présente dans notre vie. A cela s’ajoute l’histoire personnelle de mon père qui, né en Allemagne, a été sauvé par un des derniers Kindertransport qui l’a emmené en Angleterre le 31 août 1939. Vous menez une belle carrière scientifique, et vous avez la foi. Est-ce compatible ? Sans hésiter, absolument. Parmi les scientifiques il y a de tout. Il y a ceux qui pensent que tout est une suite de phénomènes physico-chimiques. Et il y a ceux qui estiment que c’est plus complexe. Je fais partie de ces derniers. On considère parfois que la science est en contradiction avec la religion et la foi en D.ieu. Les créationnistes pensent que le monde a été créé par D.ieu et n’accordent aucun crédit à la théorie de l’Évolution. Pourtant, si on regarde la première page de la Torah, la Création, on a une description parfaite de l’évolution des espèces : on part des plantes, puis arrivent les poissons, les oiseaux, l’homme. Et seulement après l’homme, il y a la femme (Berechit 2,22) ! C’est du professeur Alfred Donath zl, scientifique, médecin et membre distingué de la CIG que j’ai entendu ceci pour la première fois. La Genèse énumère les espèces vivantes de la moins à la plus évoluée… Et il faut noter que la femme est citée en dernier. Je trouve ça très intéressant... Un autre scientifique renommé, Werner Arber, prix Nobel suisse, avait de plus relevé qu’un des principaux mécanisme de l’Évolution est la sélection naturelle : les génomes subissent de nombreuses mutations d’une génération à une autre – on en entend beaucoup parler actuellement par rapport au génome du 10 L’ENTRETIEN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 08

coronavirus –, les variants qui sont le mieux adaptés à leur environnement étant ceux qui se reproduisent le mieux. Si on regarde le texte de Berechit, chaque jour, on explique ce que D.ieu a créé et ça se termine par «D.ieu vit que cela était bien ». Ça correspond exactement à la théorie de l’Évolution. Il a créé quelque chose de neuf chaque jour et il n’a gardé que ce qui était bien. C’est donc tout à fait compatible. Avez-vous toujours été attiré par la science ? Oui, vraiment. Petit, à trois ans, je m’amusais à faire des additions, en suivant ce qu’apprenait ma grande sœur qui avait quatre ans de plus que moi et qui était déjà à l’école. Quand j’allais au tearoom avec ma grandmère, pour me faire patienter, elle écrivait des chiffres sur une feuille et je faisais des additions, je préférais ça aux coloriages. J’ai fait toute ma scolarité à Bienne, jusqu’au gymnase que j’ai terminé en 1978. Ma dernière année de gymnase (de collège ici à Genève), j’avais un professeur de physique qui nous a appris à utiliser son imprimante programmable. Ça a été ma première rencontre avec l’informatique. J’ai tellement adoré ça que j’ai décidé de faire des études d’informatique. Le fonctionnement cérébral de la science est une forme de pensée qui me convient. Donc, vous arrivez à Genève en 1978 pour y faire vos études ? Oui, car il n’y avait qu’à Genève qu’on pouvait étudier cette matière. Mais au départ, j’ai été un peu contrarié dans mes ambitions. Lors de ma dernière année du collège, j’avais été aux portes ouvertes de l’EPFL. Là, on m’avait déconseillé de faire de l’informatique. On me disait que ça ne servait à rien, qu’il fallait choisir un autre domaine comme l’économie, puis se spécialiser en informatique. L’économie ne m’intéressait absolument pas ! Alors, je me suis inscrit en chimie. Et puis, ma matu en poche, je suis parti à Paris trois jours pour accompagner mes parents à une exposition horlogère. Nous avons dîné dans le Sentier. À côté de nous, est-ce vraiment un hasard, il y avait un couple dont l’homme était professeur d’informatique à l’Université de Linz en Autriche. Il m’a convaincu que l’informatique était une science en soi. De retour de Paris, je me suis désinscrit de chimie pour m’inscrire en informatique. Un choix que vous n’avez pas regretté ? Jamais ! J’ai fait un Bachelor puis un Master, et, dans cette période, je me suis lié avec un copain d’étude, Matthieu. Nous avions tous les deux envie de poursuivre par un doctorat dans un domaine utile, en appliquant l’informatique à la médecine. Nous avons eu la chance de tomber sur un jeune médecin des HUG qui commençait un projet de recherche et qui avait besoin d’informaticiens. Donc Matthieu et moi avons, ensemble, fait notre thèse autour de l’informatique appliquée à la recherche biomédicale. C’était de la bioinformatique avant l’heure, appliquée à un domaine qui aujourd’hui s’appelle la protéomique, le protéome étant aux protéines ce que le génome est aux gènes. C’est durant cette période que j’ai commencé à collaborer avec plusieurs personnes entre Genève et Lausanne, c’est là que la bioinformatique a commencé à se développer en Suisse. Nous avons fini notre thèse début 87, puis nous sommes partis faire un postdoc aux États-Unis. J’ai passé une année à Boston à la Harvard School of public Health. Malheureusement, Matthieu a dû rentrer prématurément à Genève, atteint d’un cancer dont il est décédé quelques années plus tard. Pouvez-vous expliquer ce qu’est la bioinformatique ? C’est l’informatique appliquée aux sciences de la vie. La recherche biomédicale est aujourd’hui devenue très dépendante de la science des données. On est très éloigné des biologistes d’antan qui observaient leurs © NICOLAS RIGHETTI / LUNDI 13 11 OC TOBRE 202 1 -MARS 2022

plantes sous leur microscope. L’exemple typique est le séquençage des génomes. Une expérience produit typiquement des pétabytes de données. Sans ordinateurs, impossible d’analyser ça. De nos jours, il n’y a plus de recherche biomédicale sans assistance de l’informatique. C’est un domaine qui s’est énormément développé depuis le début des années 80. En 1998, quand nous avons créé le SIB Institut Suisse de Bioinformatique, nous étions 20 personnes entre Lausanne et Genève. Aujourd’hui, nous comptons plus de 800 scientifiques dans 12 villes de Suisse. C’est une science qui a considérablement évolué et pris de l’importance ? Jusqu’en 2014, la bioinformatique était presque exclusivement utilisée pour la recherche. Depuis, un nouveau chapitre s’est ouvert et la bioinformatique est utilisée pour la médecine et la santé, à travers la médecine personnalisée, ou médecine de précision, les big data générées par les nouvelles technologies d’analyses de laboratoires étant directement utilisées, grâce à la bioinformatique, pour poser un diagnostic et pour le choix des traitements, et aussi pour la médecine prédictive. Avez-vous quelques exemples concrets pour qu’on comprenne mieux ? L’exemple le plus typique est l’utilisation de données génomiques pour le diagnostic précis des diverses formes d’un cancer et pour la détermination du traitement le plus approprié. Par exemple, on sait aujourd’hui qu’il y a une multitude de types de cancer du sein. En analysant le génome de la personne, on peut identifier le type exact de cancer et déterminer la sévérité de la maladie. Un traitement adapté sera ensuite déterminé en fonction de ces données. Inutile d’intervenir chirurgicalement si un traitement médicamenteux est suffisant. A l’inverse, on sait aujourd’hui que pour certains variants, une telle intervention est nécessaire. Je pense à une autre application concrète qui a été développée dans l’institut que je codirige. C’est le test prénatal non invasif. Avant, pour déceler les anomalies chromosomiques du fœtus, on devait procéder à une amniosynthèse, un geste qui représentait un risque pour le fœtus. Or, il a été a constaté que de l’ADN du fœtus se trouve dans le sang de la femme enceinte. Aujourd’hui, à partir d’une simple prise de sang et grâce à un algorithme développé chez nous, on peut analyser l’ADN du fœtus et déceler les éventuelles anomalies chromosomiques, d’une manière non invasive, sans risque et plus précocement. Ainsi, le premier test prénatal non invasif commercialisé en Suisse utilisait un logiciel bioinformatique développé au SIB. Vous êtes à la tête de cet Institut entre Genève et Lausanne, vous êtes très impliqué dans la communauté… Qu’est-ce qu’une journée type de Ron Appel ? En règle générale, ma journée commence par une heure de chant, avant de me consacrer au SIB. Outre la responsabilité stratégique et opérationnelle globale de l’institut, mon rôle est un rôle de supervision et de soutien à nos départements. C’est aussi beaucoup de relations publiques, notamment avec nos institutions partenaires comme les universités, les EPF, ou les autorités fédérales. Et évidemment des centaines d’échanges de mails et de documents. Le tout entrecoupé par de nombreux emails ou échanges Whatsapp avec mes collègues du Comité de la CIG, son Secrétaire Général ou son Directeur financier et de réunions y relatives. Rien qu’aujourd’hui, je viens trois fois à la CIG en moins de 24 heures. Je cours toujours derrière le temps, jusqu’à en oublier parfois d’en consacrer un peu à mes passions… Justement, à ce sujet, vous pratiquez le chant classique en tant que baryton. D’où vient cet amour de la musique ? Je l’ai vraisemblablement hérité de mes parents. Il y avait toujours de la musique à la maison. Mon père écoutait beaucoup de musique classique, beaucoup d’opéra. Il n’était pas musicien mais il aurait probablement pu l’être car il avait de belles dispositions. Sans jamais avoir appris la musique, il était capable de s’assoir à un piano et de jouer, avec ses dix doigts. Enfant, j’ai fait du violoncelle pendant dix ans. J’adorais jouer mais un peu moins travailler… Quand j’étais adolescent, j’avais déjà une jolie voix. Je me souviens que le rabbin de Bienne m’avait enseigné quelques offices que j’ai chantés à la synagogue. Quand je suis venu à Genève, je me suis inscrit au chœur universitaire. J’ai trouvé tellement génial de chanter que je me suis vite inscrit au conservatoire de musique, en classe de chant. Chanter, c’est d’abord un plaisir physique. Il y a bien sûr un plaisir intellectuel si on aime la musique, mais c’est aussi physique car c’est tout le corps qui s’active pour ça. C’est très sportif. Si j’arrête de chanter trois semaines, il me faut trois mois pour retrouver mon niveau. C’est très émotionnel aussi. Quand je suis revenu des USA après mon postdoc, j’ai repris des cours de chant avec une professeure privée. Ce sont vraiment les concerts qui me motivent. Avant la pandémie, je donnais entre deux et sept concerts par année, le plus souvent à Genève mais aussi ailleurs. Avez-vous déjà eu envie d’en faire votre profession ? Je me suis posé la question une seule fois, avant de commencer ma thèse de doctorat. J’ai opté pour l’informatique. Je n’étais pas certain d’avoir le talent nécessaire pour le niveau de chant que je visais. Il y a quelques mois encore, j’aurais imaginé, peut-être, prendre une retraite anticipée pour pouvoir me consacrer à ça. Mais avec la Covid tout cela est devenu très compliqué. L’absence de concerts a entamé ma motivation. J’ai moins de temps aussi et mes responsabilités au sein de la CIG n’y sont pas étrangères. Quels sont vos compositeurs préférés ? J’affectionne particulièrement la musique allemande du 19e au début du 20e, que j’aime autant écouter que chanter… Schubert, Schumann, Mahler… J’ai aussi chanté des Français comme Duparc ou Fauré. Et j’ai la grande chance de pouvoir partager cette pratique avec une excellente pianiste, Diana Bernheim, membre de la CIG. Au niveau de l’opéra j’aime Wagner, Mozart, Strauss, Debussy et bien d’autres encore. Richard Wagner est certainement le compositeur que j’ai le plus écouté et vu. Cette passion pour Wagner me vient de mon père. Il adorait ce compositeur qu’un professeur lui avait fait découvrir à Berlin lorsqu’il était enfant. En dehors du chant, qu’aimez-vous faire ? Avec mon épouse Catherine, nous partageons le goût pour la randonnée et la passion pour la musique comme auditeurs. Nous aimons tous les deux énormément l’opéra et nos trop rares sorties sont pour aller au Grand Théâtre de Genève ou plus rarement plus loin pour des spectacles. Une activité pour laquelle, là aussi, j’aimerais avoir plus de temps. Jennifer Segui 12 L’ENTRETIEN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 08

13 OC TOBRE 202 1 -MARS 2022 LE SYSTÈME QUE NOUS ALLONS METTRE EN CONSULTATION EST PLUS SIMPLE ET PLUS TRANSPARENT, AVEC UN TARIF PAR PERSONNE ET NON PLUS PAR FOYER. LES COUPLES ET LES JEUNES BÉNÉFICIERONT D’UNE RÉDUCTION. LA RÉVISION DES BARÈMES DE COTISATIONS La révision des barèmes de cotisations, qui devrait entrer en vigueur en 2023, et dont le but est de rendre ce barème plus transparent, est l’un grands chantiers actuels de la CIG. Un groupe de travail également constitué d’ Eric Roditi, Elie Bernheim, Philippe Guggenheim, tous membres du Comité et d’Elias Frija, Secrétaire Général de la CIG, travaille de concert à son élaboration. Les explications de Ron Appel. Parmi les préoccupations du trésorier, il y a la volonté de réviser les barèmes de cotisations. Pourquoi ? La CIG est la 2e communauté de Suisse, la 1re de Genève. Nous offrons énormément d’activités : des lieux de culte ashkénaze et séfarade, une crèche et un Gan Yéladim, une école religieuse, le Talmud Torah, le Centre des jeunes, un Oulpan, une bibliothèque, un restaurant et un traiteur casher. Nous organisons de nombreuses activités culturelles, nous avons un Service social qui est très actif pour l’ensemble des Juifs de Genève, et deux cimetières. Ça c’est le côté positif. Nous sommes une communauté très active avec de belles prestations. Nous avons aussi quelques grands projets, comme l’extension du cimetière. Tout cela coûte cher. La plupart de nos activités sont des activités déficitaires. Même si les gens contribuent à certaines d’entre elles, cela ne suffit pas. Les coûts du GAN, par exemple, sont près de trois fois plus élevés que les revenus. Et nous avons pas mal d’activités gratuites qu’il faut financer. S’ajoutent malheureusement à ça des coûts de sécurité qui sont énormes et qui ne font qu’augmenter. On doit se battre en permanence pour l’équilibre de nos comptes. Et nous souhaiterions investir dans certaines activités qui en auraient besoin. Alors, où est le problème ? Aujourd’hui nos statuts précisent que «Chaque membre est tenu de contribuer aux dépenses de la Communauté conformément à ses possibilités » et le système actuel de cotisation est basé sur ces statuts avec 13 catégories de cotisants. Il s’agit d’un barème compliqué, où on paie par foyer, selon 10 catégories, plus 2 catégories pour les jeunes. La catégorie 1 s’élève à 1050 francs par année et la catégorie 10 à 11 900 francs S’ajoute à ça une 13e catégorie pour les membres bienfaiteurs. C’est assez complexe et normalement prévu pour que le montant payé soit en lien avec les moyens financiers. Le problème à Genève, c’est qu’on ne connaît pas les moyens des membres. Le choix du montant de la cotisation se fait ainsi sur la bonne foi. Il y a bien sûr beaucoup de membres qui jouent le jeu, mais la cotisation moyenne par foyer est de 1364 francs, alors que 85% des membres cotisent 1050 francs (la catégorie 1) ou moins. Ce sont nos membres bienfaiteurs les plus généreux qui permettent d’arriver à la cotisation moyenne de 1364 francs. Comment faire pour améliorer le système ? A Zurich, la communauté profite d’un système plus équitable, car la cotisation est perçue directement par l’administration fiscale, selon un pourcentage de la déclaration d’impôts. C’est plus simple, plus transparent. Et si on regarde les chiffres, on constate qu’à Zurich, une personne dont le revenu imposable est 50000 francs, c’est-à-dire quelqu’un qui gagnerait à peine plus de 4000 francs par mois, ce qui est, j’imagine, quand même une proportion non négligeable de nos membres genevois, paye à Zurich l’équivalent de notre catégorie 3, c’est-à-dire 1750 francs, soit nettement plus que la moyenne genevoise. Ce système serait faisable juridiquement à Genève. Mais ce n’est clairement pas dans notre culture. 39% de nos revenus proviennent des cotisations et des dons, dont la moitié des dons, ce qui est trop aléatoire. C’est une situation qui crée trop d’incertitudes pour le budget de la CIG. Le système fonctionne mal. La conséquence, ce sont des trous dans la caisse. Un changement s’impose. C’est quelque chose que d’autres comités avant nous ont essayé de faire. Mais c’est un sujet sensible, parce que certains devront payer un peu plus. J’insiste sur le fait que pour beaucoup cela ne changera rien ; pour certains même, cela baissera un peu. Mais vraiment, pour ceux qui auront une augmentation, elle sera faible. Quel est le modèle retenu ? Le système que nous allons proposer et mettre en consultation dans les prochaines semaines est un système plus transparent, plus simple. Ce sera un tarif par personne, et non plus par foyer, comme dans beaucoup d’autres communautés, y compris genevoises. Les couples bénéficieront d’une réduction (un couple payera moins que deux adultes). Les jeunes auront aussi un tarif réduit. Nous allons maintenir le statut de membre de soutien et de membre bienfaiteur, parce que nos membres les plus généreux sont des piliers importants de la CIG. Dans ce nouveau système, nous avons bien évidemment aussi prévu une solution pour les membres qui n’ont pas les moyens de payer leur cotisation. Si ce système est accepté, nous aurons enfin un système plus simple et plus équitable. Et qui devrait apporter à la communauté une augmentation de revenus à l’horizon 2023. Comment se portent les finances de la CIG? Grâce à la gestion prudente de notre Secrétaire Général et de notre Directeur des finances, nos comptes se sont soldés ces dernières années par un résultat meilleur que celui prévu au budget. Avec une trésorerie positive. Nos comptes sont cependant systématiquement déficitaires. Si nous ne parvenons pas à freiner ça, nous aurons un bilan négatif dans maximum deux ans. C’est une des raisons de plus de lancer cette révision des barèmes. Nous avons pris de nombreuses mesures d’économie ces dernières années. Il est très difficile aujourd’hui d’en prendre davantage.

14 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 08 LA RENCONTRE

LA RENCONTRE ISRAËL A TOUJOURS BESOIN D’AIDE Arrivé à l’âge de 15 ans à Genève pour suivre son père nommé premier directeur israélien au Keren Hayessod Suisse romande, Avy Lugassy est lui aussi fortement engagé pour son pays natal. Après son service militaire en Israël, il est revenu dans la ville du bout du lac pour étudier le droit et a alors rejoint le Young Leadership (branche jeunesse) du Keren Hayessod avant de s’engager dans le comité où il est actif depuis maintenant plus de 30 ans. Rencontre et échanges tachles (ndlr : terme hébreu que l’on pourrait traduire par « franc et direct ») avec Avy Lugassy, président du Keren Hayessod Suisse romande. Qu’est-ce qui, selon vous, distingue particulièrement l’action du Keren Hayessod ? Fondée en 1920 lors du Congrès sioniste de Londres, l’activité première de l’organisation était l’immigration ; il fallait renforcer l’Etat d’Israël et aider nos frères qui vivaient des situations terribles en URSS, en Ethiopie et ailleurs. Nous avons ainsi aidé 3.5 millions de personnes à faire l’Alyah. Puis avec les années, les besoins ont changé ; aujourd’hui on vient aussi en aide aux populations défavorisées et marginalisées d’Israël. Quels ont été les impacts du coronavirus sur la société israélienne ? Et quelle a été l’action du Keren Hayessod ? Malheureusement, à cause de la Covid, la situation des familles défavorisées s’est empirée ; une grande partie de la population israélienne s’est subitement retrouvée en très grande précarité. A ce jour, on compte 2 millions de pauvres en Israël, dont 900000 enfants. Le Keren Hayessod fait le maximum pour les aider : des milliers de paniers-repas et des chèques alimentaires ont été donnés aux personnes âgées et aux familles défavorisées qui ne parvenaient plus à subvenir à leurs besoins de base. Lorsque les écoles étaient fermées, des tablettes électroniques ont été distribuées, afin que les enfants issus de familles en difficulté puissent suivre leur scolarité en ligne. Le Keren Hayessod soutient également des centres pour les jeunes handicapés qui ont des besoins particuliers. Compte tenu des complications que peut entraîner le coronavirus, le Keren Hayessod a fourni des moyens supplémentaires, tel que du matériel respiratoire, afin de limiter, voire d’éviter des hospitalisations pour ces jeunes handicapés. Et enfin, nous avons offert aux hôpitaux israéliens des ventilateurs et de grandes quantités de masques et ce, dès les premiers mois de la pandémie. On se heurte quotidiennement à une douloureuse réalité : les besoins, contrairement aux moyens, sont illimités. Dans ce contexte, comment le Keren Hayessod a-t-il réussi à poursuivre le développement de ses projets ? La situation sanitaire a eu des réels impacts sur les dons, qui ont malheureusement diminué, et cela a retardé l’aide donnée aux projets. Afin d’y remédier, nous avons été actifs en ligne pour organiser des évènements et des financements participatifs. Cela nous a permis d’assurer le financement des projets du Keren Hayessod. Mais l’été dernier, sans compter les difficultés causées par le coronavirus, la population israélienne a dû faire face aux tirs de roquettes de Gaza. Les enfants du sud d’Israël ont été particulièrement affectés psychologiquement. Au vu de ces traumatismes, un financement participatif initialement organisé pour la jeunesse défavorisée a permis, grâce aux donateurs de Suisse romande, de financer également des centaines de thérapies pour ces enfants. Quel est, selon vous, le plus gros défi auquel le Keren Hayessod se trouve confronté ? Il s’agit de convaincre la jeune génération et les jeunes actifs qu’Israël a toujours besoin d’aide. L’époque dans laquelle ils ont grandi n’a pas été rythmée par les différentes guerres que leurs parents ou leurs grands-parents ont connues. Uniquement considérer Israël comme une « start-up nation » et penser que le pays est riche et sans besoins particuliers est une illusion. Israël doit consacrer un budget important à sa sécurité et le gouvernement n’arrive donc malheureusement pas à subvenir à tous les besoins de sa population. C’est en ce sens qu’il est du devoir du Keren Hayessod d’intervenir, et c’est pour cette raison que nous avons développé des centaines de projets à travers tout le pays. Mais sans nos donateurs, il ne nous serait pas possible d’intervenir. Nous espérons réellement que la jeune génération reprendra le flambeau et poursuivra le travail de ses aînés. En plus des galas de charités habituels, quelles actions le Keren Hayessod a-t-il entrepris pour convaincre les jeunes actifs de s’engager pour Israël ? Nous souhaitons être transparents et mettre en lumière tout ce qui a pu être réalisé grâce aux dons. Quel que soit l’âge, si vous séjournez en Israël, nous serions ravis de vous accueillir et de vous faire découvrir nos différents projets qui concernent les enfants, la jeunesse, les personnes âgées ou encore des thèmes comme la coexistence. Nos projets sont implantés dans tout le pays, du nord au sud. Afin de mieux comprendre quels sont les besoins concrets de la population, nous proposons, le temps d’un après-midi, de découvrir les lieux et de rencontrer les personnes qui bénéficient de ces aides. Pour y participer, les personnes intéressées peuvent prendre contact avec notre bureau de Genève. Pour information, le prochain gala de charité du Keren Hayessod aura lieu le jeudi 3 mars 2022, si la situation sanitaire le permet. Bérénice Rietveld ® KEREN HAYESSOD L’ACTIVITÉ PREMIÈRE DU KEREN HAYESSOD ÉTAIT L’IMMIGRATION. MAIS, AVEC LES ANNÉES, LES BESOINS ONT CHANGÉ : AUJOURD’HUI, ON VIENT AUSSI EN AIDE AUX POPULATIONS DÉFAVORISÉES ET MARGINALISÉES D’ISRAËL. 15 OC TOBRE 202 1 -MARS 2022

L’ENQUÊTE COMÉDIES MUSICALES : UNE SPÉCIALITÉ JUIVE ® SHUTTERSTOCK D’Irving Berlin à George Gershwin, plusieurs artistes juifs ont marqué la scène musicale de Broadway de leur empreinte, signant quelques-unes des œuvres les plus mythiques de la culture populaire. Un phénomène qui tient sa source d’un fait historique : l’exode vers les États-Unis pour fuir les pogroms orchestrés par Alexandre III de Russie. Le f ilm est sorti juste avant les fêtes. Steven Spielberg a choisi de livrer sa version « contemporaine » de West Side Story, cette comédie musicale devenue un monument de la culture populaire depuis sa première adaptation cinématographique réalisée par Robert Wise et Jerome Robbins en 1961. On retrouve donc avec une certaine délectation les séquences chorégraphiées, les chansons mythiques telles que Tonight ou America, les affrontements entre les Jets et les Sharks, l’histoire d’amour « impossible » entre Tony et Maria… Présentée en 1957 à Broadway, cette œuvre porte néanmoins la patte d’un duo : le compositeur et chef d’orchestre Bernstein (1918-1990) et l’auteur Stephen Sondheim (1930-2021). Et les deux hommes sont de confession juive. West Side Story n’est pas un cas particulier. La comédie musicale est en effet une spécialité juive. Les plus célèbres, les plus emblématiques, les plus chantées… Toutes ont un dénominateur commun : un artiste juif au moins est à leur origine. Les Misérables, le spectacle inspiré du roman de Victor Hugo, présenté pour la première fois en 1980 à Paris ? Il est signé par Claude-Michel Schönberg et est devenu depuis 2009 la production qui a enregistré le plus grand nombre de spectateurs avec plus de 125 millions de personnes. La vague de comédies musicales qui a emporté la France au début du XXIe siècle (Les Dix Commandements ; Le Roi-Soleil ; Mozart l’opéra-rock ou 1789, les Amants de la Bastille) ? Elle a été provoquée par Dove Attia et Albert Cohen. Ce n’est pas un hasard. Il faut même remonter à la fin du XIXe siècle pour comprendre ce phénomène qui tient sa source d’un fait historique. On rembobine le film? LE RÊVE AMÉRICAIN Dès 1881, le début du règne d’Alexandre III de Russie est marqué par des pogroms en Russie, en Pologne et en Ukraine. Les shtetls sont attaqués et brulés ; la population massacrée. Afin d’échapper à ce génocide orchestré par le tsar, il n’y a pas d’autres alternatives que l’exode et l’Amérique apparaît très vite comme la terre promise. Jusqu’en 1924, plus de 2 millions de Juifs ashkénazes traversent l’Atlantique avec l’espoir d’une vie nouvelle dans la paix et la prospérité. Mais, après avoir franchi les portes d’Ellis Island, la réalité se révèle moins romantique. S’ils sont ouverts légalement aux immigrants, les États-Unis leur restent socialement fermés. À l’heure de l’industrialisation, la communauté juive, rassemblée dans le quartier du Lower East Side, reste une main d’œuvre bon marché qui trime jusqu’à 16 heures par jour dans ce qu’on appelle les « ateliers de la sueur ». Le rêve américain paraît bien loin. Le salut viendra de l’intégration. Et la musique jouera un rôle fondamental dans cette émancipation. Ce sont les enfants de ces immigrés juifs qui montrent la voie à suivre. S’ils font voler les traditions en éclats, préférant le dancing à la synagogue et le hot dog à la viande casher, ils absorbent les différentes influences croisées dans leur quartier et projettent leur vision du rêve américain dans les théâtres et les cinémas, en usant de ces deux clés universelles que sont l’humour et l’émotion. Des artistes comme Fannie Brice, Al Jolson ou Eddie Cantor – qui ont fait leurs classes à l’école de la rue – sont les premiers à séduire les producteurs, proposant un nouveau langage à leur pays d’accueil : celui d’une culture populaire inédite où le vaudeville le dispute à la caricature socio-politique. 16 L’ENQUÊTE LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 08

® SHUTTERSTOCK ® SHUTTERSTOCK CLASSIQUES DE LA SCÈNE « Tous ceux qui ont fait Broadway – les producteurs et les réalisateurs, les acteurs et les décorateurs – étaient juifs », analyse Fabienne Rousso-Lenoir, réalisatrice du documentaire Du Shtetl à Broadway. Née de la fusion de l’opérette viennoise, du folklore yiddish et du jazz, la scène musicale new-yorkaise devient en effet le terrain de prédilection de ces artistes – dont beaucoup américanisent leur nom. Ainsi, Irving Berlin, fils du chantre d’une synagogue en Sibérie (1888-1989), est considéré comme le compositeur le plus populaire des États-Unis : on lui doit des titres comme White Christmas, God Bless America ou Cheek To Cheek. De leur côté, Harold Arlen et Edgar Harburg imaginent pour Le Magicien d’Oz un monde où les chansons tiennent leurs promesses. Un idéal incarné par la légendaire balade Over The Rainbow interprétée par Judy Garland. Cependant, les véritables pères de la comédie musicale restent Jerome Kern (18851945) et George Gershwin (1898-1937). Le premier a composé ce qui est considéré comme « le chef-d’œuvre de la scène américaine » en 1927 : Show Boat. Le deuxième a signé l’opéra folk Porgy and Bess en 1935 et, quatorze ans après sa mort, sa musique a encore servi à faire du film Un Américain à Paris, avec Gene Kelly, un classique du septième art. Des exemples parmi d’autres. Empreintes d’optimisme, ces comédies musicales n’en portent pas moins une dimension sociale : elles racontent le plus souvent le quotidien humble et rustique de personnages ordinaires qui parviennent à conserver leur dignité malgré les aléas de la vie. Elles expriment les difficultés du déracinement et les conflits de génération sans que toute forme d’espoir ne soit écartée. Pour tous ces artistes, la réalité a d’ailleurs fini par se calquer sur la fiction, puisqu’ils ont tous connu la célébrité et le succès et continuent d’inspirer les générations futures. Jean-Daniel Sallin Georges Gershwin (1898-1937) a signé l’opéra folk Porgy and Bess en 1935. Quatorze ans après sa mort, sa musique a encore résonné dans le film Un Américain à Paris. 17 OC TOBRE 202 1 -MARS 2022

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