CIG Magazine N°08

L’ENQUÊTE COMÉDIES MUSICALES : UNE SPÉCIALITÉ JUIVE ® SHUTTERSTOCK D’Irving Berlin à George Gershwin, plusieurs artistes juifs ont marqué la scène musicale de Broadway de leur empreinte, signant quelques-unes des œuvres les plus mythiques de la culture populaire. Un phénomène qui tient sa source d’un fait historique : l’exode vers les États-Unis pour fuir les pogroms orchestrés par Alexandre III de Russie. Le f ilm est sorti juste avant les fêtes. Steven Spielberg a choisi de livrer sa version « contemporaine » de West Side Story, cette comédie musicale devenue un monument de la culture populaire depuis sa première adaptation cinématographique réalisée par Robert Wise et Jerome Robbins en 1961. On retrouve donc avec une certaine délectation les séquences chorégraphiées, les chansons mythiques telles que Tonight ou America, les affrontements entre les Jets et les Sharks, l’histoire d’amour « impossible » entre Tony et Maria… Présentée en 1957 à Broadway, cette œuvre porte néanmoins la patte d’un duo : le compositeur et chef d’orchestre Bernstein (1918-1990) et l’auteur Stephen Sondheim (1930-2021). Et les deux hommes sont de confession juive. West Side Story n’est pas un cas particulier. La comédie musicale est en effet une spécialité juive. Les plus célèbres, les plus emblématiques, les plus chantées… Toutes ont un dénominateur commun : un artiste juif au moins est à leur origine. Les Misérables, le spectacle inspiré du roman de Victor Hugo, présenté pour la première fois en 1980 à Paris ? Il est signé par Claude-Michel Schönberg et est devenu depuis 2009 la production qui a enregistré le plus grand nombre de spectateurs avec plus de 125 millions de personnes. La vague de comédies musicales qui a emporté la France au début du XXIe siècle (Les Dix Commandements ; Le Roi-Soleil ; Mozart l’opéra-rock ou 1789, les Amants de la Bastille) ? Elle a été provoquée par Dove Attia et Albert Cohen. Ce n’est pas un hasard. Il faut même remonter à la fin du XIXe siècle pour comprendre ce phénomène qui tient sa source d’un fait historique. On rembobine le film? LE RÊVE AMÉRICAIN Dès 1881, le début du règne d’Alexandre III de Russie est marqué par des pogroms en Russie, en Pologne et en Ukraine. Les shtetls sont attaqués et brulés ; la population massacrée. Afin d’échapper à ce génocide orchestré par le tsar, il n’y a pas d’autres alternatives que l’exode et l’Amérique apparaît très vite comme la terre promise. Jusqu’en 1924, plus de 2 millions de Juifs ashkénazes traversent l’Atlantique avec l’espoir d’une vie nouvelle dans la paix et la prospérité. Mais, après avoir franchi les portes d’Ellis Island, la réalité se révèle moins romantique. S’ils sont ouverts légalement aux immigrants, les États-Unis leur restent socialement fermés. À l’heure de l’industrialisation, la communauté juive, rassemblée dans le quartier du Lower East Side, reste une main d’œuvre bon marché qui trime jusqu’à 16 heures par jour dans ce qu’on appelle les « ateliers de la sueur ». Le rêve américain paraît bien loin. Le salut viendra de l’intégration. Et la musique jouera un rôle fondamental dans cette émancipation. Ce sont les enfants de ces immigrés juifs qui montrent la voie à suivre. S’ils font voler les traditions en éclats, préférant le dancing à la synagogue et le hot dog à la viande casher, ils absorbent les différentes influences croisées dans leur quartier et projettent leur vision du rêve américain dans les théâtres et les cinémas, en usant de ces deux clés universelles que sont l’humour et l’émotion. Des artistes comme Fannie Brice, Al Jolson ou Eddie Cantor – qui ont fait leurs classes à l’école de la rue – sont les premiers à séduire les producteurs, proposant un nouveau langage à leur pays d’accueil : celui d’une culture populaire inédite où le vaudeville le dispute à la caricature socio-politique. 16 L’ENQUÊTE LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 08

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