CIG Magazine N°08

Le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik a promu le concept de résilience au rang d’art de vivre. Et il sait de quoi il parle… SUR LE VIF LE COVID «À mes yeux, le Covid n’est pas une crise, mais une catastrophe. Après une crise, on se remet à vivre comme avant. Tandis qu’après une catastrophe, on est contraint d’exister différemment. Sommes-nous entrés dans le siècle des virus ? Peut-être. L’être humain n’aura pas d’autres choix que de s’adapter. Le quotidien des écoles et des universités a changé, les conditions de travail avec le développement des technologies numériques sont bouleversées, on voyagera moins, on favorisera les circuits courts en économie… » L’APPARTENANCE « Appartenir à un clan peut être sécurisant. On s’habille de la même façon, on a les mêmes signes, les mêmes codes… Cela permet de vivre ensemble. Mais cela peut aussi se révéler dangereux dans le cas où quelqu’un refuse d’entrer dans ce clan : sa différence peut être vue comme une menace pour le groupe et provoquer de l’agressivité et de la violence à son endroit. » LES CERTITUDES « La démarche scientifique est celle de l’ incertitude : on a une hypothèse, on la soumet au tribunal de la médecine et, si cela ne fonctionne pas, on recommence… Cette démarche nous donne accès à des moments de vérité, mais jamais à la vérité absolue. Or, certains ont besoin de certitudes dans leur vie. Selon moi, les convictions sont des tranquillisants et on sait ce qu’un excès de tranquillisants provoque chez un individu : l’arrêt de la pensée. Or, la pensée paresseuse est forcément totalitaire. Quand quelqu’un vous dit qu’ il détient la vérité, vous aurez tendance à l’élire au nom de vos convictions. Comme on a pu le voir au Brésil, en Turquie ou en Tunisie. D’ailleurs, Hitler, aussi, a été élu démocratiquement. » J.-D. S. ® MICHEL VIROT SÉCURISER LES MÈRES Pour le psychanalyste, il est en tout cas fondamental de briser cette chaîne de transmission. Car elle peut créer des syndromes psycho-traumatiques chez les enfants. «Quand une femme enceinte est stressée, son bébé est stressé, c’est prouvé biologiquement. » Il en veut pour preuve cette vague d’angoisse observée chez les enfants à Bordeaux après les attentats du World Trade Center, à New York, en 2001 : en diffusant les images de l’horreur en continu, les médias ont permis à l’anxiété de se propager comme une traînée de poudre sur l’ensemble du globe. Échapper au syndrome psycho-traumatique nécessite alors de «modifier sa représentation du réel ». Comprendre, chercher, expliquer dans le seul but de sécuriser les futures mères... Après sa naissance, l’enfant doit encore développer un attachement « sécure » – c’est-à-dire qu’il doit se sentir bien même lorsque sa maman est absente. «On observe cependant qu’un tiers des enfants, à l’âge de 10 mois, se sentent insécurisés : ils ont peur des autres, se placent volontairement à distance et, surtout, ont plus de mal à apprendre à parler », fait remarquer Boris Cyrulnik. « Lorsqu’ ils arrivent en maternelle, ils ne possèdent qu’un stock de 200 mots, alors que les enfants sécures en ont un millier. Il y a donc un rapport étroit entre l’affectivité et le développement cérébral. » D’où l’importance de se délester de ses angoisses et de ses traumas pour ne pas contaminer ses descendants… « En plus de la culture, la famille, les rituels, religieux ou laïques, et l’humour, peuvent aussi nous servir à trouver la paix intérieure et à exprimer notre ressenti de manière positive », conclut Boris Cyrulnik. Jean-Daniel Sallin N.B. Boris Cyrulnik a signé la préface du livre de Michel Borzykowski et Ilan Lew, «Objets transmissionnels – Liens familiaux à la Shoah », paru chez Slatkine en 2019. 23 OC TOBRE 202 1 -MARS 2022

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