CIG Magazine N°11

Jeanne Weil, sa mère, a joué un rôle-clé dans l’éducation du jeune Marcel. Quelle place a-t-elle eue dans sa vie ? Jeanne Weil est la figure que nous avons souhaité mettre en avant dans l’exposition «Marcel Proust du côté de la mère » au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ), à Paris. Elle avait épousé le médecin Adrien Proust et il y a une assez forte différence d’âge entre eux. Proust avait une mère très jeune, qui avait à peine plus de 22 ans à sa naissance. C’est un indice de la proximité entre le fils et sa mère. Jeanne Weil était cultivée, elle avait reçu une bonne éducation dans une famille assimilée. Cette dernière avait fait une très rapide intégration et progression dans la société parisienne de l’époque. Son grandpère, ses oncles et tantes exerçaient des responsabilités importantes. Dans l’exposition, nous avons pu montrer les cahiers de citations de Jeanne Weil, notamment celles de Madame de Sévigné, qui se retrouvent dans les lettres échangées entre Proust et sa mère puis dans la Recherche. La correspondance entre les deux a cette grande intimité. Une intimité que l’on retrouve dans cette fameuse scène de l’attente du baiser du soir… Cette scène du début de Combray marque une origine autobiographique intime. Proust l’a de nombreuses fois réécrite. On le voit notamment dans les 75 feuillets d’origine révélés il y a quelques années. Ces premières versions montrent les liens qui unissent le fils à la mère. Il y a aussi la scène du verre cassé, survenue un jour de colère du fils, que cette mère interprète comme le sceau du mariage, autre rite du judaïsme. « Le verre cassé ne sera plus que ce qu’il est au temple – le symbole de l’indissoluble union », adresse Jeanne Weil à son fils dans une lettre datant de 1897. Il y a donc une grande proximité entre eux, et, en même temps, il n’y a jamais d’amour sans haine, violence ou jalousie. Après la mort de sa mère, il y a eu deux ans de deuil de 1905 à 1907. En 1907, c’est là que Proust se remet à écrire. Il a la possibilité d’écrire son roman, ce qui aurait été inconcevable du temps de la vie de sa mère. Il publie la même année, dans le Figaro, un article fondateur de la Recherche sur les sentiments filiaux d’un parricide. Il évoque une connaissance qui s’est donné la mort après avoir assassiné sa mère. Ainsi, on voit cette ambivalence de l’amour-fusion et de la haine. Un peu plus tard, Proust transposera le thème de la profanation de la mère dans la Recherche. Vous vous intéressez aussi à l’arrière-grandpère de Proust, Baruch Weil. Pouvez-vous nous parler de cette personnalité issue d’une grande famille ashkénaze ? Baruch Weil est un grand homme. Venue d’Alsace, la famille Weil s’installe à Fontainebleau dans une fabrique de porcelaine. Nous sommes sous le Directoire, au moment de l’émancipation des Juifs en France. Le père s’occupe de la fabrique, il a appris l’art de la porcelaine en Allemagne. Baruch s’occupe du commerce. Il fait fortune très vite et devient un notable de l’industrie parisienne. Il a un magasin impasse de l’Opéra, l’endroit le plus chic de la capitale. Il est le fournisseur de la Cour et reçoit la Croix de Chevalier de la Légion d’honneur de Charles X. Il est un des membres fondateurs de la société juive parisienne. Il dirige les deux comités les plus importants du Consistoire : les écoles et la bienfaisance. C’est lui qui réunit les fonds pour la construction de la première synagogue de Paris, rue NotreDame-de-Nazareth. Vice-président du Consistoire, il est mort trop tôt, en 1828, pour en avoir été le président. J’ai aussi découvert qu’il était le circonciseur au sein de la communauté parisienne, une fonction déterminante ! Et puis, il a eu 13 enfants de deux mariages successifs. Il est resté une figure vénérable pour ses petits et arrière-petits-enfants. ® AIGAL STUDIO «MON ENQUÊTE VA CONTRE L’IDÉE SUIVANT LAQUELLE IL Y AURAIT DES TRACES DE HONTE OU DE HAINE DE SOI, VOIRE D’ANTISÉMITISME DANS LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU, CE QUE JE N’AI JAMAIS CRU. C’EST UN MALENTENDU ANACHRONIQUE QUE CERTAINS ONT PU FAIRE. » Antoine Compagnon lors de sa conférence à la synagogue Beth-Yaacov. LA RENCONTRE 12 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 1

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