CIG Magazine N°13

L’ÉTAPE GENEVOISE DE HAÏM WEIZMANN, 1899-1904 TEXTE JEAN PLANÇON Né en 1874 à Motyl, en Biélorussie, Haïm Weizmann commence des études de chimie à Berlin et les poursuit à Fribourg en Suisse. En parallèle, il noue les premiers contacts avec le mouvement sioniste. Obtenant son doctorat, il est nommé privat-docent à l’Université de Genève, poste honorifique qui le satisfait, mais qui ne lui permet guère de subvenir à ses besoins. Rapidement, il met cependant au point une invention dans le cadre de ses recherches sur les teintures et dépose un brevet qui est immédiatement acheté par l’I.G.Farben-industrie d’Allemagne, contrat qui lui rapporte six cents marks par mois. Weizmann est aux anges et manifeste sa fierté d’avoir acquis son indépendance matérielle grâce à ses efforts personnels. Sur le moment, il ne songe d’ailleurs pas un instant aux implications de cette collaboration, mais plus tard, il exprimera ce sentiment étrange : «En me souvenant que, moi aussi, comme beaucoup d’ innocents chimistes étrangers, j’ai contribué un peu à la puissance de ce sinistre instrument de l’ambition allemande. » Dans ses mémoires, il relate largement son séjour à Genève au moment où la toute récente Université de Genève connaît un afflux massif d’étudiants dits « orientaux » provenant pour l’essentiel de l’Empire russe. Nombre d’entre eux sont de confession juive et aspirent à des formations qui leur sont interdites dans leur pays d’origine. Weizmann se montre admiratif devant ces jeunes gens « avides d’instruction », mais dont les moyens de subsistance sont si modestes qu’il déclarera : « Ils étaient pauvres comme des rats d’église ! ». Il mettra alors un point d’honneur à aider ces jeunes étudiants, n’hésitant pas à laisser la porte de son appartement ouverte le soir afin d’offrir une hospitalité salvatrice aux plus démunis. C’est dans ces circonstances qu’il fera notamment la connaissance de Zivi Aberson, un personnage étonnant, quelque peu nomade et socialement instable, mais doté d’un esprit politique particulièrement brillant qui fascine Weizmann. Il rencontrera également Martin Buber, qu’il n’apprécie guère au début en raison de son train de vie dispendieux (c’était un des rares étudiants juifs à disposer de moyens de subsistance conséquents), alors que ses coreligionnaires vivaient difficilement comme indiqué précédemment. Cependant, malgré ces excès, Weizmann décèle déjà chez Buber des qualités, qui s’éveillent à peine, mais qui feront de lui un peu plus tard l’un des plus grands philosophes du dialogue. Parmi les étudiants expatriés qu’il côtoie à cette époque, il y a aussi Lénine et Plekhanov, qui préparent avec assiduité leur Révolution russe dans le célèbre café Landolt, bien que Weizmann préfère plus volontiers fréquenter le Jewish Club – un café situé dans la Grand-Rue – où l’on trouve beaucoup d’étudiants juifs russes et qui, accessoirement, sert un déjeuner pour 60 centimes. C’est dans ce lieu qu’il rencontre sa future épouse, Vera Chatzman, une jeune femme très séduisante, calme et timide, originaire de Rostov-sur-le-Don. Bien que plutôt fermée dans un premier temps aux thèses sionistes de son compagnon, elle apportera ensuite un soutien actif à son futur mari en lui apportant notamment une certaine sagesse dans la réflexion. Comme l’indique Weizmann : « Elle m’empêcha souvent de tomber dans les pièges que son jugement calme détectait avant moi. J’étais beaucoup plus aventureux, beaucoup plus superficiel et plus insouciant qu’elle ; il me semble que nous formions ainsi une solide association. » Au Jewish Club, Weizmann a l’habitude aussi d’encadrer un groupe d’étudiants auquel il donne des leçons particulières. Fait qui amuse, ou agace peut-être quelque peu Joseph Wertheimer, Grand Rabbin de Genève, mais aussi professeur à l’Université, qui note en effet que le succès de ces cours est tel que le Jewish Club de Weizmann est presque devenu un « heder » qui rassemble plus de disciples que lui ! Au cours de toute cette période, la participation de Weizmann au mouvement sioniste s’est particulièrement accrue, au point que bientôt il n’arrive plus à consacrer suffisamment de temps à ses travaux scientifiques. Que ce soit à Genève ou à Bâle, Weizmann côtoie en effet aussi les grandes personnalités du mouvement sioniste, à commencer par Théodore Herzl, père fondateur du premier Congrès sioniste mondial en 1897, ainsi qu’Avraham Menahem Mendel Ussishkin, Ahad Ha’am et Vladimir Ze’ev Jabotinsky, des compagnons de route pour lesquels il a tracé quelquefois un portrait critique, mais toujours chargé d’un souvenir émouvant. À la différence des trois derniers, Herzl et Weizmann ont une approche beaucoup plus diplomatique et politique dans laquelle ils s’opposent à une colonisation immédiate de la Palestine, craignant en effet que cela n’entache le projet sioniste aux yeux des grandes puissances, dont l’Empire ottoman. Les congrès qui se succèdent après celui de Bâle sont donc particulièrement houleux tant les approches sont différentes entre ces grands leaders. Herzl et Weizmann, qui ont globalement une ligne de conduite similaire, rentrent pourtant quelquefois en confrontation. Weizmann s’opposera ainsi fermement en 1903 au projet de Herzl de créer un État juif provisoire en Ouganda, qui bénéficie de l’appui de Joseph Chamberlain, secrétaire aux colonies de l’Empire britannique. ® DR L'HISTOIRE L'HISTOIRE 20 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 3

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