CIG Magazine N°13

13 « J’AIME CETTE IDÉE QU’À PARTIR D’UN PROJET COUCHÉ SUR LE PAPIER, ON PUISSE, EN INVESTISSANT UN PEU DE SOI ET DE SON CAPITAL, CRÉER DE LA RICHESSE AUTOUR DE SOI . » OC TOBRE 2023 – JANV I ER 2024 avec des enfants en bas âge – pour imposer l’idée d’une transition dans les habitudes de consommation et pour voir que les choses allaient peut-être changer. Vous parliez de votre grand-père, Raymond Weil... Quelle relation aviez-vous avec lui ? C’est un homme qui, à l’âge de 50 ans, a perdu son emploi, qui a mis tout ce qu’il avait pour lancer sa marque de montres, avec une vision singulière de l’industrie, et qui a bougrement bien réussi, dans un monde compliqué – avec l’invasion des mouvements quartz et la crise pétrolière des années 70, traumatisante pour plus d’un entrepreneur. Et puis, il a toujours rêvé de voler. Il s’est offert son avion et ses premières heures de vol avec ses dividendes. Il était aussi ce monsieur, passionné de vieilles voitures, qui m’emmenait le week-end dans sa vieille Jaguar de 1963 qui sentait le super... Mon père est un homme extraordinaire que j’idolâtre aussi, mais mon grand-père, c’était un dieu de l’entrepreneuriat. Je connais beaucoup d’entrepreneurs qui ont réussi. J’estime aussi avoir réussi à mon niveau : j’ai repris une entreprise (ndlr. Picchiottino en Haute-Savoie) à 800000 euros, elle en pèse 6 millions aujourd’hui. J’ai également vendu une petite marque de montres que j’ai créée (ndlr. 88 Rue du Rhône). Mais je suis encore très loin de lui. Vous avez travaillé pour la marque Raymond Weil pendant six ans en tant que directeur des ventes, avec votre père et votre frère, Elie. C’était un passage obligé dans votre carrière ? Mon grand-père savait vendre : ses passions, sa marque horlogère... Cela a bercé mon enfance. J’ai grandi dans une famille d’entrepreneurs. Mon père a rejoint l’entreprise en 1982. Cette marque, c’était le quatrième enfant de la famille ! Toute ma vie, à tous les repas, on parlait de montres, d’importations, de marchés... Je me souviens de mon frère aîné qui ne dormait pas parce qu’un client suédois n’avait pas payé. C’était naturel pour moi. J’ai eu un cursus médical un peu lourd, souffrant de cancers... Mais c'était un rêve de gosse de travailler pour cette entreprise. Après, le problème d’une entreprise familiale, c’est le népotisme. Mon père l’a bien anticipé et il a tranché : il fallait qu’il n’y ait qu’un seul patron. Mon frère a été nommé CEO et moi, j’ai vaqué à d’autres activités. Où en est la marque aujourd’hui ? Mieux que jamais ! Elle est toujours en mains familiales, nous n’avons pas cédé aux chants des sirènes. C’est une belle PME genevoise, qui a près de 150 collaborateurs à travers le monde, qui produit des montres de qualité et qui continue de croître malgré la concurrence des grands groupes. Les réseaux sociaux sont une magnifique opportunité : ça permet de faire passer son message, en contournant la cherté du média traditionnel. Et, pour la première fois de l’histoire, Raymond Weil avait une montre primée au Grand Prix d’Horlogerie de Genève dont elle a remporté le prix Challenge qui récompense les montres de moins de 2000 francs. Je suis très fier de mon frère pour ce succès. Mais l’horlogerie reste importante pour vous, puisque vous avez créé deux marques depuis votre départ de Raymond Weil... C’est dans mon ADN, c’est comme aller à la Migros ou à la Coop. En quittant Raymond Weil, j’ai en effet créé 88 Rue du Rhône. La marque se développait très bien, cela faisait dix ans que je l’opérais, lorsque le Covid est arrivé. J’avais alors un énorme client chinois que j’ai eu la chance de signer : cela a tellement bien marché qu’il a très vite représenté 50% de mon chiffre d’affaires. Un jour, en pleine période de Covid, ce client s’est inquiété de savoir comment j’allais m’en sortir. Et, en 2021, il m’a fait une offre que je n’ai pas pu refuser. J’étais à mon compte depuis dix ans, j’ai trois enfants, je tiens à rester complètement indépendant... Ensuite, j’ai voulu lancer une autre marque de montres : 26 Spirits of Switzerland. C’est là que Serge Dal Busco m’a appelé : il s’est avéré que je ne pouvais pas m’occuper de l’aéroport d’un côté, avoir 63 collaborateurs de l’autre, et, en même temps, lancer une nouvelle marque. À l’issue de ce conseil d’administration, je pense que je continuerai dans la gestion du changement, la gouvernance et la stratégie d’entreprise et le mandat d’administrateur. J’ai acquis une telle expérience ici que je vais continuer à capitaliser dessus. La montre, oui, mais pas au point d’en refaire mon métier. Quelles sont vos valeurs en tant qu’entrepreneur ? La création d’emplois. Je suis fier de la centaine d’emplois que j’ai créés depuis que j’ai commencé. J’aime cette idée qu’à partir d’un projet couché sur le papier, on puisse, en investissant un peu de soi et de son capital, créer de la richesse autour de soi. Je suis dans le bâtiment, en Haute-Savoie – un véritable eldorado, tant le département est riche. Parmi mes 63 collaborateurs, j’ai une dizaine de dépanneurs qui affrontent tous les jours la misère. Selon le cas de figure, même si je sens qu’on ne sera pas payé, on y va quand même. Cela ne nous coûte pas grand-chose. Qu’est-ce qui fait un bon entrepreneur ? Savoir mesurer le risque. Il faut avoir confiance en soi. Avoir envie de créer cette valeur ajoutée. Il faut surtout avoir les épaules solides. Dans une entreprise qui se développe, il ne faut pas croire que les banques prêtent pour la trésorerie. En France, ça n’arrive jamais ! Il y a des moments de solitude, le 20 du mois, quand j’ai besoin de trois camions ou de trois personnes supplémentaires pour faire un chantier et qu’il faut investir en tirant sur la trésorerie... Personne ne voit la souffrance de l’entrepreneur à ce moment-là. Quel est votre lien avec la communauté juive de Genève ? Ma famille est de confession israélite. À cause de la maladie, j’ai passé une dizaine d’années dans les hôpitaux, j’ai fait beaucoup de soins intensifs et j’ai vu beaucoup d’enfants en attente de foie, de poumons, de cœur – des organes qui ne sont jamais venus. Alors, cela a eu un impact sur ma vie ! Je m'estime Juif de culture, fort de cet héritage, de ce combat pour vivre, d’avoir le droit d’être. Lorsque j’ai rencontré l’amour de ma vie, une Brésilienne catholique, avec laquelle je partageais les mêmes valeurs, je me suis dit que ça me convenait aussi. Je me sens néanmoins d’identité et de tradition juive et je souhaite participer à la vie de la communauté à la hauteur de mes capacités. ® AIGAL STUDIO

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