CIG Magazine N°11

nière exclu ou exempté des lois rabbiniques. Dès lors qu’il était clair en termes scientifiques qu’il était question d’une erreur et qu’il était tout à fait envisageable d’allier une perte d’audition à une acuité intellectuelle, la littérature halakhique a intégré cette donnée afin d’introduire une norme d’égalité. Concernant les non-voyants, le Talmud mentionne plusieurs maîtres, comme Rav Yossef ou encore Rav Sheshet (Baba Kama 87a) qui, bien que touchés de cécité, n’en étaient pas pour autant moins lucides ni capables d’assumer des fonctions de leadership. Un débat contemporain bien connu dans la littérature des Responsa concerne l’accompagnement d’un malvoyant par son chien à l’intérieur de la synagogue. Un des grands maîtres américains du XXe, le Rav Moché Feinstein (Igrot Moshé O.H. I, 45) est bien conscient de l’enjeu d’intégration et d’appartenance à la communauté qui se cache derrière la question juridique. C’est la raison pour laquelle il considère qu’il est du devoir de chacun de se mobiliser afin de lui octroyer une place au sein de la synagogue. Son interlocuteur, le Rav Yaakov Breich (Helkat Yaakov O.H. 34) s’opposera à ce dernier en se focalisant sur le statut problématique du chien et en considérant qu’il est peut-être nécessaire de demander l’aide d’une tierce personne afin de faciliter l’accès à la synagogue. Son texte insiste moins sur la nécessité d’autonomie tant souhaitée par toute personne, qui in fine reflète la volonté de conserver une dignité minimale. Un autre sujet évoqué dans la littérature des Responsa concerne la montée à la Torah d’un non-voyant ou d’une personne muette. Sur ce point également nous sommes en présence d’une discussion entre deux maîtres, Rabbi Yossef Karo et Rabbi Moshé Isserles (Choulkhan Aroukh O.H. 123, 3). Dans une étude halakhique contemporaine, le Rav Yossef Tzvi Rimon insiste pour sa part sur l’importance de l’accessibilité aux lieux lorsqu’il s’agit de synagogues afin justement qu’une personne en chaise roulante ou en difficulté motrice puisse accéder au rouleau de la Torah et puisse être appelée comme tout autre fidèle. Il serait ainsi possible d’énumérer de nombreux cas mentionnés dans la littérature des Responsa présentant des questions d’ordre technique concernant les personnes malentendantes, en difficulté de déplacement, non-voyantes ou toute autre difficulté physique. Nous retrouvons d’une façon transversale des arguments visant à l’intégration aux cérémonies et à la communauté face à d’autres arguments plus formalistes qui dénotent un souci du détail. Il semblerait même possible, dans le cadre d’une étude qui nécessite un plus ample développement, de classifier les décisions halakhiques en fonction de la pensée formaliste ou téléologiste. Chaque sujet nécessite bien évidemment un développement particulier, mais il semble que nos communautés doivent apprécier et inclure la norme de l’intégration. À ce propos, un exemple remarquable de relecture halakhique s’incarne en la personne du rabbin israélien Shaoul Inbari. Ce dernier, lui-même touché depuis sa naissance de paralysie cérébrale, s’est penché, après de nombreuses années de détresse émotionnelle et théologique, sur l’étude des textes de la loi juive afin de trouver dans ces derniers une réponse à sa situation. Pour lui, nulle question d’accepter l’exemption juridique de la loi lors d’une incapacité motrice à l’accomplir. Bien qu’il ne soit pas soumis à l’obligation d’allumer les bougies de Hanouca puisqu’incapable de tenir une bougie entre ses doigts, il décide pourtant de se faire construire une Hanoukkia électrique qu’il allume d’un coup de main. Bien qu’exempté de la montée à la Torah du fait d’une difficulté d’expression et partant d’une incompréhension de la récitation de la bénédiction par la communauté, il cherche pourtant des solutions en considérant le langage des signes comme un langage parmi d’autres et trouve une solution afin que toute personne atteinte de difficulté de langage puisse monter à la Torah. Son projet va aboutir à la rédaction d’un livre de Responsa (Neguishout Lamakom – qui traduit l’accessibilité au lieu mais également à D.ieu) qui tend à redorer le blason du handicap en terrain halakhique. D’ailleurs, il ne se suffira pas d’une relecture des textes mais il cherchera à résoudre les difficultés de rencontres et de mariage au sein des populations touchées d’un handicap. Il va ainsi monter une association dont le but sera de favoriser la rencontre, les échanges et enfin le mariage. Les rabbins contemporains, dans une démarche tout à fait audacieuse et remarquable, se sont également questionnés sur le statut du trouble mental. Qu’en est-il de la phobie, de la dépression, des T.O.C, de la psychose ou encore des troubles d’alimentation ? En quelle mesure les rabbins, lorsqu’ils sont questionnés, prennent en considération ces affects qui selon certains nécessitent une halakha personnalisée? Le rabbin confronté à ces questions se doit d’être conscient des troubles mentaux et de leur implication. Afin d’illustrer ce propos, imaginons une personne atteinte d’anorexie questionnant le rabbin sur son obligation à jeûner pour l’un des jeûnes de l’année juive. Le rabbin non-averti considérera l’obligation du jeûne ou son exemption sur la base de considération médicale physique. Or, l’anorexique en situation de jeûne pourrait justement retrouver à travers cette pratique la voie de la chute au plus profond de sa maladie. Comment considérer encore l’obligation d’une femme mariée à se tremper dans le mikwé (bain rituel) si cette dernière a une phobie concernant l’eau ? Une association contemporaine Magueley Nefesh vient justement proposer une réponse à ces questions nouvelles mettant ainsi en avant le caractère novateur et adaptatif de la réflexion halakhique. Nos valeurs se vérifient non pas dans le credo de l’abstraction mais dans l’engagement pratique, concret et quotidien. Conscient de la particularité de chaque individu et du fait que tous et toutes sommes confrontés à des difficultés d’ordre physique, mental ou psychique, la stigmatisation du handicap physique peut être perçue comme une aberration ou même une échappatoire. Notre communauté respectueuse de la dignité humaine se doit d’être exemplaire dans le respect de la dignité et l’ouverture de nos lieux de culte à tous et toutes dans un souci de justice, et pas uniquement de compassion. CONSCIENT DE LA PARTICULARITÉ DE CHAQUE INDIVIDU, LA STIGMATISATION DU HANDICAP PHYSIQUE PEUT ÊTRE PERÇUE COMME UNE ABERRATION OU MÊME UNE ÉCHAPPATOIRE. 9 JANV I ER-MARS 2023

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