CIG Magazine N°11

CHACUN D’ENTRE NOUS EST CONFRONTÉ À SES DIFFICULTÉS LE HANDICAP DANS LA TRADITION JUIVE TEXTE MIKHAËL BENADMON «Une communauté, disait Léon Ashkénazi, se doit d’être anonyme et unanime. » Elle est unanime dans le sens de l’acceptation absolue et sans condition de toutes les personnes adhérant à son credo. Tout le monde doit trouver sa place. Elle est anonyme du fait du droit à l’identité privée et personnelle de chaque individu. Personne n’a besoin de rendre compte de ses choix personnels de vie. Dans ces quelques lignes, nous souhaitons réfléchir à la place du handicap physique et mental dans notre tradition et au sein de notre communauté. En premier lieu, nous proposons de poser un regard sur certaines sources bibliques, talmudiques et halakhiques et de formuler certains principes sur la base de quelques cas d’école. Nous évoquerons ensuite un parcours de vie exceptionnel, source d’inspiration, qui laisse admiratif et, dans une certaine mesure, encourage au changement de mentalité. Plusieurs questions se posent : quelle est la prédisposition fondamentale que le judaïsme préconise face au handicap ? Estil question de compassion, de pitié ou au contraire parle-t-on d’égalité, de justice et de droit ? La tradition juive établit-elle une grille hiérarchique de lecture qui classifie les êtres en fonction de leur condition physique et selon laquelle le handicap exerce une fonction de différenciation? Ou alors la ligne de démarcation n’est pas liée au handicap mais au concept de diversité et de différence anthropologique : chaque être est différent et porteur d’une singularité qui ne se mesure pas en terme de handicap mais d’individualité. Une autre interrogation concerne la littérature halakhique : que se passe-t-il lorsqu’il y a un conflit de valeur entre une norme halakhique et une norme morale ? Les décisionnaires prennent-ils en considération la situation de l’individu et en cela refusent de travailler avec des généralités et des règles communes appliquées à tous et à toutes, ou alors la règle reste la règle et il n’existe aucune dérogation ? Enfin, comment la tradition appréhende-t-elle le trouble mental ? A-t-elle développé des critères, des normes, des réflexions pertinentes qui permettent de gérer la difficulté et le mal-être dans une perspective halakhique et humaine ? Une grande littérature a été consacrée à ces sujets et nous ne tendons pas à l’exhaustivité dans le cadre de ces quelques lignes. Mon objectif est d’éveiller l’attention de nos coreligionnaires à ces problématiques. Le refus de l’exclusion trouve ses sources dans l’idée biblique selon laquelle l’homme est créé à l’image de D.ieu. Cette idée confère une dignité à toute personne quelle que soit sa situation physique ou mentale. Les commentateurs médiévaux ont tenté de définir d’une façon plus exacte cette image de D.ieu en l’homme et certains évoquent l’idée du choix, de la créativité, de la maîtrise de la nature, ou encore de la capacité à faire don de soi. Mais ces commentaires n’ont aucune incidence halakhique, c’està-dire n’ont pas force de loi et ne peuvent en aucun cas être perçus comme une base d’exclusion. À plusieurs reprises, le texte biblique évoque des personnes touchées d’un handicap comme faisant partie intégrante du peuple, les incluant ainsi sans aucune différence au sein de la communauté d’Israël (Jérémie 31, 57). En Lévitique 19, 14, nous lisons l’injonction de ne pas maudire le malentendant et de ne point poser un obstacle devant un non-voyant car, dit le texte, « tu craindras l’Eternel ton D.ieu ». Une sensibilité particulière est donc requise lorsqu’il s’agit de personnes qui pourraient être perçues comme amoindries ou en situation d’exclusion. Il est difficile d’établir une liste de principes ou de règles juridiques qui gèrent la relation de la tradition talmudique envers le handicap. Il semblerait que différentes voix, inclusives ou exclusives, se côtoient dans cette littérature. À partir du XVIIIe siècle, un changement radical apparaît. En effet, tant les développements scientifiques que la perception du handicap amènent à une relecture du statut du handicap dans la littérature halakhique. Le malentendant, celui qui ne parle ni n’entend, était perçu dans les temps anciens comme frappé d’une lacune cognitive et était de quelque maLA CHRONIQUE DU RABBIN LA CHRONIQUE DU RABBIN 8 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 1

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