CIG Magazine N°10

LA RENCONTRE « TOUT EST PARTI D’UN ALBUM DE PHOTOS DE MA GRAND-MÈRE… » À 24 ans, Clara Benador vient de publier son premier roman chez Gallimard : « Les petites amoureuses ». Ce livre est inspiré de la vie de sa grand-mère, contrainte de fuir la France en 1941 pour se réfugier au Maroc avec toute sa famille. Elle a un visage de poupée. Des yeux très expressifs. Et des cheveux turbulents qu’elle tente de dompter en les tirant en chignon. À 24 ans, Clara Benador signe son premier roman : Les petites amoureuses. Un récit qui suit les péripéties de Lola, une jeune fille de 12 ans, qui « s’échappe de sa famille pour trouver un peu de liberté » dans les rues animées de Casablanca. Elle y rencontre Shéhérazade, une adolescente marocaine, avec laquelle elle noue une intense relation… Ce livre est inspiré en partie de la vie de sa grand-mère, laquelle a dû fuir la France avec sa famille en 1941 pour échapper aux persécutions contre les Juifs. Invitée par la Communauté Israélite de Genève à participer à ses rencontres littéraires « T’es livre ce soir ? », la Genevoise a pris un plaisir certain à partager la genèse de cette œuvre. Vous êtes revenue à Genève avec votre premier roman sous le bras. Quel sentiment vous habite aujourd’hui ? J’ai grandi ici, j’ai passé ma maturité au collège de Candolle. Alors, j’ai eu un peu l’impression de retrouver ma condition d’étudiante. Je suis partie très tôt, à l’âge de 18 ans, pour faire un tour du monde toute seule. J’avais besoin de quitter la Suisse pour découvrir ce que pouvait être la vie ailleurs. On est tellement protégé ici. Et j’avais cette image de moi-même, à 80 ans, ouvrant les yeux et me disant que je n’avais rien fait de ma vie. (rires) Cela a été le déclencheur de tout. Après ce tour du monde, vous avez eu besoin de poser vos valises à Paris. Pourquoi ? J’ai visité pas mal de pays anglophones. À l’époque, j’essayais d’être mannequin, ça ne marchait pas très bien : j’avais les cheveux trop longs, j’étais trop petite… Mais je trouvais toujours une excuse pour poursuivre mon voyage. Lorsque je suis arrivée à Paris, le confort de la langue française m’a convaincue dans l’idée de rester. Je pouvais à nouveau communiquer. Je venais de passer une année si solitaire… Sans en être consciente, je ne ressentais pas l’envie ou le besoin d’avoir des relations mêmes amicales. J’étais partie pour découvrir le monde et, en fait, je me suis découverte moi-même. Et ce n’était pas très joyeux ! C’est à ce moment-là que vous avez eu envie d’écrire ? Je n’ai jamais eu cette ambition-là. À Paris, je ne savais pas encore sur quel chemin m’engager. J’ai exploré plusieurs voies comme le dessin, la photographie ou la poésie. Mais j’ai toujours écrit pour moi. Pendant mon voyage, j’ai d’ailleurs tenu un journal sur mon ordinateur. Les mots – et le silence – étaient à mes yeux le moyen le plus simple pour me défouler. J’ai toujours eu de la peine à exprimer mes émotions. L’ordinateur me le permettait. Mais ce texte est totalement illisible, il ressemble au journal d’une adolescente qui se plaint de sa solitude. Vous vous êtes inspirée de l’histoire de votre grand-mère pour écrire ce roman. Pourquoi ? Tout est parti d’un album de photos que ma grand-mère a offert à chacun de ses petits-enfants. J’ai été interpelée par l’une d’entre elles en particulier, où on la découvre à 12 ans, devant des rosiers, dans cette villa d’Estressin qu’elle a dû quitter pour se retrouver à Casablanca. D’un côté, je me demandais comment un enfant a pu vivre un tel déchirement ; de l’autre, j’avais face à moi – ma grand-mère vit toujours, à Cologny – la personne la plus lumineuse qui soit, avec ce sourire et cette curiosité d’enfant, toujours encline à être heureuse, alors que moi, je trimballais mon pauvre malheur au fil de cette année sabbatique… Ma démarche a consisté à me mettre à sa place pour essayer de comprendre. Je suis d’abord restée très proche de son histoire, mais j’ai très vite ressenti le besoin de m’en éloigner pour gagner en liberté narrative. C’est là que j’ai vraiment ressenti, pour la première fois, cette sensation de pouvoir animer des êtres et de créer. Comment avez-vous amené votre grandmère à se confier : vous l’avez bombardée de questions ? Ma grand-mère raconte volontiers, mais jamais spontanément. J’avais un autre souci avec elle : elle avait souvent le réflexe de tout rendre un peu plus beau, peut-être par mesure de protection. Lorsqu’elle me parlait de ce cargo qui l’emmenait au Maroc, elle évoquait la cambuse avec ce four à pains dont les odeurs ont fini par la dégoûter de manger du pain. Mais, en interrogeant l’un de ses frères jumeaux, j’ai compris que cette traversée était plus atroce qu’elle ne le disait. Il y a eu une épidémie d’anthrax à bord, par exemple… Leur chance était d’avoir pu rester en famille, c’est même ce qui les a certainement sauvés. Vous avez 24 ans. Comment abordez-vous justement ce sujet de la transmission avec cette période de la Seconde Guerre mondiale qui a marqué plusieurs générations de Juifs? J’ai le sentiment que mes parents portent plus la douleur et le traumatisme de cette guerre. Ma génération a plus de recul. Une image m’est venue pour décrire cette situation : celle de l’explosion. Quand une bombe explose, vous avez les premières victimes qui se trouvent au cœur de l’impact et sont touchées dans leur chair. Puis, les débris se projettent alentours, blessant les personnes plus éloignées – la deuxième génération. Enfin, il y a ce souffle qui enLE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 10 18 LA RENCONTRE

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