CIG Magazine N°10

® COLLECTION BIBLIOTHÈQUE DE GENÈVE ® COLLECTION BIBLIOTHÈQUE DE GENÈVE ® COLLECTION PRIVÉE LIBERTÉ DES CULTES RESTREINTES De fait, il faudra attendre la Révolution radicale de James Fazy en 1846, pour espérer relancer cet épineux dossier. C’est la mise en place de nouveaux idéaux (enseignement gratuit et laïque, liberté des cultes) qui devront s’inscrire dans la pierre. Profitant de la destruction des fortifications, on voit alors s’édifier plusieurs lieux de culte : église anglicane, basilique catholique Notre Dame, temple israélite, temple maçonnique et église orthodoxe russe. Cependant, et curieusement, la nouvelle Constitution de 1847, considérée comme une des plus libérales d’Europe, ne réforme pas la loi du 14 novembre 1816 faisant du culte juif un obstacle d’accession à la citoyenneté. Plus étonnant encore, alors que la liberté des cultes est désormais garantie, celle-ci ne s’applique qu’aux églises protestantes et catholiques qui seront les seules à bénéficier de la protection de l’État. Les Juifs et leur culte sont tout simplement ignorés ! En 1849, la promulgation d’une loi créant les fondations permet néanmoins à la communauté israélite de se doter d’une personnalité juridique. À défaut de voir ses membres reconnus, l’institution peut au moins exister officiellement, ce qui constitue déjà une petite avancée. Le 3 juin 1852, le Conseil d’État accepte ainsi les statuts de la « communauté israélite établie dans le Canton de Genève ». LE GRAND CONSEIL DANS L’EMBARRAS Au cours du mois de mai de l’année 1857, les députés du Grand Conseil sont réunis pour promulguer la loi autorisant la construction d’un temple israélite dont l’érection s’inscrit dans l’élan libéral impulsé par James Fazy. Le député libéral Jules Vüy ne tarde pas alors à soulever un paradoxe dans ce projet : « Il me semble que, au moment où il s’agit d’une loi où le canton de Genève accorde gratuitement aux Israélites le terrain nécessaire pour l’érection d’un édifice où ils puissent exercer leur culte, nous serions logiques en prononçant en même temps l’abrogation des dispositions intolérantes et iniques qui font du culte juif un obstacle d’accession à la citoyenneté. » Voilà une intervention qui sème l’embarras parmi les députés qui décident dès lors d’approuver unanimement la requête du député Vüy. Cependant, la forme introductive de celle-ci pose un problème. Les débats portent en effet sur l’érection d’un temple, et non sur une réforme partielle de la Constitution qui doit normalement faire l’objet d’une loi spéciale séparée. Certains députés, craignant que cette affaire, quelque peu gênante, soit inutilement ajournée et surtout médiatisée, ce qui serait néfaste pour le gouvernement, décident finalement d’adopter la motion du député Vüy qui devient l’article 9 de la loi du 23 mai 1857 autorisant l’érection d’un temple israélite et qui, additionnellement, abroge les dispositions de la loi du 14 novembre 1816 « qui faisaient du culte israélite professé par un individu un motif d’exclusion du droit de cité ». PLAQUE COMMÉMORATIVE La procédure est assez atypique pour la signaler, il est en effet rarissime qu’une réforme constitutionnelle, surtout de cette nature, s’opère ainsi, par la bande, indirectement, à l’occasion d’un projet de loi portant sur la construction d’un édifice ! Quoi qu’il en soit, cette victoire, enfin acquise, est le fruit d’un combat politique douloureux mené en particulier par trois hommes qui successivement ont dû s’atteler à abattre des préjugés et des idéologies solidement ancrées dans la société genevoise. Ce combat mérite une reconnaissance, raison pour laquelle l’Association du Patrimoine juif genevois a récemment proposé à la CIG l’apposition d’une plaque commémorative à l’intérieur de la Grande synagogue Beth Yaacov pour honorer l’action de ces trois personnalités au cours du XIXe siècle. Jean Plançon Trois hommes politiques genevois – Louis-André Gosse, Théodore Herpin et Jules Vüy (de haut en bas) – ont défié l’hostilité du Conseil d’État afin de favoriser l’émancipation des Juifs dans la cité de Calvin. 27 AOÛT-NOVEMBRE 2022

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