CIG Magazine N°10

PREMIÈRE TOMBE EN 1788 Un an plus tard, le 2 avril 1790, Pierre-Claude de la Fléchère meurt subitement, au pied de la fontaine de son château à Veyrier, sans avoir pu concrétiser son dernier projet : accueillir des musulmans à Carouge et bâtir une mosquée sur « ce terrain qui jouxte la frontière avec Genève ». Sur cette place de l’Octroi se dresse une colonne, dernier vestige des abattoirs d’antan. Ce quartier abritait les marchands juifs – dont les maigres ressources ne leur permettent pas de profiter du confort des maisons du centre-ville. C’est là aussi, au milieu de la rue d’Arve, que l’on trouvait notre fameuse fontaine, connue comme le « bain des Juifs », avant qu’elle ne soit déplacée : « réminiscence du Jourdain », l’eau y est si pure qu’ils l’utilisent pour faire leurs ablutions. Dernière étape de ce voyage dans le temps, le cimetière juif de Carouge est le témoin de l’essor de la communauté juive dans cette ville. Pénétrer dans ce lieu provoque une vive émotion dans le groupe de visiteurs. Penser que certaines tombes sont là depuis plus de 200 ans suffit à mesurer tout le poids de l’histoire que l’on vient d’entendre... En août 1788, Joseph Abraham perd en effet son fils de 5 ans, victime de la petite vérole, et reçoit l’autorisation de l’enterrer « sur une partie du vieux chemin abandonné, loin de la ville ». La petite stèle est toujours visible, mais, fabriquée à partir de sable limoneux extrait de l’Arve, elle s’est effritée avec les années. « Un premier agrandissement est intervenu en 1852 », relate Jean Plançon. « Les obélisques, colonnes et sarcophages sont typiques de l’architecture du Second empire et sont clairement inspirés de l’art égyptien. » Deux ans avant l’introduction de la loi cantonale sur les cimetières – qui deviennent de facto « propriété communale » – la communauté israélite fait encore l’acquisition de deux parcelles adjacentes, pensant que cette extension suffirait pour les décennies à venir. Pourtant, elle ne pouvait pas anticiper le flux migratoire qui suivit le conflit entre la France et la Prusse, les ruines de l’Empire ottoman... « Les rangs de la communauté ont gonflé de manière considérable », reprend l’historien. « Et comme il lui était impossible de l’agrandir une nouvelle fois, il a fallu trouver une solution dès 1920, du côté de Veyrier, sur le territoire français. » Retour au présent. Avant qu’Anita Halasz, responsable culturelle de la CIG et coordonnatrice de l’événement, ne procède au tirage au sort pour récompenser les sans-fautes du quizz proposé aux visiteurs pendant la balade, Sonja Molinari, maire de Carouge, accepte de ponctuer cette visite avec quelques mots spontanés. « J’ai eu un immense plaisir à m’immerger dans cette histoire si riche », dit-elle. Au cours de cette promenade au XVIIIe siècle, l’élue verte a retenu deux mots qui font encore écho à la Carouge d’aujourd’hui. L’encanaillement, d’abord : «En 1782, il y avait 5000 habitants dans la cité et plus de 400 bistrots ou troquets. Même sans le pont de Carouge, beaucoup de monde venait ici pour s’amuser. Et, on le voit avec la Vogue et le marché des brocanteurs, ça ne s’arrête jamais ! » Mais, surtout, l’ouverture : «Carouge s’est construite sur cette valeur-là pour permettre son développement et augmenter sa population. Ce passé, on le retrouve dans ce réflexe d’ouvrir nos portes aux réfugiés ukrainiens fuyant la guerre. » Jean-Daniel Sallin ® EMERIC CARON – AIGAL STUDIO ® EMERIC CARON – AIGAL STUDIO ® EMERIC CARON – AIGAL STUDIO Une centaine de personnes a participé à cette balade historique dans les rues de Carouge. Elle les a amenés jusqu’au cimetière juif de Carouge, où se trouve la première tombe datée de 1788. 25 AOÛT-NOVEMBRE 2022

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