CIG Magazine N°09

LA CHRONIQUE DU RABBIN LA TORAH ET LE PRÊT À TAUX D’INTÉRÊT Après avoir été interdit durant tout le Moyen-Âge par la chrétienté, le prêt à intérêt a commencé à se développer en Occident à partir du XVIe siècle, notamment sous l’impulsion de la Réforme protestante qui le considéra nécessaire au développement économique de la société. Aujourd’hui en Occident, le prêt à intérêt n’est plus sujet à discussion. Il s’est imposé comme une pierre angulaire de la modernité, que les crises économiques et financières n’ont jamais remis en question. Le judaïsme, lui, reste fidèle au message : la Torah l’a interdit et continue de l’interdire ! Quel est le sens d’une telle interdiction ? Ne nuit-elle pas au développement économique ? Quel projet de société envisage la Torah ? Y a-t-il une manière grâce à laquelle le prêt à intérêt serait permis ? Avant d’aborder l’interdit, notons qu’il est une mitsva de prêter de l’argent (Exode, ch. 22, v. 24). Im Késsef talvé ét ‘ami : « Si tu prêtes de l’argent à mon peuple. » Ét ‘hé’ani ‘imakh : « Au pauvre qui est avec toi. » Lo tihyé lo kénoshé : « Tu ne seras pas envers lui comme un créancier. » Lo téssimoune ‘alav néshekh : « Vous ne mettrez pas sur lui une morsure. » Rachi explique sur lo tihyé lo kénoshé : « Tu ne lui réclameras pas avec force. Si tu sais qu’ il n’a pas, ne te conduis pas envers lui comme si tu lui avais prêté, mais comme si tu ne lui avais pas prêté ; autrement dit, ne l’humilie pas. » En utilisant le mot « im» (si), la Torah semble dire que le prêt est un acte facultatif. Or, la Mékhilta (Midrash composé par les Sages de la Michna) rapporte que notre verset est l’un des trois seuls à faire exception à la règle habituelle. D’ailleurs, le verset 8 du chapitre 15 dans le Deutéronome : « ha’avèt ta’aviténou (tu lui prêteras) » en est la preuve. En se basant sur cette même Mékhilta, le Rambam compte la Mitsva de prêter aux pauvres dans la liste des 613 mitsvot et la considère comme supérieure à la Tsédaka (Rambam, Sefer hamitzvot, 197e Mitsva positive). Le Maharal de Prague (Nétivot Olam, Nétiv hatsédaka, ch. 6) explique que la Torah a volontairement utilisé la conjonction conditionnelle « si » pour préciser que le fait de prêter de l’argent n’a aucune valeur en soi, tant qu’on n’a pas appliqué la fin du verset : « tu ne seras pas envers lui comme un créancier, vous ne mettrez pas sur lui une morsure ». Cette explication du Maharal va de pair avec une loi tranchée par le Choul’han Aroukh (‘Hoshen Michpat, 97, 4). À trois reprises, la Torah interdit le prêt avec taux d’intérêt dans : • L’Exode, Parachat Michpatim, ch. 22, v. 24 ; • Le Lévitique, Parachat Béhar, ch. 25, v. 35, 36, 37 et 38 ; • Le Deutéronome, Parachat Ki Tétsé, ch. 23, v. 20 et 21. De ces trois passages bibliques, il ressort que : • L’interdiction s’applique aussi bien aux riches qu’aux pauvres ; • Il n’existe pas dans la Torah de notions de taux d’usure, c’est-à-dire de taux d’intérêt maximum autorisé (comme c’est le cas dans de nombreux pays où le taux d’usure peut varier entre 5 et 20%). La Torah interdit le prêt à intérêt, quel qu’en soit le taux ; • La Torah interdit tout type de prêt à intérêt, que ce soit un prêt à la consommation, un prêt immobilier ou un prêt entreprise. Des trois passages bibliques cités ci-dessus, la Torah utilise les termes Neshèkh et Tarbit pour désigner l’intérêt. Neshèkh est une morsure, comme l’explique Rachi (Exode, 22, 24) : l’intérêt est comme la morsure d’un serpent. Elle n’engendre (au début) qu’une plaie anodine et indolore au pied, puis subitement, elle gonfle et monte jusqu’à la tête. De même, l’intérêt semble (au début) imperceptible et insignifiant jusqu’à ce qu’il s’accumule et qu’il fasse perdre beaucoup d’argent. Ainsi, la Torah nous met en garde du caractère sournois et redoutable du prêt à intérêt. Notons qu’il s’agit d’une problématique d’actualité : D’une part, dans les pays industrialisés, le surendettement des ménages est devenu aujourd’hui un véritable problème de société. Certains pays ont franchi le cap de 2% de surendettement. La cause principale en est la banalisation du crédit à la consommation. D’autre part, il est question d’une éventuelle annulation de la dette des pays du tiers monde envers les pays industrialisés. Un des arguments majeurs en faveur de cette annulation consiste à dire que, par le paiement des intérêts, la dette a déjà été payée plusieurs fois et que, malgré tout, ces pays se retrouvent plus endettés. 8 LA CHRONIQUE DU RABBIN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 09

RkJQdWJsaXNoZXIy MjE4MDE=