POURQUOI MANGER CASHER ? CINQ PROPOSITIONS ! TEXTE MIKHAËL BENADMON Le casher est un des enjeux du judaïsme ici à Genève. Il n’est pas (encore) assez développé, n’a pas toujours bonne presse et souffre surtout d’un manque d’explication. La Torah ne dévoile pas explicitement les raisons des interdits alimentaires, et d’une certaine façon, semble sous-entendre que la motivation du croyant doit être l’accomplissement de la volonté divine, même au prix de l'incompréhension. Les Sages médiévaux, ainsi que les chercheurs contemporains, cherchent toutefois à pénétrer le sens de ces propos, distinguant ainsi le judaïsme de la pensée magique. Je vais tenter de synthétiser en cinq propositions les principales réponses qui me paraissent porter une certaine pertinence. Trois grands penseurs médiévaux seront évoqués – le Sefer Ha’Hinoukh, Nahmanide et Maïmonide – et deux chercheurs contemporains, une anthropologue et un bibliste. Ces quelques lignes ne tendent pas à l'exhaustivité et ne pourront jamais remplacer une discussion entre nous autour d’un café (!). 1. SEFER HA’HINOUKH : RESPECTER L’ORDRE NATUREL L’auteur anonyme du Sefer Ha’Hinoukh (XIIIe siècle, Espagne, Mitsva 62 et 92) affirme que la Torah vise ici à préserver l’harmonie naturelle du monde. Cuire un jeune animal dans le lait, même destiné à le nourrir, revient, selon lui, à brouiller les frontières entre vie et mort, entre maternité et destruction. Cette transgression de l’ordre des choses serait contraire à une sensibilité morale et à un équilibre cosmique que la Torah cherche à préserver. L’interdit est ainsi une mise en garde contre le mélange des genres, souvent considéré comme contre-nature dans la pensée biblique. Cette explication s'intéresse essentiellement au mélange lait-viande, mais ne propose pas une vision générale de la cacheroute. 2. NAHMANIDE : ÉLOIGNER LA CRUAUTÉ Nahmanide (Ramban, sur Devarim 14, 21), un autre grand exégète espagnol du XIIIe siècle, lit cet interdit à travers une éthique de la compassion. Pour lui, cuire un animal dans le lait de sa mère est un acte de cruauté, une forme de perversion morale, car il revient à utiliser le symbole de la vie (le lait maternel) pour donner la mort. La Torah chercherait ainsi à affiner notre sens moral, en nous interdisant des gestes cruels, même s’ils ne sont pas directement liés à la souffrance animale. L’interdit devient alors un outil pédagogique d’élévation morale. 3. MAÏMONIDE : SANTÉ, SPIRITUALITÉ ET DÉMARCATION Maïmonide (Rambam, Guide des Égarés, III, 48), médecin et philosophe du XIIe siècle, adopte une double approche. D’une part, il évoque des raisons de santé : certains mélanges alimentaires seraient néfastes pour le corps, selon les connaissances médicales de son époque. D’autre part, il souligne l’aspect anti-idolâtrique de la cacheroute. Selon lui, les peuples païens avaient pour habitude d’utiliser de telles combinaisons dans leurs rituels. En interdisant ces pratiques, la Torah entend marquer une rupture claire avec les cultes idolâtres et préserver l’originalité éthique et spirituelle du peuple d’Israël. Présentons à présent des thèses de chercheurs contemporains qui proposent des optiques nouvelles. La première, Mary Douglas, et le second, Jacob Milgrom, s'appuient tous deux sur les catégories d'animaux marins, terrestres et aériens telles que décrites dans le Lévitique et le Deutéronome. 4. MARY DOUGLAS : LA PURETÉ COMME COHÉRENCE DU MONDE Dans son ouvrage Purity and Danger (1966), Mary Douglas affirme que les lois alimentaires de la Torah ne s’expliquent ni par l’hygiène ni par la morale, mais par une volonté de maintenir un ordre symbolique du monde. Ce système repose sur une taxinomie implicite de la création. Les animaux impurs sont ceux qui ne correspondent pas parfaitement à leur catégorie biologique ou symbolique idéale. Autrement dit, ce qui est «hors-norme» dans son groupe est rejeté. ANIMAUX TERRESTRES : seuls les ruminants à sabots fendus sont permis (bœuf, mouton, chèvre). Le chameau, le lièvre ou le porc sont exclus, car ils ne remplissent qu’un seul des deux critères. Raison symbolique : ils sont des anomalies dans leur catégorie. Le porc a le sabot fendu, mais ne rumine pas, ce qui le rend « contre-nature ». ANIMAUX MARINS : seuls ceux qui ont nageoires et écailles sont permis (saumon, carpe). Les anguilles, raies, crustacés, qui n’ont ni écailles, ni nageoires, sont interdits. LA CHRONIQUE DU RABBIN LA CHRONIQUE DU RABBIN 8 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 7
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