Neutralité de la Suisse, cosmopolitisme de la ville, réputation de libéralisme de l’établissement... Toutes les conditions y sont réunies pour le conforter dans ce choix. À ses yeux, Genève est le «musée du bonheur d’avant 1914 ». Il y rencontre Paul Moriaud, qui l’introduit dans les institutions politiques internationales, et assiste aux cours d’un certain Charles Borgeaud, qui n’est autre que le concepteur du Mur des Réformateurs, alors en pleine construction (1909-1917). Pour l’historien, ce monument vise à exprimer une idée : les institutions démocratiques modernes sont filles de la Réforme. Dans Mangeclous, Albert Cohen emmènera ses Valeureux, Saltiel, l’oncle de Solal, et ses quatre amis, Mangeclous, Salomon, Samuel et Mattathias, en face des quatre Réformateurs. Une scène qui lui permettra d’exprimer son admiration pour la rigueur morale du protestantisme et sa tendance à se croire supérieur aux autres confessions. BRASSERIE LANDOLT Aujourd’hui, il ne reste plus rien de cette brasserie emblématique, créée en 1875 par Fritz Landolt et qui a vu défiler tant d’étudiants, d’avocats, d’artistes et d’intellectuels exilés. Le bâtiment original a été détruit en 1970. Quant au restaurant, qui servait bières et plats du terroir, il a fermé depuis belle lurette... Qui se souvient encore que Lénine y avait sa table et y avait fomenté une part de son opposition au pouvoir impérial russe ? Décrit comme le « laboratoire de l’esprit genevois » par un journaliste, cette institution y accueillait régulièrement des concerts. Des associations comme le Motosacoche Club ou le Cercle genevois des espérantistes y tenaient leur assemblée. Pour Albert Cohen, cette brasserie sera surtout le théâtre d’une expérience marquante dès son arrivée à Genève. Après un repas, il paie l’addition et sort. Alors qu’il s’engage sur la promenade des Bastions, il entend quelqu’un l’appeler derrière lui : c’est le serveur, essoufflé, qui lui tend son portemonnaie, oublié sur la table ! « Et là, je me suis dit : tiens, c’est un pays où on rend les portefeuilles ! J’étais un peu épaté. (...) Tout cela faisait pour moi un tableau de quelque chose de nouveau et vraiment de très important. » Cette anecdote aurait constitué l’amorce de son admiration pour la Suisse et pour Genève. SYNAGOGUE BETH YAACOV On ignore si Albert Cohen a participé aux offices religieux de la synagogue, inaugurée en juillet 1859. Une chose est certaine : dès son arrivée à Genève, il fréquente les émigrés juifs russes, très présents à l’Université, et se rapproche de différents cercles israélites. Il s’engage même pour les victimes des pogromes russes lors de soirées de charité organisées dans la ville. Non pratiquant, l’écrivain est fier de son identité juive. S’il ne s’est jamais rendu en Israël, il profite de sa naturalisation suisse, en 1919, pour ajouter un «h» à son nom: Alberto Coen devient alors Albert Cohen – un changement qui symbolise son attachement à la religion de sa famille. Durant sa vie, le romancier n’a d’ailleurs jamais cessé de lutter contre l’antisémitisme. Un combat dont l’origine remonte à un traumatisme, vécu à l’âge de 10 ans, sur le port de Marseille, lorsqu’un camelot l’insulta en le traitant de « youpin». Cohen a été profondément marqué par cet épisode. QUARTIER DES BANQUES C’est la dernière étape de notre promenade ! Ce quartier n’a aucune existence officielle, mais tous les Genevois le connaissent. Près de 140 établissements financiers sont répertoriés dans la cité. Si le terme « quartier des banques » n’apparaît jamais dans l’œuvre d’Albert Cohen, il parle souvent d’argent dans ses écrits, naviguant entre avarice et générosité. Ainsi, Solal offre fréquemment des sommes folles à ses proches ou à des inconnus dans le besoin. Dans Mangeclous, après que Solal leur a donné une importante somme d’argent, les Valeureux décident de parcourir les banques les unes après les autres, à la recherche d’un établissement qu’ils jugent digne de recevoir cet argent. Une fois, les coffres-forts ne sont pas assez épais, une autre fois, c’est la personne à l’accueil qui a une tête d’escroc... Ils finiront par choisir le Credit Suisse : les clients fourmillent, les employés ont « des têtes bien grasses » et la salle des coffres est « tout en acier ». Ils ne savaient pas encore que cette banque ferait faillite près de 90 ans plus tard... « ALBERT COHEN ET GENÈVE », GUIDE LITTÉRAIRE AUX ÉDITIONS LA BACONNIÈRE. 200 PAGES. LE COLLECTIF EST COMPOSÉ DE : PIERRE-LOUIS CHANTRE, MARIE-LUCE DESGRANDCHAMPS, IDIT EZRATI LINTZ, THIERRY MAURICE, BRUNO RACALBUTO, NOÉMIE SAKKAL MIVILLE ET YAN SCHUBERT. © STUDIO AIGAL Idit Ezrati Lintz, membre du collectif, assure la visite avec enthousiasme. 24 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 7 LE REPORTAGE
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