«En Suisse, des centaines d'aliments, à la Coop ou à la Migros, n’ont pas encore été autorisés, parce que nous n’avons pas eu le temps de visiter les usines », précise encore Mikhaël Benadmon. « Il y a un intérêt, à la fois stratégique et économique, à le faire ! Les produits casher, comme le fromage, sont souvent vendus plus cher, parce qu’ils nécessitent la présence d’un rabbin ou d’un chomer pour surveiller le processus de fabrication. Nous devons nous assurer que ces produits soient accessibles au plus grand nombre. Chez Carrefour, par exemple, vous trouvez plus de 2500 produits autorisés, proposés à des prix normaux. » HALAKHIQUE OU FOLKLORIQUE ? Mais, combien sont-ils, à Genève, à respecter la cacheroute ? Avec ses règles contraignantes, elle peut facilement être considérée comme une source de frustration ou d’asservissement. Le Grand Rabbin manque de statistiques précises. Tout simplement parce que chacun vit sa cacheroute à sa manière, à différents niveaux d’acceptation et de vérités. Il y a les rigoristes qui refusent de boire du lait de vache, s’il n’a pas été trait sous la supervision d’un rabbin. Le degré d’affûtage de la lame utilisée pour procéder à l’abattage rituel, la shehita, peut aussi faire l’objet d’un débat : si le couteau n’a pas été vérifié après dix ou vingt bêtes, la viande ne sera pas considérée comme casher par certains. « Il existe une surenchère du label de cacheroute, où chaque poulet a désormais son rabbin » sourit Mikhaël Benadmon. «Mais, s’ il existe une cacheroute halakhique, il y a également une cacheroute folklorique ! On ne mange pas de viande à l’extérieur, mais on s’autorise des salades ou du poisson en restaurant. Comment être sûr que les casseroles ou les ustensiles utilisés pour cuire le poisson n’ont pas servi avant pour dorer une pièce de viande non casher ? » Il note aussi la présence d’une certaine « aristocratie » qui ne consomme que des aliments portant le label d’un rabbin bien précis... Le Grand Rabbin conçoit que la cacheroute peut être astreignante. «On ne peut pas sortir et s’asseoir à n’importe quelle terrasse... » Il lui concède néanmoins deux avantages. Elle permet de conserver le peuple juif autour de la table et de la nourriture – un élément fondamental de la communauté. Elle porte aussi une valeur éthique, puisqu’elle encourage chacun à prêter attention à son alimentation et à vérifier le contenu de son assiette. « Il y a un intérêt à savoir ce que je mange, au niveau de l’aliment lui-même. Est-il bon ? Est-il sain ? Est-il le fait d’un acte de cruauté ? » Pour lui, par exemple, la cacheroute du foie gras soulève des questions : il est formellement certifié casher, mais sa production va « à l’encontre de certaines idées de la cacheroute », notamment sur la souffrance de l’animal. Désormais, Mikhaël Benadmon poursuit plusieurs objectifs à Genève : dresser une liste de deux-trois hôtels, de différents niveaux, pour accueillir régulièrement des mariages ou des barmitsva ; consolider l’offre de traiteurs, en France et en Suisse, avec une gamme de prix accessibles à tous ; trouver un steak-house, une pizzeria et un restaurant végétarien qui accepteraient le label de cacheroute ; chercher une chocolaterie, un vendeur de glaces... «Notre but est que le Juif de la cité ne se sente pas limité dans son action et dans sa présence à cause du casher. » Une manière de mieux intégrer encore la communauté juive dans la routine de la ville ! Lire aussi la chronique du rabbin en pages 8-9. DÉFINITION Code alimentaire prescrit aux enfants d’Israël dans la Bible hébraïque, la cacheroute regroupe d’une part l’ensemble des critères désignant un aliment, animal ou végétal, comme permis ou non à la consommation et, d’autre part, les lois qui permettent de préparer ces aliments ou de les rendre propres à la consommation. PRINCIPES DE BASE Il y a des animaux purs et des animaux impurs ! Sont considérés comme purs les animaux à sabots fendus, ruminant leur nourriture (bœuf, veau, mouton, agneau, chèvre), les volailles de bassecour (poulet, canard, oie, dinde) et les poissons à écailles (saumon, morue, sardine, merlan, sole, thon, dorade). Les animaux doivent être abattus de manière rituelle, dans le but de les vider de leur sang, interdit à la consommation. La shehita consiste à trancher la veine jugulaire, l’artère carotide, l’œsophage et la trachée d’un seul geste continu au moyen d’un couteau effilé sans encoche. Selon le précepte de la Torah (« Tu ne feras point cuire un chevreau dans le lait de sa mère »), il est interdit de cuisiner ou de consommer des produits carnés avec des produits lactés. Les juifs pratiquants utilisent deux batteries de cuisine et deux vaisselles distinctes, qu’ils lavent dans deux éviers différents, pour éviter les mélanges interdits. Ils attendent aussi le temps de deux repas pour consommer du lait après avoir mangé de la viande. Les aliments d’origine végétale, notamment les légumes à feuille (laitue, chou, persil) doivent être inspectés avant utilisation : la présence d’insectes les rendrait impurs ! Certains aliments, tels que le vin, le jus de raisin, la moutarde ou le pain, doivent être préparés en totalité ou en partie par des enfants d’Israël. La production de fromage doit être supervisée par un Juif. S’il est impossible de cuisiner des plats à chabbat, pour ne pas enfreindre certains interdits comme celui de faire du feu, la période de Pessah se caractérise par une restriction sur les aliments à base de levain, obtenu par fermentation de certains grains (blé, orge, seigle, épeautre), appelé « hametz ». LA CACHEROUTE, C’EST... 19 MARS -J U I L LE T 2025
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