CIG_JOURNAL_N°17_ FLIPBOOK

LES ENJEUX DE LA CACHEROUTE À GENÈVE TEXTE JEAN-DANIEL SALLIN Dominique Billaudel a bien cru qu’il allait en perdre son latin, le jour où Izhak Dayan et Samuel Nezrit, respectivement rabbin et chomer de la Communauté Israélite de Genève, ont poussé la porte de sa boulangerie-pâtisserie, située sur le plateau de Champel, en 2015. Quelques jours plus tôt, il avait reçu un coup de fil du Secrétaire Général, Elias Frija, qui lui proposa de travailler pour la Maison Juive Dumas et de livrer pains et croissants à la communauté. Accepter cette invitation signifiait découvrir l’univers complexe de la cacheroute ! L’artisan s’est lancé dans ce voyage. Mais, n’étant pas lui-même de confession juive, il ne s’attendait pas à autant de contraintes. « Je suis tombé à la renverse, car c’est une autre manière de travailler », admet-il aujourd’hui. Dix ans ont passé depuis cette première journée. Dominique Billaudel – qui a ouvert son commerce il y a 25 ans, après avoir longtemps travaillé dans la boulangerie Zogg comme cadre – n’a jamais regretté son choix. En 2024, sous l’impulsion du rabbin Mikhaël Benadmon, il est même devenu 100% casher. «Une fois qu’on a assimilé les codes, c’est une question d’organisation ! Savez-vous d’ailleurs que, dans la vie courante, vous mangez aussi des produits casher ? La mayonnaise Thomy, en France, en fait partie ! » Mais, avant que le boulanger reçoive le certificat signé par le Grand Rabbin, il a dû suivre, à la lettre, les consignes de Samuel Nezrit. Éliminer les récipients en plastique, nettoyer au chalumeau les ustensiles et plaques en métal, vérifier la composition de tous les ingrédients qu’il utilise dans ses créations gourmandes... « J’ai arrêté tout ce qui contenait de la viande, comme les pâtés, les croissants au jambon ou les sandwiches. Comme je suis végétarien, ça m’arrange ! Et, dans mes pâtisseries, je n’utilise plus de produits lactés. Cela évite des erreurs de manipulation. » Dans son laboratoire, Dominique Billaudel, en tant que non-Juif, n’a pas le droit d’allumer le feu lui-même : il a donc recours à un four automatique et à des plaques à induction toujours branchées. L’innovation et la technologie permettent d’éviter parfois des écueils insoupçonnés... Mais, ce qui lui a posé le plus de difficultés, c’est l’achat des matières premières ! Où les trouver ? Comment être sûr qu’elles sont parfaitement casher ? Il doit être particulièrement vigilant pour la farine et les œufs. La première doit être exempte d’insectes, les seconds ne doivent présenter aucune trace de sang dans le jaune. «Ma vie a changé le jour où le rabbin Mikhaël Benadmon m’a présenté Menahem Bendayan, spécialiste de la cacheroute, avec lequel j’ai passé en revue chaque matière première. Et, si j’ai besoin d’un ingrédient particulier, je l’appelle et il me conseille pour le trouver. » GENÈVE N’EST PAS CASHER La cacheroute nécessite néanmoins une attention de tous les instants. Chaque semaine, Samuel Nezrit se présente à la boulangerie pour contrôler les produits. «Devenir chomer n’est pas difficile », explique-t-il. « Le plus dur, c’est la vigilance ! Nous n’avons pas le droit à l’erreur, parce que nous sommes responsables des autres. » Chomer à la CIG depuis 2012, il veille également sur le restaurant de la Maison Juive Dumas, Le Jardin, et se rend fréquemment dans les hôtels de la ville, des Bergues au Crowne Plaza, pour « cashériser » les cuisines avant un mariage, une barmitsva ou une soirée de gala. « Je surveille tout, depuis la réception des marchandises jusqu’au service du dessert », indique-t-il. «Notre rabbin délivre un certificat ponctuel, juste pour cet événement. Une fois terminé, l’hôtel n’est plus considéré comme casher. » Pour l’instant, peu d’établissements sont casher à Genève. En plus de la boulangerie-pâtisserie Billlaudel, il existe une épicerie fine, un restaurant japonais, un spécialiste de shawarma... «Nous avions trouvé un restaurant végétarien, mais ils ont lâché au bout de trois mois », souffle le Grand Rabbin Mikhaël Benadmon. Depuis son arrivée à la CIG, il a observé un immense vide au niveau de la cacheroute. « Si on compare Genève à d’autres villes, en © ISTOCK 17 L’ENQUÊTE MARS -J U I L LE T 2025

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