CIG_JOURNAL_N°17_ FLIPBOOK

EDMOND FLEG : ITINÉRAIRE D’UN JUIF ERRANT TEXTE JEAN PLANÇON Edmond Flegenheimer est né à Genève le 26 novembre 1874, au moment où l’entreprise familiale de soieries créée par ses parents, Moïse et Clara, dans les années 1860, est en plein essor. Bénéficiant d’une excellente éducation, ses premières années sont baignées dans la beauté du culte familial, mais sans véritable transmission des rites millénaires. Ce jeune garçon semble tourmenté par le problème de Jésus. Il s’écarte progressivement de l’éducation traditionnelle et commence à fuir le judaïsme : « Je ne peux pas être Juif. Je ne peux pas être chrétien… Dieu, fais entrer ta lumière en moi, montre-moi si tu es ! » Les longues conversations qu’il a avec le Grand Rabbin Joseph Wertheimer ne l’aident guère, même s’il apprécie largement sa verve naturelle et le verre de Bordeaux qu’il partage dans ces moments intimes. Aussi, finit-il par se réfugier à Paris, préférant embrasser une carrière de lettres, plutôt que de s’investir dans le négoce familial. Après une année d’hypokhâgne au lycée Louis le Grand et une licence de philosophie à la Sorbonne, il intègre l’École normale supérieure, dont il sort avec l’agrégation d’allemand en 1899. Il travaille alors durant quelques années comme critique littéraire au Journal des Débats. L’affaire Dreyfus ne l’émeut guère et ce n’est que quelques années plus tard, en s’associant à une protestation publique en faveur du lieutenant-colonel Picquart, que « l’affaire » devient pour lui une sorte d’épreuve personnelle. C’est peut-être le tournant de sa vie, là où il commence à opérer un retour aux sources et à étudier la religion de ses ancêtres. Après avoir écrit plusieurs pièces de théâtre, dont une adaptation de Macbeth sur une musique originale de son ami genevois Ernest Bloch, il se lie d’amitié avec Charles Péguy qui lui permet de publier dans les Cahiers de la Quinzaine la première partie d’une anthologie qu’il intitulera plus tard Écoute Israël. En 1914, alors âgé de quarante ans, marié à Madeleine Bernheim, fille d’un grand promoteur immobilier parisien, et père de deux enfants prénommés Daniel et Maurice, il s’engage comme volontaire dans la Légion étrangère (il est Suisse et Genevois), ce qui lui vaut, outre deux décorations pour actes de courage face à l’ennemi, d’obtenir la nationalité française en 1921. Bientôt, au terme de son acte de naturalisation, son patronyme s’allège de sa consonance germanique, qu’il détestait, pour devenir celui d’un « bon Français », comme il aime alors à le dire sur un ton cocardier. Il s’appelle désormais Edmond Fleg. FRAPPÉ PAR LA MALÉDICTION? En 1923, son anthologie juive fait l’objet d’une première édition qui, en 1951, sera à nouveau rééditée sous une forme intégrale. Entre temps, en 1935, il devient président du Mouvement des Éclaireurs Israélites de France, fondé en 1923 par Robert Gamzon, puis il écrit deux œuvres lyriques, Œdipe et Sainte Jeanne, qui seront jouées à Paris en 1936. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec Yehudi Menuhin qui avait accueilli durant plusieurs mois le fils d’Edmond Fleg, le jeune Daniel, parti se refaire une santé sur la côte ouest des États-Unis. Ce dernier, qui est de constitution fragile, ne supporte pas d’être réformé au moment où la France entre en guerre, alors qu’il dispose d’une licence de pilote acquise dans le civil. Il se suicide en novembre 1939. Pour le couple Fleg, c’est un coup dur. Après la faillite familiale des soieries à Genève, dans les années 1920, la disparition de leur fils cadet est ressentie comme une sorte de malédiction qui semble poursuivre les Flegenheimer. Celle-ci ne va malheureusement pas s’arrêter là. En avril 1940, leur bellefille Ayala, qui avait épousé Maurice, le fils aîné des Fleg, accouche d’un enfant mort-né. Quelques semaines plus tard, c’est au tour de Maurice d’être tué sur le front des Flandres, au moment où les Panzer Divisions entament l’invasion de la France et foncent sur Paris. DU PARADIS AU CAUCHEMAR Edmond et Madeleine, écrasés par la douleur, se réfugient alors à Beauvallon, un petit hameau au paysage enchanteur, situé sur les bords du golfe de Saint-Tropez, non loin de Grimaud et de Sainte-Maxime. Le couple y possède un mas depuis leur mariage, le Vieux Moulin, entouré de pins parasols, de lauriers roses et de mimosas. Là, dans ce petit coin de paradis prisé par de nombreux peintres varois, les Fleg espèrent atténuer toutes leurs souffrances et redonner un sens à leur vie. Mais, leur retraite ne sera que de courte durée. En novembre 1942, rompant les termes de l’Armistice, les Allemands envahissent la zone libre et le Var est placé sous la tutelle de leurs alliés italiens. Si la présence des troupes de Mussolini ne semble guère inquiéter Edmond Fleg et son épouse, ce n’est plus le cas, lorsqu’en septembre 1943, l’armée allemande pénètre dans le Var. L'HISTOIRE L'HISTOIRE 14 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 7

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