LA « TSNIOUT » ? UNE QUÊTE PLUS QU’UNE LOI ! TEXTE MIKHAËL BENADMON Dans le monde de l’éducation juive, tout le monde s’accorde à dire que la « tsniout » (je ne traduis pas volontairement) est une idée maîtresse, qu’il faut éduquer les enfants – souvent plus les filles – à en être respectueux, qu’elle a des règles et une codification très claire qu’il faut tout simplement apprendre et appliquer. On l’a ou on ne l’a pas. Vous avez bien compris que le mot «tsniout» dans cette acception traduit là le mot «pudeur », et se focalise sur son aspect extérieur et vestimentaire. Éduquer que la « tsniout » est un code vestimentaire, c’est aussi réducteur que de dire que la prière est une récitation. C’est tenter d’en conserver la forme en ruinant le fond. On comprendra aisément qu’il est bien plus commode d’opter pour un tel discours : c’est clair, balisé, réglementé, c’est vérifiable et mesurable. C’est donc sous contrôle. Ce phénomène est sans doute l’un des drames de l’éducation juive. Réduire les choses à leur aspect extérieur : c’est l’un des messages que la Torah, et toute pensée religieuse, s’obstine à combattre. Traduire « tsniout » par code vestimentaire est réducteur et contre-productif. Réducteur, car c’est sacrifier la dynamique de la vie intérieure sur l’autel de l’extériorité et oublier que le public masculin est aussi concerné ; contre-productif, parce que le public, féminin en l’occurrence, n’est pas (plus) dupe et ne veut pas d’un tel discours qui n’est que source de conflits à l’école comme à la maison. La source d’un tel malentendu est à mon avis dans la pauvreté linguistique du champ sémantique de la pudeur en hébreu. La racine צ.נ.ע . est employée dans la Torah pour désigner un mode d’être face à D.ieu, et rien ne fait allusion à un code vestimentaire qui se tourne spécifiquement vers les dames. Le mot donne matière à réflexion. Mais, voilà que ce terme est quasi introuvable dans le dictionnaire des synonymes hébraïques qui propose des termes proches permettant la nuance, l’expression d’idées similaires, mais pas exactement semblables. Grande est la sagesse des synonymes, car elle permet de cerner la culture et l’imaginaire véhiculés par une langue. L’absence de terme dans une langue ne veut pas dire que le concept en est absent. Mais, force est de constater que le français est bien plus riche sur ce point que l’hébreu et peut nous aider à mieux éduquer. On y trouve les termes de pudeur, mais également de gêne, de trouble, de réserve, d’incommodité, de discrétion, d’embarras, de désagrément, de retenue, de repli intérieur... La « tsniout » a affaire avec le respect, la dignité, avec la communication intérieure et l’intime, avec la modération et la pondération. Elle est un savoir et une recherche bien plus qu’une loi, une conscience bien plus qu’un état passif. Elle n’est pas criarde ni ne s’affiche dans la simple extériorité, elle est une vertu. Et, comme toutes les vertus, elle s’acquiert avec de la recherche, de la volonté et de la patience. Alors, chers parents et éducateurs, plutôt que de noyer nos enfants dans des considérations de qu’en-dira-t-on, de honte, de nécessité d’appartenance sociale (toutes ces données sont aussi très importantes) qui, au bout du compte, disparaîtront avec eux dès qu’ils seront indépendants, relevons le défi de l’éducation à l’intimité. C’est peut-être le plus grand défi éducatif digne de ce nom dans le monde d’aujourd’hui. « TRADUIRE ‹TSNIOUT› PAR CODE VESTIMENTAIRE EST RÉDUCTEUR ET CONTRE-PRODUCTIF. (...) LA SOURCE D’UN TEL MALENTENDU EST À MON AVIS DANS LA PAUVRETÉ LINGUISTIQUE DU CHAMP SÉMANTIQUE DE LA PUDEUR EN HÉBREU. » LA CHRONIQUE DU RABBIN 9 OC TOBRE 2024 - FÉ VR I ER 2025 © ISTOCK
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