FLIPBOOK-CIG_JOURNAL_N°16_V16

CHANGEMENT DE STRATÉGIE Pour la CICAD, ce succès vient ponctuer un long travail « d’ information, de sensibilisation et de mobilisation » dans les arcanes politiques. « Au début, nous avons tenté de passer par la voie fédérale », résume Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de l’association. «Mais, après avoir reçu plusieurs réponses insatisfaisantes, nous avons décidé de changer de stratégie : le pouvoir des électeurs et de la population se trouve dans les cantons. Pourquoi ne pas passer par les cantons pour légiférer sur cette question ? Nous nous sommes alors attelés à informer les chambres sur ce phénomène qui continue d’exister et que l’utilisation de propos et de signes nazis est un sujet d’actualité totalement banalisé, démontrant ainsi notre besoin d’une loi qui permette de rappeler que ce type d’attitude et de comportement est illégal. » L’influence de la CICAD s’est arrêtée à ce domaine-là : elle reste, en effet, une association citoyenne, créée par les communautés israélites en 1991, pour préserver la mémoire de la Shoah, assister les victimes et lutter contre l’antisémitisme. «Nous agissons toujours pour le compte des communautés », relève Laurent Selvi. «Mais, pour remplir notre mission, nous entretenons un rapport continu et permanent avec le personnel politique, gouvernemental et législatif. Cela fait partie de notre activité quotidienne. C’est donc dans ce cadre que s’est inscrit ce travail d’accompagnement. » La CICAD ne s’est d’ailleurs pas limitée à Genève. Elle s’est aussi investie dans les cantons de Vaud, Fribourg et Neuchâtel. Avec des résultats tout aussi probants, puisque ces trois régions romandes, dans la foulée de leur voisin genevois, ont accepté une modification de la loi par la voie parlementaire. DEUX PROJETS DE LOI À BERNE « L’exemple de Fribourg est d’ailleurs éloquent, puisque le Parlement a voté pour l’adoption de cette loi, contre la recommandation de son Conseil d’État », précise Johanne Gurfinkiel. « Selon ce dernier, il s’agissait d’un sujet fédéral, ce n’était donc pas au canton d’intervenir sur un problème qui relève du Code pénal. » Les députés du Grand Conseil en ont décidé autrement. Et, pour la CICAD, ces résultats positifs au niveau cantonal permettront forcément de bouger les lignes sur le plan fédéral. «C’est certain, cela servira de moteur pour propulser plus rapidement cette question à Berne », admet Laurent Selvi. Deux projets de lois sont en discussion dans les chambres fédérales, l’un pour sanctionner l’utilisation des symboles nazis et fascistes, l’autre pour interdire les signes extrémistes au sens plus large. « Le processus est en cours, mais cela prend du temps pour passer tous les stades de validation, sans compter le délai référendaire », souffle le secrétaire général. «Mais notre action s’ inscrit dans la durée, il n’y a pas d’ impatience de notre part ! » Cette étape est fondamentale pour la Suisse, puisqu’elle apportera un caractère pénal à cette infraction. Arborer un signe nazi ou fasciste ne sera dès lors plus puni « seulement » par une contravention ou une amende d’ordre, mais poursuivi pénalement. «Cela n’aura plus le même impact qu’au niveau cantonal », prévient Johanne Gurfinkiel. Désormais, en attendant que le Conseil des États statue sur le sujet, les cantons romands doivent, de leur côté, présenter une loi d’application. À Genève, le dossier est entre les mains de Carole-Anne Kast, conseillère d’État, responsable du Département des institutions et du numérique. «C’est à elle de donner un cadre », reprend le secrétaire général de la CICAD. Faudrat-il définir une liste de symboles interdits ? Ou s’appuyer sur l’article 261 bis du Code pénal pour légiférer dans l’espace public ? L’ENGAGEMENT DES COMMUNAUTÉS Selon Johanne Gurfinkiel, il serait difficile de dresser une liste et de la tenir à jour. « Ce serait interminable, car cela touche à tous les extrémismes : racisme, homophobie, antisémitisme, sexisme... La loi suisse est bien faite, puisqu’elle se fonde sur l’intention : quel message cherche-t-on à véhiculer avec le symbole qu’on utilise ? » Et le secrétaire général de citer l’exemple de ce porte-parole ukrainien qui arborait, sur la place des Nations, un t-shirt avec le sigle de l’unité Azov, qui est, en fait, un symbole nazi inversé. La CICAD a réagi et signalé les faits. Mais, était-ce acceptable dans cette situation particulière? Le débat est ouvert. « Les symboles nazis ne sont pas des signes comme les autres, car ils sont liés au pire crime dans l’histoire de l’humanité », martèle Laurent Selvi. « Il n’y a aucune raison de banaliser leur utilisation. Si la société est incapable de le comprendre, nous avons besoin d’une loi pour le lui interdire. C’est ainsi avec tous les comportements qui mettent à mal le lien social... Les lois sont là pour réguler et faire en sorte que tout le monde puisse vivre dans un cadre où la haine n’est pas banalisée. » Des mots qui font sens, alors qu’on observe une augmentation des gestes antisémites provoqués par le conflit au Proche-Orient. Des croix gammées ont même été peintes sur la route, à Genthod, pour... protester contre les zones à 30km/h. Distribuer des contraventions suffira-t-il à réfréner les ardeurs ? «Que l’amende soit de 100 ou de 1000 francs ne changera pas grand-chose », convient Johanne Gurfinkiel. «On ne va pas conduire les gens à l’échafaud. Mais, nous passons d’une situation où il n’y avait rien à une autre où cela devient illégal. C’est un grand pas en avant ! » Comme le précise Laurent Selvi, la CICAD a pu profiter de l’engagement de tous les membres de la communauté pour arriver à ce plébiscite populaire. « Le politique a une importance capitale dans tous les compartiments de notre vie, y compris dans celui qui touche à l’antisémitisme et à la paix sociale. Il faut donc inciter les membres de notre communauté à s’engager, ne serait-ce que par le vote, et les communautés ont joué ce rôle-là. » Autant dire que cette première campagne s’est révélée fructueuse sur tous les plans ! 24 L’ENQUÊTE « QUE L’AMENDE SOIT DE 100 OU DE 1000 FRANCS NE CHANGERA PAS GRAND-CHOSE. MAIS NOUS PASSONS D’UNE SITUATION OÙ IL N’Y AVAIT RIEN À UNE AUTRE OÙ CELA DEVIENT ILLÉGAL. » LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 6

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