INTERDICTION DES SYMBOLES DE HAINE : LE RÔLE CRUCIAL DE LA CICAD TEXTE JEAN-DANIEL SALLIN Le 9 juin 2024, 84,7% de la population genevoise acceptait d’inscrire dans la Constitution la loi interdisant les symboles de haine dans les espaces publics. Porté par le député UDC, Thomas Bläsi, ce texte de loi répondait aux attentes de la CICAD qui s’est attelée, en coulisses, à un travail d’information, de sensibilisation et de mobilisation auprès d’élus romands. Explications avec Laurent Selvi et Johanne Gurfinkiel, président et secrétaire général de l’association. Le résultat n’a laissé planer aucun doute. Les Genevois ont été convaincus par les arguments du Conseil d’État et du Grand Conseil : le 9 juin 2024, ils ont accepté à une large majorité (84,7%) d’inscrire dans la Constitution la loi interdisant les symboles de haine dans les espaces publics. Les 45 communes du canton ont d’ailleurs plébiscité l’objet présenté aux urnes. Seules, trois d’entre elles (Aire-laVille, Chancy et Jussy) n’ont pas passé le cap des 80% de oui, mais est-ce vraiment important ? La victoire est totale pour ceux qui ne veulent plus voir, dans nos rues, tous ces signes et emblèmes, notamment nazis, qui sont source de diffusion et de banalisation d’idéologies discriminatoires (racisme, antisémitisme, homophobie). Genève fait d’ailleurs figure de pionnière, puisqu’elle est le premier canton en Suisse à franchir ce pas. Mais, les lignes commencent à bouger : en avril, le Conseil national avait déjà accepté une motion – par 132 voix contre 40 et 15 abstentions – qui proposait d’abolir les symboles nazis. Jusque-là, la Suisse était l’un des rares pays à ne pas punir l’utilisation en public de signes, tels que la croix gammée, le salut hitlérien ou les symboles du Ku Klux Klan. Pour ses édiles, l’article 261 bis du Code pénal devait suffire à protéger chaque individu des discriminations racistes ou antisémites... Il n’en était rien ! Pour être condamnables, ces symboles devaient, en effet, être utilisés dans un objectif de propagande, à des fins de convertir d’autres personnes à l’idéologie de haine à laquelle ils se rapportaient. Porter un brassard nazi sur le domaine public n’était donc pas réprimé pénalement. Quant aux auteurs de graffitis représentant une croix gammée ou le sigle SS, ils n’étaient sanctionnés que pour dégradation de biens publics. Cette situation était-elle défendable, alors qu’en Europe ou aux États-Unis, la justice se montrait plus répressive ? En 2021, la ville de New York décidait ainsi d’interdire tout symbole de la suprématie blanche, de l’idéologie néo-nazie ou du drapeau confédéré. En 2022, la Lettonie, elle, bannissait de ses rues les lettres Z et V qui constituent des signes de ralliement et de soutien à l’opération militaire russe en Ukraine. TOUS LES PARTIS, SAUF UN ! En Suisse, cette évolution ne s’est pas faite toute seule. Il a fallu convaincre, enfoncer des portes, exposer des faits... À Genève, le texte de loi, présenté au Grand Conseil, a été porté par Thomas Bläsi, député UDC désormais élu au Conseil national. Il a agi pour rendre hommage à son grand-père, le colonel Gaston de Bonneval, aide de camp et assistant personnel de Charles de Gaulle, déporté comme « ennemi politique » en 1943 et rescapé du camp de concentration de Mauthausen. Mais, cette victoire est aussi celle de la CICAD qui se bat sur ce front depuis une quinzaine d’années et qui a su travailler, en coulisses, avec l’appareil politique et les différents représentants du pouvoir législatif. « Le cas de Genève est d’autant plus intéressant que la voie choisie par Thomas Bläsi, c’est-à-dire la modification constitutionnelle, assortie d’un vote populaire, est la plus compliquée », relève Laurent Selvi, président de l’association. «Parce qu’elle aurait pu nous exposer à des querelles et des débats, notamment autour de la liberté d’expression, que nous n’aurions pas voulu aborder. » Mais, l’élu UDC a estimé que ce sujet, aussi délicat et aussi lourd, gagnerait en légitimité s’il franchissait ces deux obstacles majeurs. Mission remplie ! Cela n’a pourtant pas été une promenade de santé, puisque son propre parti, l’UDC Genève, a finalement choisi de retourner sa veste quelques semaines avant la votation, par une manœuvre habile de son chef de groupe, Yves Nidegger, lors d’une assemblée, profitant de l’absence d’une partie des députés du Grand Conseil pour remettre l’objet sur la table. Heureusement, ce revirement n’a pas eu de conséquences sur le résultat du vote : les quelques députés UDC engagés, notamment Céline Amaudruz et Michael Andersen, sont restés mobilisés et ont fait front, avec tous les autres partis genevois, de manière totalement solidaire, pour soutenir ce texte de loi, organisant même une conférence de presse commune au siège du PLR. Le résultat est là : plus de 84% de votes positifs ! 23 L’ENQUÊTE OC TOBRE 2024 - FÉ VR I ER 2025
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