FLIPBOOK-CIG_JOURNAL_N°16_V16

MICHEL HAZANAVICIUS : « LE CONTE TRANSMET UN MESSAGE UNIVERSEL » TEXTE JEAN-DANIEL SALLIN Dans une campagne enneigée en Pologne, un couple de bûcherons vit à côté d’une voie de chemin de fer. Chaque jour, un train de marchandises traverse la forêt et la bûcheronne prie pour qu’une des marchandises soit déposée pour améliorer leur quotidien. Un jour, elle entend les cris d’un bébé. Elle décide de le recueillir, contre l’avis de son mari, et d’élever cet enfant comme sa propre fille. Cette histoire, La Plus Précieuse des Marchandises, est celle du dernier film de Michel Hazanavicius. Un conte écrit par JeanClaude Grumberg en 2019 que le réalisateur a accepté de porter à l’écran. On n’attendait pas forcément le Parisien dans ce registre, lui qui nous avait enchantés sur grand écran avec les aventures d’Hubert Bonnisseur de la Bath, alias OSS 117, avant de collectionner les récompenses – deux Césars, trois Oscars – avec The Artist, un film muet en noir et blanc qui raconte la carrière de George Valentin (Jean Dujardin), star du grand écran confronté à l’arrivée du cinéma parlant. Mais ce projet de film d’animation était particulier. Il raconte, à mots choisis, la Shoah, la déportation dans le camp d’Auschwitz, les charniers, l’antisémitisme... Après avoir hésité à participer à cette aventure, pour des raisons personnelles et familiales, Michel Hazanavicius finit par s’investir dans ce projet, prêtant même son trait à l’équipe de dessinateurs. Lancé en 2019, arrêté pendant la pandémie de Covid-19, le film est sorti à la fin novembre, après avoir été présenté au Festival de Cannes. Comment avez-vous découvert le livre de Jean-Claude Grumberg, La Plus Précieuse des Marchandises ? C’est le producteur Patrick Sobelman qui me l’a envoyé, tout bêtement ! Jean-Claude Grumberg est un ami de la famille, de mes parents en premier lieu. Il ne m’envoie pas tous ses livres, de la même manière que je ne lui envoie pas tous mes scénarios. Mais, il a demandé à Robert Guédiguian s’il y avait lieu de faire un film d’animation avec son histoire. Comme Robert ne se sentait pas de le faire lui-même, il a transmis le livre à Patrick, son associé. Il a adoré ce conte et il m’en a parlé immédiatement. Vous avez énormément hésité à réaliser ce film. Pourquoi ? J’ai adoré le livre, l’histoire, mais je n’ai pas dit oui tout de suite pour plusieurs raisons. Un film d’animation, c’est une aventure de plusieurs années, c’est aussi un métier que je ne connais pas. Mais, surtout, cette histoire aborde des thèmes qui sont à la fois intimes pour moi, par rapport à mon héritage familial, et délicats à traiter, parce que tout le monde pense qu’on a tout entendu sur ce sujet. Ce n’était pas très pop, quoi ! Mais, d’un autre côté, j’avais la beauté de ce conte et la possibilité d’en faire un bon film. La dernière pichenette, c’est ma femme, Bérénice Bejo, qui me l’a donnée ! Elle m’a dit que, par rapport à nos enfants et à tous les autres, je n’avais pas le choix : je devais le faire ! Était-ce clair dès le départ que c’est vous qui dessineriez pour ce film? Oui. Mais, ça l’était moins que je le ferais sans coréalisateur. Il s’est avéré que c’était plus compliqué que prévu d’animer mes dessins. J’ai essayé deux fois de prendre un coréalisateur, mais ça n’a pas fonctionné. Je me suis donc retrouvé à être réalisateur de film d’animation et à dessiner plus que prévu... Avez-vous dû apprendre l’art du film d’animation sur le tas ? Oui, mais pas les techniques d’animation elles-mêmes ! Découper un mouvement en huit ou douze images par seconde, c’est compliqué, certes, mais ce n’est qu’une partie de la fabrication. Diriger une équipe d’animateurs ou de décorateurs, suivre l’animation, l’assistanat, tous ces détails qui n’ont rien à voir avec la fabrication d’un plan en prise de vue réelle, oui, j’ai dû l’apprendre. Avez-vous dû adapter votre trait de dessin au sujet pour le rendre plus dur ? Les seuls dessins à moi dans ce film sont les images figées, pendant le charnier. Cependant, je ne dessine pas ça à longueur de journée... Je fais plutôt de la comédie. (sourire) Je dessine au crayon à papier, j’ai un trait plutôt classique. Ceux qui ressemblent le plus à ce que je fais naturellement sont les figurants, notamment les visages des déportés. Mais, je n’avais qu’un seul interlocuteur en face de moi, c’était plus simple de coller à la physionomie des personnages. En revanche, quand vous avez un personnage dessiné par 60 animateurs et 20 dessinateurs différents, vous allez au plus petit dénominateur commun : vous simplifiez le trait pour que tout le monde puisse le dessiner de la même façon. Depuis quand dessinez-vous ? Depuis que j’ai 10 ans. En CM2, alors que j’avais neuf ans et demi, ma prof avait décidé que je dessinais mal. Ce n’est pas une façon super moderne d’appréhender l’éducation, mais bon... Elle voulait créer une fresque et chaque élève devait choisir un sujet de dessin pour cette fresque. Quand elle est arrivée à ma hauteur, elle est passée devant moi sans me demander mon choix. De cette humiliation est née cette 10 LA RENCONTRE LA RENCONTRE LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 6

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