RÉFLEXIONS APRÈS LE 7 OCTOBRE : ENTRE OMBRES ET LUMIÈRES TEXTE MIKHAËL BENADMON Il m’arrive de discuter avec des personnes en détresse et d’avoir du mal à trouver les mots exacts et adaptés à la situation. Faut-il adopter un discours de réconfort et d’apaisement, un message d’acceptation ou un positionnement critique ? Souvent, je reçois comme réaction : «Pour vous qui croyez en D.ieu, tout est plus simple. Vous attribuez tout à la providence, le bien et le mal, la mort et la souffrance, la réussite et la chute. Dans tous les cas, vous retombez sur vos pieds. Vous avez réponse à tout et les événements du monde sont insérés dans une théorie métahistorique qui vous extrait de l’ incohérence et de l’absurde du monde ». Même si je ne réagis pas toujours sur le moment, la vérité est qu’à mes yeux, c’est tout le contraire. C’est précisément parce qu’il y a une acceptation de certaines données métaphysiques que les difficultés de l’existence sont encore plus criantes. En considérant l’existence de D.ieu, de la providence, de la rétribution, de la justice absolue, pourquoi tant de malheurs s’abattent sur nous en questionnant toutes ces hypothèses de travail ? Si le ciel est vide, les folies des hommes gèrent l’histoire et l’absurde est possible. Mais si l’on cherche à peupler ce ciel d’un D.ieu, et ce monde d’un sens, que faire face à l’injustice et le mal ? Cette problématique a été largement traitée dans la vaste littérature de la pensée juive et une dizaine de théories ont été évoquées. Mon propos n’est pas de les énumérer, mais plutôt de nommer les questionnements qui nous saisissent après les événements du 7 octobre et nous obligent à revisiter nos fondamentaux. Il s’avère alors que les débats classiques sont souvent dépassés et qu’on se retrouve face à des questions nouvelles et multiples qui expriment la condition du Juif moderne. Dans cette perspective, les catastrophes de l’histoire en général, et de l’histoire juive en particulier, nécessitent une relecture des catégories premières de l’existence juive. La pensée accompagne, certaines fois, nos joies et nos tristesses, les rend plus douces ou plus accrues, mais elle reste incontournable dans la gestion des événements et des émotions qui s’imposent à nous. C’est un travail individuel et collectif dont il s’agit et nos communautés sont avant tout des plateformes qui doivent permettre l’expression de ces interrogations. Le 7 octobre n’est pas près de disparaître de nos consciences et une identité juive en éveil ne peut faire l’économie de ces débats. Je ne suis pas certain qu’il faille arriver à des réponses, mais poser les questions me semble incontournable. Cinq champs de réflexions se dessinent alors à mes yeux : humain, géopolitique, spirituel, national et éthique. Chaque sujet énuméré constitue, pour ma part, un enjeu à réfléchir et nécessite l’instauration de véritables règles d’analyse et de dialogue. 1 Les premières questions sont d’ordre humain. Qu’en est-il de la fragilité de l’être, de l’incertitude du lendemain, du déchirement familial, de la crainte de la fin, de l’inquiétude du quotidien, de l’angoisse de la mort, de la barbarie humaine ? Que dire face au deuil de nos proches, des amputations de nos jeunes, des cicatrices mentales et des traumatismes, des cris d’un peuple ? 2. Un deuxième ordre de réflexion touche à la dimension collective de ce drame, aux questionnements sur le sens historique et géopolitique de l’événement. Est-ce un événement qui touche les Israéliens ou le peuple juif ? Fait-il encore partie du conflit israélo-palestinien, dessine-t-il les frontières entre les prochains alliés d’Israël et du monde, quel est le sens de ce nouvel axe IranRussie-Chine, Israël n’est-il un enjeu que pour les élections américaines, pourquoi ce conflit est-il tellement instrumentalisé en France, qu’en pensent les populations versus les dirigeants, le combat local d’Israël est-il un enjeu global ? On pourrait aussi évoquer le parti pris ou la compromission des instances internationales, l’ONU et sa morale, le « télénovélisme » (mais aussi les alliances) face aux frappes iraniennes, le silence face à un pays sous les bombes et aux populations délocalisées, et encore bien d’autres questions... 3. La dimension juive et théologique de la géopolitique fait son apparition dans l’esprit juif : s’agit-il d’un combat contre l’Islam, du bien contre le mal, comment différencier Islam et islamisme, pourquoi cette résurgence des mythes antisémites classiques, comment expliquer les chiffres ahurissants de hausse des actes antisémites ? Sommes-nous dans la continuation biblique du «peuple seul et isolé », que penser des discours apocalyptiques, pourquoi cette incompréhension du monde, l’audace de l’accusation organisée de génocide, faut-il faire confiance aux nations, l’écho du «Never Again » doit-il résonner ? Sans oublier l’inquiétude face aux pressions © ANDRE TAISSIN – UNSPLASH LA CHRONIQUE DU RABBIN LA CHRONIQUE DU RABBIN 8 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 5
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