CIG_JOURNAL_N°15_FLIPBOOK

« L’ÉDUCATION JUIVE DOIT RÉPONDRE AUX DÉFIS CONTEMPORAINS » TEXTE JEAN-DANIEL SALLIN Selon le Grand Rabbin Mikhaël Benadmon, l’éducation juive doit s’adapter au monde moderne et à ses multiples défis. C’est pourquoi il a décidé de mettre en place un programme éducatif au sein de la CIG afin d’encourager la réflexion autour de l’identité juive. Première étape : l’organisation d’un Mercredi de Rêve, une fois par mois, pour les enfants du Talmud Torah en collaboration avec sa directrice Ilanit Tordjman et son équipe d’enseignants. Mais l’ambition de la CIG est, à plus long terme, de créer un Département éducatif, afin de redéfinir l’éducation juive à Genève dans son ensemble. «Qu’est-ce que l’éducation juive ? » La question n’est pas anodine. En tout cas, elle ne tombe pas du ciel. Installé dans son bureau, au premier étage de la Maison Juive Dumas, le Grand Rabbin Mikhaël Benadmon, passionné de philosophie, aime être le poil à gratter lorsqu’il s’agit de pensée fondamentale. «Pour moi, la philosophie est avant tout un mode de réflexion, un moyen d’expression et de conceptualisation », expliquait-il à son arrivée à la CIG en 2022. Depuis deux ans, cette manière de penser a guidé ses actions et ses discussions avec les membres de la communauté. Elle l’amène également à vouloir ancrer toujours plus le judaïsme dans la société contemporaine. Et l’éducation doit en constituer un moteur. « L’éducation juive classique est surtout orientée autour de l’étude des textes sacrés », répond-il à sa propre question. Elle se révèle plutôt dogmatique : on enseigne selon ce que dit la tradition et on attend de toi que tu suives cette tradition... Cela est-il suffisant aujourd’hui ? Non. «Quand vous racontez à un enfant l’histoire fantastique de Noé, avec son arche, qui traverse 40 jours de déluge, avant de libérer toutes les espèces d’animaux qu’ il a sauvées, ça passe. En revanche, avec une personne de 50 ans, ça ne fonctionne plus. Il s’agit de métaphoriser le texte et de déterminer ce qu’ il raconte de nous. On ne peut plus le livrer comme ça, à l’état brut, sans se poser la question de notre identité et de ce que peut représenter cette arche de Noé pour nous, aujourd’hui. » QUELS SONT LES DÉFIS À GENÈVE ? Selon Mikhaël Benadmon, l’éducation juive doit désormais s’adapter au monde moderne et à ses multiples défis, car la religion, quelle qu’elle soit, est devenue une option dans une société qui nous propose tant d’autres distractions. « L’éducation doit contribuer à donner des outils à l’ individu, enfant ou adulte, pour comprendre, sous le prisme des valeurs du judaïsme, l’ impact de ce monde sur son existence et sur la manière dont il le perçoit », précise le Grand Rabbin. «Autrement dit, il s’agit de confronter le judaïsme à d’autres options : intellectuelles, pratiques, identitaires et communautaires. » En toile de fond, une autre question tout aussi fondamentale : pourquoi rester juif ? Y a-t-il réellement un intérêt à être attaché au judaïsme, à ses valeurs, à ses messages, à sa communauté ? Dès sa nomination à Genève, le Grand Rabbin s’est ainsi attelé à identifier les « défis contemporains » dans la Cité de Calvin. Un passage obligé. « Ils ne sont pas les mêmes qu’en France, aux États-Unis ou en Israël », ajoute-t-il. S’il n’a pas terminé l’exercice, il en a déjà distingué trois : le mariage mixte, la désertion de la synagogue et la cacheroute. «Des statistiques, en Europe, montrent qu’ il y a 70-75% de mariages mixtes et, au sein de la communauté, Genève est réputée pour son taux élevé (ndlr. près de 90%). Pour moi, en tant que rabbin, c’est un défi ! Pourquoi se marier entre Juifs ? Pourquoi ne pas suivre le cœur comme le monde entier ? Est-ce un problème idéologique ou pragmatique ? Nous devons nous poser ces questions. » Même questionnement autour de la fréquentation de la synagogue ! À Genève, la communauté est constituée de 7000 à 8000 personnes. Or, à chabbat, ils ne sont que 500 à se réunir régulièrement pour la prière dans toutes les synagogues du canton ! « Pourquoi l’un des cœurs de la vie communautaire est-il déserté ? Pourquoi les gens ne viennent-ils plus ? Que s’est-il passé dans leur conception identitaire pour considérer que la synagogue n’est plus un lieu incontournable ? », s’interroge Mikhaël Benadmon. Avant de se demander, dans un même élan, pourquoi la majorité des Juifs © SEBASTIAN PANDELACHE – UNSPLASH © DR I lanit Tordjman, directr ice du Talmud Torah. LE REPORTAGE LE REPORTAGE 24 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 5

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