CIG_JOURNAL_N°15_FLIPBOOK

© SHUTTERSTOCK De Jerry Seinfeld à Thomas Wiesel, des Marx Brothers à Woody Allen, les représentants de l’humour juif sont nombreux sur la scène internationale. Mais pourquoi cet humour a-t-il autant de succès ? Quelles sont ses singularités et comment a-t-il évolué dans nos sociétés ? Pourquoi est-il si important pour le peuple juif de se moquer de lui-même ? Coup de projecteur sur cet art universel qui jongle entre autodérision, ironie et tolérance. L’humour… cette notion subjective aux contours mal définis, qui peut parfois générer un sentiment de gêne chez certains pendant que d’autres rient aux éclats. «Une forme d’esprit qui s’attache à souligner le caractère comique […] de certains aspects de la réalité », si l’on s’en tient à la définition du Larousse. Serait-il finalement question d’intelligence pour apprécier ou faire une bonne blague ? Ou devons-nous prendre en compte d’autres paramètres pour rire communément de quelque chose, comme notre origine ou notre appartenance culturelle ? Il peut également être question de timing ou de contexte, pour s’autoriser à rire sainement de quelqu’un ou d’une situation. À l’image d’un humour « british » ou « à la française », l’humour juif s’est construit, au fil du temps, autour de codes précis et communs : des racines, des textes sacrés, une langue, une histoire... Effectivement, on ne rit pas en Suisse, comme on rit en Angleterre. Mieux encore, on ne rit pas chez les Séfarades comme on rit chez les Ashkénazes. Du nord au sud, d’est en ouest, l’humour juif possède cette particularité d’être pluriel, mais avec des fondements communs. La mère juive en est le parfait exemple : de Genève à New York, on brosse son portrait de femme surprotectrice avec exagération, mais toujours un brin de tendresse. Riche en traditions, l’humour juif occupe une place spéciale dans le monde du comique. Mais alors, pourquoi et comment se distingue-t-il ? Que dissimule-t-il ? Lumière sur cet outil universel qui a su évoluer à travers les générations grâce à des génies du rire, mais aussi grâce à ceux qui ont su en sourire allant parfois jusqu’à diviser les opinions de la communauté. L’HUMOUR POUR BOUCLIER Empreint d’autodérision, l’humour juif se caractérise par sa profonde compréhension de la condition humaine. Perspicace et ironique, mais toujours subtil, il se moque des clichés et des situations du quotidien en même temps qu’il illustre la lutte pour la survie de son identité. Il va même parfois jusqu’à rire du divin. Débordant de réflexions intelligentes tout en critiquant la société avec audace, les grands humoristes juifs d’hier et d’aujourd’hui l’incarnent à la perfection. Que l’on rigole ou que l’on détourne l’oreille, force est de reconnaître que l’humour juif est le rempart absolu contre les jugements et la critique, voire contre l’antisémitisme. Il se situe à la frontière du désespoir et de l’autocritique. Rire pour ne pas pleurer. Rire pour survivre. L’histoire unique – riche et complexe – de la diaspora juive, jalonnée de persécutions et de drames, est absolument et intimement liée à l’humour juif, qui puise une partie de sa raison d’être dans l’absence de pouvoir et l’incertitude de la survie d’un peuple. Les défis et les discriminations auxquels celui-ci a fait face tout au long de son existence a déclenché un mécanisme de survie. La plus belle réponse qui pouvait être. La meilleure protection contre l’emploi de mots destinés à se transformer en maux. L’humour. Mieux encore : l’humour tourné vers soi, afin de couper l’herbe sous le pied de ceux qui seraient tentés d’en faire mauvais usage. Qui pouvait s’attendre à cela venant d’un peuple ayant subi les pires tragédies humaines à travers les âges ? Que l’on ne s’y trompe pas : bien sûr, l’humour chez les juifs contemporains découle des persécutions subies, à l’image de quelqu’un qui rigolerait de lui-même à la suite d’une chute dans la rue. On se moque de soi, histoire de dédramatiser et d’alléger un peu la douleur… Mais rigoler a toujours fait partie de l’ADN juif. C’est une qualité intrinsèque qui, même aux origines, pouvait être observée. « L’HOMME PENSE, DIEU RIT » En réalité, l’humour juif remonte à des siècles, voire des millénaires et les sources historiques sont multiples. On trouvait déjà dans les textes sacrés de la Torah et du Talmud, des marques de sarcasme. Au commencement de l’Histoire, on riait… En effet, lorsque Dieu, en la personne de trois hommes, annonce la venue d’Isaac à Sarah, la réaction de l’intéressée est inattendue. « Elle rit en silence : ‹usée comme je suis, et flanquée d’un vieil homme, je connaîtrais encore le plaisir ?› » (Genèse 18 : 12). Sarcastique et osé, déjà ! Aujourd’hui encore, il arrive parfois que l’humour juif soit directement dirigé contre le divin. Et cela est tout à fait toléré dans la tradition L’HUMOUR JUIF : UNE RICHESSE À PARTAGER TEXTE FLORIANE PIERMAY 19 L’ENQUÊTE J U IN-SEP TEMBRE 2024

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