CIG_JOURNAL_N°15_FLIPBOOK

JOHN ARMLEDER : « JE NE CROIS PAS À L’ORIGINALITÉ » TEXTE JEAN-DANIEL SALLIN Jusqu’au 5 janvier, l’artiste genevois fait dialoguer un ensemble d’œuvres en verre avec des artefacts issus des collections du Musée Barbier-Mueller, en VieilleVille. L’occasion d’évoquer la carrière de cet homme de 76 ans, qui a survécu à une hémorragie cérébrale en 2008 et qui continue de poser un regard amusé sur le monde. Rencontre dans son atelier aux Charmilles ! Son atelier se situe à deux pas de la HEAD, dans un bâtiment dédié aux artisans. Il s’y est installé avec Mai-Thu Perret un peu avant le Covid-19. «Nous avons failli quitter les lieux après quelques mois seulement, parce que, selon la régie, nous ne correspondions pas totalement à la définition de l’artisanat », sourit John Armleder. L’espace est occupé par des étagères remplies de livres et de monographies – vestiges de son activité de « libraire » à la galerie Écart dans les années 70. Il y a un sapin de Noël doré au centre de la pièce, « parce que c’est Noël tous les jours ». À l’âge de 76 ans, l’artiste genevois continue de faire parler de lui. En juin, la galerie Lange & Pult, à Auvernier, avait réuni les « Trois Fantastiques » de l’art contemporain suisse – Sylvie Fleury, Olivier Mosset et, donc, John Armleder – pour célébrer ses 25 ans. Et, jusqu’au 5 janvier, quelques-unes de ses œuvres en verre dialoguent avec des artefacts issus des collections du Musée Barbier-Mueller. « J’étais assez proche de la famille », explique-t-il. « Lorsque Jean-Paul est décédé, en 2016, j’avais prêté une pièce en son honneur. L’idée d’organiser une exposition est née tout naturellement. Beaucoup de ces œuvres en verre ont rarement été exposées jusque-là. » Quelle relation avez-vous avec l’art aborigène ? Tout me parle, mais je ne suis pas un spécialiste. Je n’ai jamais eu l’idée de sectorisation des choses, j’ai toujours trouvé ça similaire... Je me souviens d’un voyage en Australie, nous avions visité Ayers Rock, ou plutôt Uluru comme l’appellent les aborigènes. Ceux-ci nous disaient qu’il était interdit de s’y rendre, parce que c’était sacré. Ils regardaient les Occidentaux monter sur ce rocher et les comparaient à des fourmis. Le plus impressionnant, c’était de voir ces Australiens s’agglutiner autour d’Uluru pour assister au coucher de soleil et applaudir une fois que c’était terminé. C’est l’une des rares fois où j’ai vu des gens applaudir la nature ! Pourquoi avoir décidé de travailler le verre? J’avais déjà fait quelques œuvres en verre par le passé, mais la plupart ont disparu. Ma première exposition spécialisée dans le verre avait eu lieu au début de la galerie Écart, à la rue Plantamour. Il fallait bien qu’on teste des choses nous-mêmes avant d’exposer d’autres artistes... J’étais allé récupérer des objets dans une verrerie laboratoire, dans un immeuble en face de l’Université voué à la démolition, et j’avais organisé une exposition seulement avec des débris de verre. On est loin de Murano... L’idée d’aller créer des objets en verre à Murano, près de Venise, est venue d’un ami, Sandro Rumney, petit-fils de Peggy Guggenheim. En 2008, j’ai été victime d’une hémorragie cérébrale à la suite de l’ablation d’une tumeur au cerveau. J’étais dans le coma, on ne me donnait aucune chance de vie... Je suis resté 14 mois à l’hôpital, je suis un survivant ! Quasiment en même temps, Sandro a été victime d’un AVC en montant sur une pyramide au Mexique. Ces problèmes de santé nous ont rapprochés et le projet d’aller ensemble à Murano pour travailler le verre avec une famille d’artisans nous a paru évident. C’est la première fois que je collaborais en direct avec un souffleur de verre (ndlr. Silvano Signoretto). Je l’ai encouragé à commettre toutes les erreurs possibles, comme inclure des gouttes d’eau dans le verre en fusion. À chaque fois, il me disait : « Je ne peux pas faire ça ! Mais je vais essayer... » À la fin, il était aux anges. Dessins, performances ou sculptures, votre œuvre est plutôt variée. Y a-t-il un médium que vous préférez ? Les choses paraissent différentes, mais c’est le même processus ! J’utilise beaucoup le hasard. Cela vient de ma rencontre avec John Cage qui a beaucoup utilisé le hasard dans sa musique et qui a influencé de nombreux artistes dans les années 60 avec le mouvement Fluxus. Je l’ai rencontré à l’âge de 12 ans et, pour moi, cette rencontre représente ma troisième Épiphanie. La première a eu lieu à l’âge de trois ans, à Florence, devant l’aile polychrome de l’archange Gabriel, dans L’Annonciation de Fra Angelico. Il paraît que je pleurais à chaudes larmes devant ce tableau... La deuxième, c’était en 1956 au Museum of Modern Art de New York : ma mère m’avait perdu et m’a retrouvé devant le Carré blanc sur fond blanc de Malevitch. Je lui ai alors dit que c’était ce que je voulais faire dans la vie. Fra Angelico, Malevitch, John Cage... On peut difficilement faire mieux. (sourire) C’est ce qui a forgé votre envie de faire de l’art ? J’ai toujours voulu faire ça. Tout petit, je passais des heures à faire des dessins. C’est une chose qui m’obsédait. Je ne m’arrêtais pas. Ce qui n’était pas le cas de mon frère aîné, alors qu’il était plus artiste que moi. Il écrivait, il adorait aussi créer : dans l’hôtel, dont ma famille était propriétaire (ndlr. le Richemond), il changeait des choses toutes les semaines. Nous étions proches, mais aussi très différents. Un jour, il m’a dit : « Je m’occuperai de l’hôtel, comme ça, tu © ANANNIK WETTER 10 LA RENCONTRE LA RENCONTRE LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 5

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