CIG_JOURNAL_N°14_FLIPBOOK

POUR LES PERSONNES DE (BONNE) FOI UNIQUEMENT ! TEXTE MIKHAËL BENADMON Le cours commence. Je note au tableau le mot «Emouna», tel quel, fidèle à l’expression italienne traduttore traditore, « traduire, c’est trahir». Mais comment traduire ce mot en français ? L’état des lieux basé sur la pensée associative s’enclenche alors. Au début, les participants balbutient, c’est lent, ça grince, ça relève du sens commun : foi, croyance, confiance, espérance... Mais très rapidement, les idées fusent : prière, souhait, bonheur, sérénité, calme. Et on continue de plus belle : force, hargne, rage, incompréhension, certitude, doute. On passe d’un registre à l’autre par les mots uniquement, sans avoir besoin de conceptualiser : «Néchama», choix, perception, intérieur, acte, intime, pensée, puissant, profond, amour, inexplicable. Les idées se bousculent en dehors de toute cohérence : tiraillement, torture, tripes, cœur, sagesse, chemin de vie... En mettant un peu d’ordre, je perçois clairement deux approches : la première, qui voit dans la relation à D.ieu une source de bonheur, de bien-être, d’enrichissement de la personnalité ; et la deuxième, qui vit cette relation dans le tiraillement, le doute, l’incertitude. Ces deux approches me paraissent toutes deux, dans leur antagonisme manifeste, authentiquement religieuses. Elles stimulent l’individu et éveillent en lui une démarche constructive. Comment la religion peut-elle alors mener au fanatisme, à la violence et à la barbarie ? Où se situe le détonateur qui fait tout balancer dans l’horreur et comment s’installe-t-il dans la relation religieuse ? RELIGION ET FAITS DIVERS La tradition juive distingue clairement la relation de l’homme envers D.ieu et celle envers son prochain (cette distinction apparaît également dans les traditions chrétiennes et musulmanes, chacune dans un contexte différent). L’exigence d’intégrité ne saurait être divisée. Mais ça, c’est dans la théorie uniquement. Les faits divers nous submergent d’histoires de religieux corrompus, violents, misogynes, racistes et déviants. Ces hommes peuvent être irréprochables face à D.ieu, mais n’en sont pas moins des pourritures face aux hommes. Remplir ses devoirs religieux ne crée pas un homme meilleur, au même titre qu’être bon avec l’autre n’enrichit pas la relation à D.ieu. L’asymétrie est criante. Certains l’accepteront comme un fait sociologique et en seront désolés ; et d’autres pourraient même y voir une vérité théologique : l’objectif de la relation envers D.ieu n’est pas de pacifier la relation à autrui. La religion n’est pas soumise à l’exigence éthique, diront-ils. APPRENDRE À SE CONNAÎTRE Le fanatisme est possible, car il manque une troisième dimension fondamentale : la relation de l’homme envers lui-même. Le travail sur le caractère et les vertus, l’introspection constante, la pratique méditative de prière et le développement d’une vie spirituelle riche et dynamique n’en est qu’une partie. Apprendre à se connaître, à s’écouter, à comprendre l’origine de ses émotions, ses peurs, ses espoirs et ses instincts en constitue un deuxième volet. La réflexion autonome, la capacité critique à passer au crible sa personnalité, mais également sa tradition en fait pleinement partie. Critiquer ses textes fondateurs, sa société, ses institutions et ses leaders n’est pas un signe de distance, de rébellion ou d’infidélité à la tradition. C’est au contraire le remède à la soumission aveugle à un ordre perçu comme violent. La mise en pratique de cette dimension de l’homme face à lui-même requiert de la discipline, de la constance, du sérieux et est sans aucun doute le plus grand défi qu’une personne puisse relever. Elle demande à être encadrée par des maîtres en la matière, des êtres d’exception qui ont derrière eux des années de travail sur soi. QUELLE PERCEPTION DE D.IEU? La (bonne) foi est un triangle entre ces trois dimensions et leur interaction constante. Qui ne s’aime pas ne pourra pas aimer les autres, ni aimer D.ieu. Qui n’aime pas les autres ne pourra pas s’aimer, ni aimer D.ieu. Et inversement : qui aime D.ieu aimera plus les hommes et lui-même. La capacité à parler à autrui est intimement liée au développement d’un dialogue intérieur constructif et à une parole ouverte avec l’absolu. La perception de D.ieu joue là un rôle essentiel. Si D.ieu est perçu comme un tyran, un dictateur, un D.ieu masculin viril et jaloux, il y a tout à croire qu’il va générer un homme frustré et blessé qui projettera sur autrui sa frustration : il m’écrase, alors je t’écrase. Les psychologues nous diront que cette perception négative de D.ieu trouve sans doute sa source dans un homme déjà frustré qui cherche en D.ieu la compensation narcissique dont il a besoin, que son malêtre conditionne sa relation religieuse. Ce qui renforce notre lecture qui exige le bien-être comme fondement religieux. Il en va tout autrement d’un D.ieu perçu comme bonifiant l’homme, qui appréhende l’homme comme partenaire dans l’œuvre de la création, qui veut son bien et celui LA CHRONIQUE DU RABBIN LA CHRONIQUE DU RABBIN 8 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 14

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