CIG_JOURNAL_N°14_FLIPBOOK

LE VITRAIL MONUMENTAL DE RÉGINE HEIM TEXTE JEAN PLANÇON Le 30 mars 1980 est inauguré le vitrail en dalle de verre destiné à orner l’extrémité orientale de l’Oratoire israélite de Veyrier, et ce, en lieu et place des trois grandes fenêtres en demi-lune présentes auparavant. À l’origine de ce projet, Vladimir Halpérin qui, dans le cadre d’une campagne de restauration conduite par l’architecte Samuel Bendahan, a souhaité ajouter une nouvelle dimension artistique à l’édifice réalisé par l’architecte Julien Flégenheimer en 1931. Réalisé par l’artiste suisse d’origine polonaise, Régine Heim, ce vitrail est un véritable chef-d’œuvre de l’art religieux contemporain, tant par la finesse et la qualité des vitraux en dalle de verre qui le composent que par ses dimensions monumentales : 45 dalles de près de 1m2 chacune, insérées dans une structure métallique de 9,35 mètres de long sur 4,35 de haut, soit une surface de 41m2. Cette fresque aux éclats de verre saillants éclaire et interprète admirablement la lumière de ce lieu de recueillement en offrant une vision contemporaine des textes fondateurs de la Bible hébraïque : le chaos initial, l’arbre de vie avec ses racines profondes entouré par les eaux et les flots, le soleil, la lune et les étoiles, le jaillissement du buisson ardent, les gouttes de la rosée céleste qui descendent sur les flammes, le tout béni par la manne céleste, un ciel rayonnant et scintillant par la multitude des étoiles représentées par de tout petits éléments de verre. La citation en guirlande – «À toi, Seigneur, appartiennent la grandeur, la puissance, la gloire, l’autorité et la majesté. À toi ce qui est dans le ciel et sur la terre » – constitue un contre-point au magnifique arc-en-ciel, symbole d’alliance et d’union, ce qui donne à l’ensemble une dynamique étonnante. TECHNIQUE DIFFICILE À MAÎTRISER La dalle de verre est une technique moderne, initiée à Paris par Jean Gaudin dans les années 1930, parallèlement à l’émergence de la construction en béton dans l’architecture. Peu de maîtres verriers s’y sont cependant essayés : cette technique est difficile à maîtriser, ce qui explique le nombre assez peu élevé d’œuvres de ce genre dans le monde, en comparaison avec la technique habituelle du verre fin utilisé pour la réalisation des vitraux classiques dans les églises et autres édifices religieux. Les pavés de verre, qui doivent être teintés dans la masse au moment de leur fabrication, peuvent mesurer à l’état brut 30x20cm pour une épaisseur de 2 à 3 cm. À Veyrier, certains atteignent cependant 15 cm d’épaisseur, offrant un relief et une variation interne des contrastes de couleur rarement observés ailleurs dans des œuvres similaires. Ces pavés sont ensuite taillés et sertis dans un réseau de ciment capable de résister aux variations de température (dilatation, contraction). La taille des grandes lignes est réalisée à la scie à eau électrique, puis chaque pièce est ensuite taillée plus précisément, selon les calibres, à l’aide de la marteline, qui vient heurter la dalle de verre posée sur le tranchet (planté dans un billot de bois). À la différence du vitrail au plomb, c’est la matière du verre et la résistance propre à chaque dalle qui déterminent le résultat final. Les pièces sont alors décapées, puis positionnées sur un lit de sable selon un dessin réalisé préalablement sur un chablon. Un coffrage en bois de la taille de chaque dalle souhaitée entoure le tout. Un mélange de ciment, de sable et de résine est alors coulé entre les morceaux de verre. La surface visible est bien nettoyée et un temps de séchage est nécessaire (environ 24h) avant que le vitrail puisse être levé. Reste ensuite à le sertir dans une structure métallique capable de supporter le poids des dalles réalisées. JEUX DE LUMIÈRES L’œuvre de Régine Heim dans ce vitrail se singularise d’abord par ses dimensions importantes. Les dalles, de grand gabarit, ont été insérées dans une structure métallique dont le quadrillage a été volontairement limité : cela a permis d’obtenir une optique d’ensemble dégagée et lumineuse, alors que d’autres réalisations en dalle de verre souffrent d’une certaine lourdeur visuelle, due à un maillage très important qui a tendance à les obscurcir. De fait, la fresque de Veyrier offre une grande clarté grâce à un véritable spectacle de jeux de lumières sublimé par la vivacité des couleurs obtenues, les contrastes dus aux reliefs des pierres taillées, et la configuration panoramique de l’ensemble. Il se présente en effet sous la forme d’un grand rectangle de forme concave, un choix qui n’a rien d’anodin, puisqu’à l’instar des barrages hydrauliques, la structure cintrée de l’œuvre absorbe mieux les forces de pression exercées. Enfin, elle frappe les esprits, non seulement par les inspirations bibliques qui y sont représentées, mais aussi par la multiplicité des éclats de verre, aux dimensions et formes extrêmement variées, qui, disposés telle une mosaïque, font de cette fresque une des plus belles œuvres de ce genre au monde. QUAND ISRAËL S’EN INSPIRE Cela n’a pas échappé aux représentants religieux et artistiques de l’État d’Israël qui, subjugués par ce vitrail, ont voulu – une fois n’est pas coutume – s’inspirer d’une œuvre réalisée en diaspora. Régine Heim fut donc mandatée pour réaliser une copie du vitrail de Veyrier dans la Grande synagogue de Jérusalem. Celui-ci fut ré- © POINT-OF-VIEWS.CH L'HISTOIRE L'HISTOIRE 18 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 14

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