LES PUNITIONS COLLECTIVES SONT-ELLES UNE RÉPONSE AU TERRORISME ? TEXTE MIKHAËL BENADMON Face à la folie criminelle qui frappe Israël ces dernières semaines, des citoyens s’essayent en géopolitique ou en stratégie antiterroriste : « Il faut tous les foutre dehors », « Il faut leur faire regretter en touchant leurs famille », «Poutine, lui, les aura mis au peloton et aurait réglé ça en dix minutes », etc. Autant de propos radicaux qui reflètent une détresse évidente et une disposition à mettre entre parenthèse les normes de morale élémentaire dans l’application d’une punition collective, qui elle serait à même d’enrayer la folie terroriste. De tels propos sont-ils en accord avec la tradition juive ? A première vue, l’exigence de justice en temps de guerre ne s’estompe pas. Cette idée est illustrée dans plusieurs épisodes du récit biblique. Le plus emblématique est sans doute celui d’Abraham, offusqué par la décision divine de détruire Sodome et Gomorrhe avec ses quelques justes innocents, et qui déclare sur un ton quelque peu impertinent : «Loin de toi d’agir ainsi, de frapper l’innocent avec le coupable, les traitant tous deux de la même façon! Loin de toi ! Celui qui juge toute la terre serait-il un juge inique?» Un épisode biblique nous invite à réfléchir à ces questions et à leurs enjeux. Résumons-le rapidement : Dina, fille de Jacob, est enlevée et violée par Sichem, fils de Hamor. Les enfants du patriarche, peinés, font alors croire à Hamor que si son peuple se circoncit, il serait alors envisageable d’organiser des mariages interethniques. La condition étant acceptée et accomplie, les deux fils Simon et Levi prennent alors leurs armes et passent au fils de l’épée le coupable, son père ainsi que tous les mâles de la ville au moment où ceux-ci sont le plus affaiblis par la circoncision. Il s’agit donc clairement d’une punition collective : il ne suffit pas de punir Sichem pour son acte, mais il s’agit de punir tout son peuple. Les réactions de Jacob et de ses enfants ne manquent pas de surprendre : « Jacob dit à Siméon et à Lévi : ‹Vous m’avez rendu malheureux en me mettant en mauvaise odeur chez les habitants du pays, le Cananéen et le Phérézéen ; moi, je suis une poignée d’hommes, ils se réuniront contre moi et me frapperont et je serai exterminé avec ma famille.› Ils répondirent : ‹Devait-on traiter notre sœur comme une prostituée ?› » Pourquoi avoir agi ainsi ? Le texte présente l’affront ressenti par les frères et le sentiment de vengeance qui les habitait sans doute. Nous aurions ainsi à faire à des hommes humiliés dénués de capacité de jugement et qui agissent d’une façon impulsive et irréfléchie. Jacob les réprimande à ce propos et ne semble pas condamner l’immoralité de leur acte mais l’erreur stratégique au fondement de leur décision en évoquant uniquement ses conséquences néfastes sur la survie du clan. La loi du plus fort jouant en leur défaveur, ils sont dans l’obligation de plier bagage. Vous pensiez régler un problème par le biais de la punition collective mais vous en avez créé un autre et nous sommes à présent affaiblis en proie à un lynchage physique et «médiatique » («Ces gens sont violents »). Mais Jacob n’envisage-t-il cet évènement que sous l’angle de la loi du plus fort ? Vraisemblablement non ; il corrige ce jugement plus tard lorsqu’avant de mourir il leur lègue sa dernière bénédiction. Il adopte alors un discours clairement moraliste et leur rappelle leur folie meurtrière : «Siméon et Lévi ! Digne couple de frères ; leurs armes sont des instruments de violence. Ne t’associe point à leurs desseins, ô mon âme ! Mon honneur, ne sois pas complice de leur alliance ! Car, dans leur colère, ils ont immolé des hommes et pour leur passion ils ont frappé des taureaux. Maudite soit leur colère, car elle fut malfaisante et leur indignation, car elle a été funeste ! Je veux les séparer dans Jacob, les disperser en Israël. » (Genèse, 49, 5-7) Voici que la bénédiction parentale ultime devient malédiction. Le message que les enfants souhaitent retenir du père, ce qu’il leur lègue pour eux et leur descendance, est une critique rigide. Jacob insiste sur les motivations qui ont mené les deux frères à l’expédition punitive. Il ne mentionne ni la soif de justice ni la peine de leur sœur ; il n’identifie pas dans leur acte le reflet de grandes valeurs. Il se contente de décrire leur mauvaise vertu : ce qui a motivé leur vengeance est leur colère et leur passion. A la base de ce comportement se trouve une personnalité déséquilibrée qui est incapable de dompter son ardeur et de mesurer ses réactions. Selon cela, le fanatisme religieux est possible et prend ses sources dans un profond déséquilibre de la personnalité : vous n’êtes pas des héros mais des gens malades. La tradition biblique nous livre LA CHRONIQUE DU RABBIN LA CHRONIQUE DU RABBIN 8 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 1 3
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