CIG Magazine N°12

ADOLPHE NEUMAN, HORLOGER ET PHILANTHROPE TEXTE JEAN PLANÇON Né à Varsovie en 1884, Adolphe Neuman fait partie de ces quelques personnalités emblématiques qui ont marqué l’histoire de la Communauté juive genevoise au cours du XXe siècle. L’œuvre considérable de cet homme reste pourtant assez mal connue de ses coreligionnaires genevois, peut-être en raison de la discrétion et de l’humilité dont il a fait preuve durant toute sa vie. UN PHARMACIEN QUI DEVIENT HORLOGER Après avoir fait des études de pharmacie à l’Université de Varsovie, Adolphe Neuman décide cependant de fuir la pauvreté, la pénurie d’emploi et la précarité du sort des Juifs dans la Pologne russe au tournant du XXe siècle. S’établissant en Suisse, à Granges, en 1905, à l’âge de 21 ans, il intègre alors une fabrique d’horlogerie comme simple ouvrier à une époque où une grande main d’œuvre étrangère est sollicitée dans l’industrie horlogère du Jura suisse. Durant dix ans, il se perfectionne à toutes les branches du métier, faisant régulièrement des voyages aux Etats-Unis pour s’enquérir des méthodes de fabrication outre-Atlantique. L’expérience acquise, il décide en 1918 de voler de ses propres ailes et s’installe à Genève. Avec l’appui de son ancien employeur, qui lui accorde un prêt, il s’associe à Naum et Samuel Stroun, et crée sa propre marque horlogère Etna Watch. Le moment semble pourtant peu propice alors que l’industrie horlogère suisse subit les effets d’une économie fragilisée par la Première Guerre mondiale. Le pari sera néanmoins gagnant pour Adolphe Neuman qui réussit à pénétrer le marché américain pourtant si concurrentiel à cette époque. Etna Watch se paiera même le luxe, durant la Seconde Guerre mondiale, de fournir à ses clients américains les montres et les pièces détachées que leurs propres usines, absorbées par l’effort de guerre, ne produisaient plus. Etna Watch, malgré des débuts prometteurs, qui lui permettent un rapide essor, ne survivra cependant pas à la vague americano-japonaise des montres à quartz qui déferle sur le marché mondial dans les années 1970. LE PHILANTHROPE Débordant d’énergie, Adolphe Neuman consacrera aussi une partie de sa vie à des œuvres philanthropiques. Ainsi, il portera une remarquable assistance aux réfugiés fuyant le nazisme en abritant nombre d’entre eux dans sa maison genevoise. Il prendra également l’initiative de fonder en 1942, avec son ami Salomon Kagan, le restaurant casher « La Mensa » où étudiants et réfugiés viennent prendre un repas chaud à moindre coût. Durant ses quatre premiers mois d’existence, ce restaurant servira plus de 12000 repas ! En 1949, Adolphe Neuman contribue à la création de l’ORT à Anières en soutenant financièrement la rénovation de l’édifice acquis ainsi que la création de la bibliothèque de l’institut. Il crée ensuite un dispensaire ouvrier, un Fonds de solidarité pour les enfants, les cuisines scolaires et les colonies de Plainpalais. Son engagement philanthropique se diffusera aussi dans le domaine de la culture avec la création de la Fondation Adolphe Neuman qui, en partenariat avec l’Université de Genève, la ville de Genève ou encore celle de Paris, délivre chaque année différents prix, dont le prix d’esthétique et morale consacré à la philosophie ; le prix Judaïca qui porte sur la culture juive ; le prix de musique au conservatoire de Genève ; le prix d’art à la société des Arts de l’Athénée ; le prix international pour la littérature yiddish ; le prix Pro Arte délivré par le Musée d’Art populaire juif de Paris ; et enfin le prix de la ville de Genève et de la Fondation Adolphe Neuman. DES MONDES SÉPARÉS Malgré les apparences d’une vie pleine et intense, alors que tout semblait lui avoir réussi dans une Suisse accueillante qui lui avait accordé un asile providentiel, Adolphe Neuman cachait néanmoins une profonde douleur qui allait l’accompagner durant toute son existence. En quittant Varsovie, il avait laissé derrière lui son frère Marcus qui fera le choix d’une autre voie, celle de s’établir en Russie, où l’arbitraire et les aléas du système soviétique finiront par le briser. De fait, Adolphe ne reverra jamais son frère, ni le reste de sa famille. Il faudra attendre cent ans pour que leurs petites filles respectives se rencontrent et entreprennent la démarche de reconstituer l’histoire d’une famille dont le parcours s’est poursuivi dans des mondes séparés. C’est ainsi qu’en octobre 2010, à Genève, les deux branches de la famille se réunissent enfin à nouveau. « MALGRÉ LES APPARENCES D’UNE VIE PLEINE ET INTENSE, DANS UNE SUISSE ACCUEILLANTE […], ADOLPHE NEUMAN CACHAIT NÉANMOINS UNE PROFONDE DOULEUR QUI ALLAIT L’ACCOMPAGNER DURANT TOUTE SON EXISTENCE. » L'HISTOIRE L'HISTOIRE 20 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 12

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