CIG Magazine N°12

Juifs ont aussi ramené de chaque pays d’où ils sont revenus – de France, de Pologne, du Maroc, des États-Unis – une certaine sagesse. Ce cocktail est donc détonnant. C’est un pays qui n’est jamais enkysté : il est toujours à la recherche de nouvelles idées, de nouvelles perspectives, il sait dialoguer. C’est l’héritage du judaïsme antique : cette capacité à se contredire sans arrêt, mais sans créer de schismes. C’est une vraie richesse ! Vous avez dit que Tsahal, l’armée israélienne, a eu beaucoup d’influence sur le développement du high tech en Israël. Comment l’expliquer ? Il existe des unités technologiques dans Tsahal – notamment l’Unité 8200 qui est la plus connue. Elles recrutent des jeunes à très haut niveau dans des matières comme les mathématiques et à l’origine de toutes les grandes sociétés de high tech. Dans ces unités, les jeunes apprennent à concevoir des logiciels, des systèmes de protection informatique, etc. Ensuite, ils se reconvertissent dans le privé et y adaptent les technologies acquises à l’armée. Cela explique en grande partie la réussite du high tech israélien. Ses fleurons, ce sont la sécurité informatique, les logiciels d’espionnage ou de localisation comme Waze, et ils découlent tous de la technologie militaire. Israël est aussi réputé pour son agriculture innovante notamment avec sa méthode de micro-irrigation mise au point en 1965… Le peuple juif a été complètement déconnecté de la terre depuis 2000 ans. Parce qu’il a été très nomade, il ne pouvait donc pas s’accrocher à un territoire. Il y avait aussi des interdits de l’église et des sociétés environnantes qui lui refusait le droit de cultiver ou d’acquérir des terres. On sait bien que la Bible tout entière est imprégnée par la culture agricole. Les fêtes sont toutes des célébrations agricoles. Le peuple juif, au début du XXe siècle, quand il revient sur sa terre, s’est tout de suite attaché à l’agriculture et l’a développée. Pour Ben Gourion, c’était un moyen de survie : rendre le peuple autonome. Maintenant, on peut dire que ce sont déjà des vétérans de cette agriculture. À cause du manque d’eau et du manque de terres arables, ils ont donc développé toute une technologie qui s’est ensuite exportée dans le monde entier. Pour le rabbin Mikhaël Benadmon, tout le monde rêve en Israël, mais les rêves des uns ne sont pas forcément compatibles avec les rêves des autres. Êtes-vous d’accord avec ça ? Non. Tout le monde partage le même rêve. Tout le monde n’a pas la même façon de vivre ou le même idéal de vie. Et encore, cela se discute... Moi, je vais vraiment dans tous les milieux : des ultra-orthodoxes jusqu’aux laïcs du high tech. C’est un éventail assez large ! On s’aperçoit qu’il y a un idéal en partage : ils veulent tous une société de justice. La justice ne se trouve pas toute seule, c’est une élaboration. Mais il y a une quête de justice sociale. Une aspiration à ne pas se contenter seulement de la réussite matérielle. Même les gens très riches sont investis soit dans une association caritative, soit dans des mouvements intellectuels ou politiques. Il y a aussi, par-dessus tout, cet idéal de vivre – comme le dit l’hymne national – indépendant et libre sur la terre ancestrale. On le voit bien, dès qu’il y a une guerre, la société tout entière se rassemble, il n’y a plus de gauche ou de droite, de Tel Aviv ou de Jérusalem: tout le monde est ensemble pour faire face à l’adversité. Dans les médias, on voit souvent le conflit israélo-palestinien par le petit bout de la lorgnette. Comment faire sur le terrain pour élargir le débat ? On a toujours tendance à trouver des victimes et des bourreaux. Dans la communauté juive, on reproche souvent aux médias de prendre parti pour les Palestiniens et de les faire passer pour des victimes. Je viens de faire un reportage pour Arte dans lequel je montre qu’il n’y a pas de victimes dans cette histoire. Évidemment, il y a des gens qui meurent, il s’agit d’un conflit armé... Mais il y a deux peuples qui se font face et qui réclament la légitimité sur la même terre, et même sur la même ville, puisqu’au cœur du conflit, il y a quand même Jérusalem, avec cette esplanade des Mosquées qui est elle aussi disputée. C’est une réalité qu’on refuse de voir. Il n’y a pas de méchants, ni de gentils. Journalistiquement parlant, c’est comme ça que j’aborde le conflit : il y a deux légitimités qui s’affrontent, totalement irréconciliables, et des portes de sortie qui ne sont pas celles qu’on croit. En vingt ans de carrière, je n’ai jamais eu de problème avec ma hiérarchie. Cette manière de faire convient parfaitement aux médias occidentaux. Vous l’avez dit dans votre conférence, il n’y a pas de solutions à ce conflit, juste ? Nous sommes à un moment où il n’y a pas de solution. On a essayé la partition, avec les accords d’Oslo, ça n’a pas marché. J’ai cru à un établi national, mais on voit que c’est très compliqué : il y a eu les émeutes de Lod et une recrudescence des attentats du côté de Naplouse... On voit très mal comment faire vivre tous ces gens ensemble. On se trouve dans un statu quo qui dure depuis 56 ans – depuis la guerre de Six Jours. Et on ne sait pas combien de temps cela va durer ! On pensait qu’avec les jeunes générations, la situation se détendrait... Ce n’est pas le cas ! Les jeunes sont encore plus radicaux que les aînés. Maintenant, avec Internet, il y a une radicalisation des Arabes qui ne vivent pas dans les territoires, mais avec les Israéliens au quotidien. Ils sont abreuvés de propagande directement par le téléphone mobile. Mais on observe ça aussi chez la jeunesse israélienne – qui vote massivement Ben-Gvir : son électorat est représenté par des jeunes de 20 ans. Vous vivez à Jérusalem: est-ce que vous vous sentez parfois en danger ? Non. Je n’ai jamais senti un vrai risque, j’ai travaillé dans d’autres pays plus dangereux... Cela peut déraper assez rapidement, mais la vie quotidienne n’est pas marquée par ça. Elle est plutôt marquée par les difficultés matérielles : c’est un pays assez dur, la vie est chère, il est difficile de gagner sa vie... La sécurité n’est pas un sujet dont on discute. Quand il y a des attentats, oui, mais après, ça passe et on retombe dans le quotidien comme en France ou en Suisse. ® RTS/ANNE KEARNEY « L’EXCEPTION ISRAÉLIENNE. ENQUÊTE SUR UN ÉTAT CONTROVERSÉ », PAR STÉPHANE AMAR. ÉDITIONS L’OBSERVATOIRE. 208 PAGES. 18 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 12 L'ENTRETIEN

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