CIG Magazine N°12

bannir tout signe fasciste du paysage suisse. « Il serait logique d’ interdire les symboles connus de tous, représentant la dictature qui a conduit à de tels événements », a martelé Marianne Binder-Keller, conseillère nationale depuis 2019. Pour Laurent Selvi, la Suisse est désormais mûre pour sauter ce pas. « Il a fallu du temps pour que ça se décante. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, notre pays a dû faire son examen de conscience sur le rôle joué dans le conflit. Le rapport Bergier (ndlr. à la fin des années 90) en a constitué une étape-clé. Aujourd’hui, nous arrivons à l’aboutissement de ce processus de digestion. » Il n’y a donc pas de hasard si les « événements » se succèdent au Palais fédéral ! Mais cela garantira-t-il un vote positif au Conseil des États ? Rien n’est moins sûr. Les conclusions du rapport de l’Office fédéral de la justice (OFJ), élaboré sur mandat de la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter en 2022, pourraient en effet apporter de l’eau au moulin des opposants. Selon les experts consultés, « une interdiction (...) est en principe possible, mais que la création d’une nouvelle norme se heurterait à d’ importants obstacles juridiques et rédactionnels ». Explications : « l’utilisation publique de symboles nazis, racistes, extrémistes ou faisant l’apologie de la violence est punissable en droit actuel lorsque l’auteur entend ainsi propager publiquement une idéologie. » Cet acte est en effet réprimé par l’article 261bis du Code pénal. RÉPRESSION OU PRÉVENTION? Pour les praticiens interrogés, il n’y a donc pas de nécessité urgente d’agir ! À leurs yeux, les lois policières cantonales offrent aux forces de l’ordre des instruments suffisants pour intervenir, notamment lors de manifestations. Et, si l’on voulait étendre la norme pénale actuelle, il faudrait alors englober tous les symboles de discrimination raciale – en plus des symboles nazis. Mettre l’accent sur la répression imposerait une solution uniforme dans toute la Suisse. Soit en complétant l’article du Code pénal par une interdiction explicite de ces symboles nazis et racistes ; soit en adoptant une loi spéciale – ce qui permettrait de régler l’interdiction de manière plus détaillée. Mais cela entraînerait d’autres difficultés. Comment rédiger cette norme de manière suffisamment ouverte pour permettre aux tribunaux de prendre en compte le contexte de l’acte dans chaque cas ? Comment la formuler pour que chacun puisse savoir ce qui est permis ou interdit ? Et il y a encore la question des exceptions pour que l’utilisation de ces symboles à des fins scientifiques, éducatives, artistiques ou journalistiques reste possible. Le Conseil fédéral n’a jamais caché son opposition à cette motion déposée par Le Centre et, par la voix d’Elisabeth Baume-Schneider, cheffe du Département de la Justice, milite plutôt pour une politique de prévention. Le président de la CICAD, lui, ne comprendrait pas que cette interdiction soit refusée au niveau fédéral. «Nous pouvons toujours chercher des excuses pour ne rien faire », plaide Laurent Selvi. «Mais c’est de la responsabilité de notre législature de ne tolérer aucune manifestation qui puisse rappeler le nazisme. Le message envoyé doit être clair et ne rien laisser au doute ou à la tergiversation ! » Il salue d’ailleurs l’initiative du canton de Genève qui s’est déjà positionné pour l’interdiction des symboles nazis sur son territoire. Un choix fort qui pourrait aussi inciter la Berne fédérale à corriger la carence de son droit pénal. La balle est désormais dans son camp. Le Conseil fédéral vient de débloquer un crédit de 2,5 millions de francs pour la création d’un mémor ial en souvenir des victimes suisses du nazisme en ville de Berne. 15 AVR I L-SEP TEMBRE 2023

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