CIG Magazine N°12

INTERDICTION DES SIGNES NAZIS : LA SUISSE EST-ELLE PRÊTE ? TEXTE ADRIEN MAILLARD Alors que le Conseil fédéral a débloqué un crédit de 2,5 millions pour ériger un mémorial en souvenir des victimes suisses du national-socialisme en ville de Berne ; à Genève, le Grand Conseil a voté en juin passé l’introduction dans la Constitution de l’interdiction des symboles de haine, notamment nazis, dans les espaces publics. Une première en Suisse, alors que les discussions battent encore leur plein dans les Chambres des autres cantons. Dans le reste de la Suisse, il est encore possible d’exhiber un drapeau SS ou un insigne du IIIe Reich sans être inquiété. A quand la fin de l’impunité ? En janvier 2023, une vente aux enchères en Australie a provoqué une vague de protestations et d’émotions dans la communauté juive. Organisée par la maison Danielle Elizabeth, à Sydney, elle proposait en effet 143 objets de collection nazis. Bagues, livres, timbres, accessoires SS, panneaux avec l’inscription « Interdit aux Juifs »... La liste fait froid dans le dos. Adjugé à 15000 francs suisses (25000 dollars australiens) – soit le lot le plus cher sous le marteau – un album de 500 photos prises dans les camps de concentration a d’ailleurs été jugé « très perturbant » par la maison de ventes elle-même dans son catalogue. Cela n’a pas empêché un acquéreur anonyme de l ’acheter en ligne. Et si une partie des recettes a été versée à une association active dans la lutte contre la pédocriminalité, s’est posée néanmoins la question sur la légitimité d’une telle vente aujourd’hui et sur cette possibilité offerte à des particuliers de s’approprier des symboles fascistes et antisémites en toute impunité. « Ces objets sont les traces d’une période effrayante de l’Histoire. Ils appartiennent aux musées qui rappellent les atrocités de la Shoah et ne doivent pas être simplement remis à la personne qui proposera l’offre la plus élevée », avait alors commenté Darren Bark, directeur exécutif du Jewish Board of Deputies au quotidien The Guardian. VINGT ANS QUE ÇA DURE... Ce fait divers, à des milliers de kilomètres du Vieux-Continent, prend une résonance particulière dans notre pays, alors que le Conseil des États doit se pencher prochainement sur une motion, déposée par le Centre, pour «bannir les drapeaux, slogans et saluts du IIIe Reich» en Suisse : acceptée par 141 voix contre 42 par le Conseil National, elle doit désormais convaincre la Chambre des cantons de sa pertinence. C’est chose faite à Genève, mais l’issue du vote sera-telle positive dans les autres cantons ? Cela fait près de vingt ans que des politiciens, issus de différents partis, proposent d’interdire ces symboles nazis. En vain. Au contraire de l’Allemagne, de la Belgique ou de la Pologne, la Suisse s’est toujours refusée à franchir cette ligne rouge. Un drapeau SS peut donc être exhibé à une bourse aux armes – comme cela a été le cas à Fribourg ou à Lausanne. Comme un insigne du IIIe Reich peut être vendu en ligne. Sans que cela n’entraîne de poursuites judiciaires. Tant qu’ils ne sont pas « assortis d’un message ou propos de promotion d’idéologie raciste ou antisémite », l’exhibition de ces symboles n’est pas interdite dans l’espace public. Cette particularité helvétique a facilité le rassemblement de groupes néo-nazis sur le territoire et le commerce ouvert sur le Net d’uniformes ou d’objets nazis. Pourtant, en 2009, le Parlement avait encore discuté de cette possibilité de bannir totalement ces signes d’un autre temps. Mais le projet avait été balayé face à « la difficulté de définir les symboles visés dans le Code pénal ». UN MÉMORIAL À BERNE Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? La pandémie, avec son cortège de mesures sanitaires, est passée par là et, avec elle, une recrudescence de l’antisémitisme sur les réseaux sociaux. Lors des manifestations anti-Covid, on a aussi pu constater, dans les rues, l’apparition de saluts hitlériens ou le détournement des étoiles jaunes. « L’utilisation de ces symboles nazis pour dépeindre les autorités fédérales et critiquer leurs décisions pourrait amener nos politiciens à jeter un œil différent sur l’instrumentalisation qu’on peut en faire quand on les laisse ainsi en libre accès », analyse Laurent Selvi, président de la CICAD. Synchronicité ou pas, le Conseil fédéral vient également de débloquer un crédit de 2,5 millions de francs pour la création d’un mémorial en souvenir des victimes suisses du national-socialisme en ville de Berne. Un lieu de médiation et de transmission sera mis en place dans le canton de Saint-Gall, à la frontière entre la Suisse, l’Allemagne, l’Autriche et le Liechtenstein, là où des milliers de Juifs ont été refoulés et renvoyés vers une mort certaine. «Nous n’apprenons jamais de l’Histoire », rappelait Ignazio Cassis, conseiller fédéral en charge du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), lors de sa visite à l’assemblée générale de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) en juin dernier à Genève. «Nous continuons de tuer des gens et de déclarer des guerres. Mais nous devons nous souvenir... La puissance de la mémoire, c’est ce que nous sommes ! » OBSTACLES JURIDIQUES Ne pas oublier. Ne plus commettre les mêmes erreurs. La décision du Conseil fédéral en faveur de ce mémorial doit encourager les représentants des cantons à ® SHUTTERSTOCK L'ENQUÊTE L'ENQUÊTE 14 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 12

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