CIG Magazine N°10

LA CHRONIQUE DU RABBIN LE RACHAT DU PREMIER-NÉ OU LE CHOIX ENTRE LE BONHEUR FAMILIAL ET LE BIEN-ÊTRE MATÉRIEL Le Pidion HaBen est une pratique qui consiste à racheter à un Cohen (Israélite descendant de la famille du premier prêtre Aaron) le premier enfant, si c’est un garçon. Tout comme les prémices (Nombre 18, versets 15-18) et les premiers-nés des animaux (Deutéronome 15, versets 19-23) qui devaient être remis aux prêtres (Deutéronome 26, versets 1-10), les premiers-nés de l’homme appartenaient à D.ieu. «Consacremoi tout premier-né ; toute primogéniture parmi les enfants d’Israël, être humain ou bétail, m’appartient. » (Nombres 8, verset 17) C’est ce verset qui a servi de base à nos Sages pour instituer le commandement du rachat du premier-né, commandement que l’on accomplit encore aujourd’hui en Israël et en diaspora. Sont dispensés du rachat des premiers-nés les fils des Cohanim et des Lévites, ainsi que ceux des femmes issues des mêmes familles. Il en est de même si la femme a mis au monde un enfant mort-né ou fait une fausse couche. Le fils puîné n’est pas considéré comme le premier-né. COMMENT SE PASSE CETTE CÉRÉMONIE ? Quand le garçon a trente-et-un jours (la cérémonie est reportée au lendemain si le 31e jour tombe un chabbat ou un jour de fête), le père invite un Cohen à venir lui rendre la propriété de son fils. En présence de ce Cohen, le père dépose cinq sicles d’argent (le sicle est le « poids » par excellence, c’està-dire, l’unité pondérale commune. D’après les poids inscrits de l’époque royale israélite, le sicle royal valait environ 11,4g et le sicle commercial 9,8g. La valeur de cette unité de base a varié suivant les époques et les lieux). Dans certaines communautés, on remplace les cinq sicles par un objet d’argenterie. Le père dit au Cohen : «Ma femme a mis au monde ce garçon, c’est le premier-né de sa mère et je suis donc tenu de le racheter. » «Que préfères-tu ? Ce fils premier-né ou les cinq sicles que tu me dois pour son rachat ? », demande le Cohen. « Je préfère garder mon fils premier-né ; voici les cinq sicles pour son rachat. » Le père récite alors deux bénédictions. La première sur l’accomplissement du rachat du premier-né, la seconde exprimant sa gratitude envers D.ieu. Il donne au Cohen l’argent préparé ou l’objet qui en représente la contre-valeur, et prend son enfant, pendant que le Cohen répète : « Ton fils est racheté, ton fils est racheté, ton fils est racheté. » LE SENS PREMIER Parlant de ce commandement, l’auteur du Sefer Ha’Hinouch (ouvrage attribué à Rabbi Aaron Halévi ; XIVe siècle) écrit : « L’Éternel nous a ordonné d’accomplir une mitsva avec les prémices des entrailles, afin que nous prenions conscience du fait que tout Lui appartient, et que l’homme ne possède en ce monde que ce qu’Il nous accorde. L’homme s’en rendra compte en offrant à l’Éternel ces prémices qui sont ses fruits les plus chers, et pour lesquels il a œuvré et consacré ses efforts de longue date. Pourtant, aussitôt venus au monde, il s’en désiste et les remet au Créateur. En outre, le commandement relatif aux premiers-nés vise à commémorer le miracle de notre protection lors de la mortalité qui frappa les premiers-nés égyptiens. » Le MaHaRal (il a vécu de 1525 à 1609. Autorité rabbinique, kabaliste, moraliste et mathématicien. Sa réputation ordinaire, qui relève du mythe, tient autant à son érudition qu’à son ascétisme et à sa piété. Grand penseur et auteur de nombreux ouvrages) développe cependant l’idée que la primogéniture est empreinte d’un caractère de sainteté à l’instar de la sainteté divine qui émane de la source première de l’existence. Cette sainteté n’est pas le résultat d’un effort ou d’un mérite personnel. Aussi les premiers-nés possèdent-ils leur caractère particulier par naissance, caractère qui ne s’attache pourtant qu’aux premiers-nés de la mère et non à ceux du père, car il ne se trouve qu’aux lieux les plus rapprochés de la source de la vie. LES CINQ SICLES D’ARGENT OU TON FILS ? Par-delà le sens premier que le texte biblique donne à ce commandement, nous sommes en droit de nous demander : «Quelle est la signification de la question posée par le Cohen? Peut-on imaginer un instant qu’un père ou une mère puissent renoncer à leur premier enfant pour une somme symbolique ? Quel enseignement devrons-nous tirer aujourd’hui d’une cérémonie comme celle-ci ? » Nous vivons une période où la cellule familiale perd de plus en plus de sa cohésion. Souvent, les parents sont tellement sollicités par leurs activités professionnelles qu’ils relèguent l’éducation de leurs enfants au second plan. Certains d’entre eux ne voient leur père que rarement. Il est constamment en voyage. Il saute d’un avion à l’autre. La mère est souvent prise par ses occupations professionnelles de plus en plus absorbantes. Parfois, certains enfants sont élevés par des femmes de ménage et ne retrouvent leurs parents que le week-end ou les jours de fête. Dans le meilleur des cas, ils sont pris en charge par des grands-parents quand ceux-ci peuvent le faire. Et c’est ainsi que la vie familiale, souvent éclatée, produit des enfants déboussolés. Dans ce contexte familial créé par notre société de consommation et de profit, la question posée par le Cohen au père, lors du Pidion HaBen, prend 8 LA CHRONIQUE DU RABBIN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 10

RkJQdWJsaXNoZXIy MjE4MDE=