CIG Magazine N°10

® EMERIC CARON – AIGAL STUDIO LE REPORTAGE CAROUGE, UN ÎLOT DE TOLÉRANCE ET D’OUVERTURE AU XVIIIE SIÈCLE En association avec la Communauté juive libérale de Genève, la Loge Henry Dunant du B’nai B’rith et l’Association du Patrimoine juif genevois, la Communauté Israélite de Genève a profité de la Journée Européenne de la Culture Juive pour retracer l’histoire de la cité sarde. Voyage dans le temps et dans les pas de Pierre-Claude de la Fléchère, comte de Veyrier. Ce dimanche-là, et après deux ans de pause forcée pour cause de pandémie, la Vogue bat son plein au cœur de Carouge. Les badauds profitent des tables en terrasse, en attendant l’ouverture des manèges et des stands de nourriture. C’est l’heure de l’apéro ou du petit-déjeuner, c’est selon ! Les brocanteurs, eux, ont pris possession de la place du Marché, alignant leurs bibelots sous les rayons d’un soleil toujours généreux. Ils ont l’habitude de frayer avec le passé. C’est même leur métier. Mais, lorsque cet aréopage de personnages, en costumes du XVIIIe siècle, a traversé les lieux, ils n’ont pu s’empêcher d’écarquiller les yeux d’étonnement. Qui sont ces gens se baladant en musique ? Des visiteurs prisonniers du couloir du temps ? En tendant l’oreille, ils auraient pu entendre que ce groupe, quelque peu anachronique, était emmené par un certain Pierre-Claude de la Fléchère, comte de Veyrier, et que cet homme habite non loin de là, à la rue Saint-Victor. Il y a même une plaque commémorative, contre la façade de la maison, qui le prouve... En association avec la Communauté juive libérale de Genève, la Loge Henry Dunant du B’nai B’rith et l’Association du Patrimoine juif genevois, et avec le soutien de la Fondation Pierre & Andrée Haas, la Communauté Israélite de Genève a profité de la Journée Européenne de la Culture Juive pour organiser une visite guidée dans les rues de Carouge afin de rappeler un fait d’histoire : à la fin du XVIIIe siècle, quelques années avant la Révolution française, ce territoire, alors sous dépendance du Royaume de Sardaigne, est en effet devenu un îlot d’ouverture et de tolérance. Sous l’influence de quelques notables locaux – dont PierreClaude de la Fléchère – et avec l’appui du roi Victor-Amédée III, Carouge a ouvert ses portes à plusieurs minorités religieuses afin de favoriser son essor économique. Après les protestants et les francs-maçons, cette bourgade catholique accueillit ainsi des Juifs, essentiellement d’Alsace, dès 1779. «Nous cherchons toujours à nous adapter au thème choisi pour cette journée européenne (ndlr. Le Renouveau en 2022) », explique Jean Plançon. Auteur du livre Histoire de la Communauté juive de Carouge et de Genève, paru chez Slatkine en 2008 et 2010, l’historien s’est glissé dans le costume du comte de Veyrier avec un certain bonheur. S’inspirant de la riche correspondance entretenue par son personnage avec le pouvoir turinois et son intendant général Giovanni-Battista Foassa-Friot, il s’est aussi amusé à imaginer le scénario qui accompagna la centaine de visiteurs dans les rues de la cité sarde. La troupe Ha’macom, ainsi que les élèves du cours de théâtre de la CIG, ont alors permis de donner vie à cette pièce ambulante sous la supervision de la metteuse en scène Michal Kalfon. « L’exercice n’était pas simple pour des comédiens amateurs : les textes sont écrits en vieux français, il était compliqué de les retenir », précise Jean Plançon afin de mieux souligner la valeur de cette prestation sur l’espace public. UN REPAIRE DE BRIGANDS La visite débute dans le jardin de la mairie. L’occasion de planter le décor. Le 3 juin 1754, le Traité de Turin, signé entre la République de Genève et le Royaume de Sardaigne, permet la création du territoire de Carouge. Installé le long de l’Arve, à quelques encablures de la cité de Calvin, ce hameau va très vite profiter de cette situation exceptionnelle pour s’épanouir. Les Genevois traversent en effet la rivière pour venir s’y encanailler. Les estaminets pullulent. Contrebandiers, brigands et prostituées y trouvent un terreau pour développer leurs petites affaires. En 1766, 36 établissements de vins ont déjà ouvert leurs portes. Ce n’est qu’un début ! Ainsi, lorsque Pierre-Claude de la Fléchère, en 1770, dévoile ses desseins pour favoriser l’essor économique de Carouge, il ne reçoit d’abord que quolibets et moqueries. Comment ce repaire de voleurs et de filles de petite vertu pourrait se débarrasser de sa réputation sulfureuse ? Après un bref arrêt devant cette fontaine, au pied du temple de Carouge, connue comme le « bain des Juifs » (on y reviendra... ), notre groupe se retrouve ensuite sur la place du Temple. Là où artisans et marchands, qu’ils soient catholiques, juifs, protestants ou francs-maçons, se côtoient et vendent leurs marchandises. Car, malgré les réticences, le comte de Veyrier persiste dans ses projets et parvient à obtenir des privilèges du roi Victor-Amédée III pour faciliter la prospérité de la ville de Carouge, notamment en faisant appel à de nombreux étrangers, de toutes L’historien Jean Plançon s’est glissé dans le costume de Pierre-Claude de la Fléchère, comte de Veyrier, avec délectation. 21 AOÛT-NOVEMBRE 2022

RkJQdWJsaXNoZXIy MjE4MDE=