CIG Magazine N°10

® EMERIC CARON – AIGAL STUDIO CLARA BENADOR A GRANDI À GENÈVE ET A PASSÉ SA MATURITÉ AU COLLÈGE DE CANDOLLE. AVANT DE PARTIR FAIRE UN TOUR DU MONDE À L’ÂGE DE 18 ANS. traîne la chute… De ma personne, j’avais toujours l’image de quelqu’un qui chutait. J’ai le sentiment de porter une certaine mélancolie dont on ne connaît pas forcément l’origine. Je ne m’étais d’ailleurs jamais intéressée à la Seconde Guerre mondiale pour me protéger. Quel rapport entretenez-vous avec le Maroc? Je n’y suis allée qu’une seule fois. Pour moi, le Maroc est un territoire de fiction. J’aime beaucoup le mouvement orientaliste, les peintres comme Delacroix ou Ingres, Salammbô de Flaubert, Le Voyage en Orient de Nerval… Il existe plein d’écrits que je trouve magiques dans leurs descriptions ou dans leur ornement presque baroque. Quand ce bateau est arrivé dans le port de Casablanca, avec Lola à bord, j’ignorais ce que j’allais faire dans cette ville. Parce que la guerre que je voulais raconter n’était pas là. J’ai donc effectué beaucoup de recherches, j’ai découvert le protectorat français et je me suis demandé où étaient les Marocains : on n’en parle jamais dans ces écrits ! J’ai alors voulu raconter les coulisses de ce qu’on ne disait pas et j’ai pris un bonheur immense à décrire les salons, les casbahs, le narguilé… Appréciez-vous tout ce travail de recherches? Ça vous rend fou. Cela devient même obsessionnel. J’ai toujours rencontré des difficultés à me concentrer. D’ailleurs, je n’étais pas bonne à l’école. Mais là, c’était la première fois que je me focalisais à ce point sur un sujet. J’avais envie de tout savoir. Je suis même partie trop loin. Je souhaitais parler de plein de choses dans ce roman : de la convergence des trois religions à Casablanca, de l’écriture… Mais mon éditeur m’a bien fait comprendre qu’il ne s’agissait que d’un livre et que je ne pouvais pas y raconter mille histoires. Je devais en choisir une seule et m’y tenir. Ce premier roman est édité chez Gallimard. Comment avez-vous réussi à les convaincre ? Comme je suis complètement à contre-courant de ce qui se fait aujourd’hui, avec beaucoup de récits et de textes bruts, à l’exemple de Virginie Despentes, je cherchais une maison d’édition sérieuse sans forcément viser un public large. Et la chance s’est invitée dans l’histoire. J’ai rencontré mon éditeur lors d’un dîner : j’ai bu six Cocas et je lui ai vendu mon projet… Je lui ai envoyé un premier manuscrit de 250 pages et j’ai attendu une réponse pendant une semaine. C’était interminable ! Il m’a demandé de retravailler la partie centrale qui racontait la rencontre entre Lola et Shéhérazade. J’ai passé quatre mois, enfermée chez moi, le monde extérieur n’existait plus. Mais je tenais à faire une rentrée littéraire, j’avais l’impression d’être tellement en retard dans ma vie… Jean-Daniel Sallin AOÛT-NOVEMBRE 2022 19

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