CIG Magazine N°07

LA CHRONIQUE DU RABBIN DIVORCE ET CLAUSES RÉSOLUTOIRES Selon la loi juive, un mariage n’est rompu que lorsque le mari donne à la femme un « libellé de divorce » dit guett. Nous pouvons lire dans le Deutéronome (ch.24, verset 1) : «Quand un homme aura pris une femme et cohabité avec elle, si elle cesse de lui plaire, parce qu’ il aura remarqué en elle quelque chose de malséant, il lui écrira un libellé de divorce, le lui remettra en main, et la renverra de chez lui. ». Notons que la Torah fait un progrès dans le sens de la protection de la femme, puisque l’époux ne peut la chasser simplement de chez lui. L’instauration de la kétouba (ou acte de mariage) constitue une étape supplémentaire dans cette démarche. En effet, en cas de divorce, le mari s’engage à donner à sa femme une somme d’argent pour lui permettre de vivre un an. Certes, d’après le verset cité ci-dessus, le divorce ne peut se faire qu’avec le plein accord du mari, si bien que toute contrainte physique ou morale (exercée sur le mari) risquerait d’invalider le guett. Cependant, nos sages ont pris certaines mesures pour la protection de la femme et pour une plus grande égalité. Si le mari refuse de subvenir aux besoins financiers ou affectifs (traité Kétoubot, p: 77a) de son épouse, s’il manifeste un comportement violent à l’égard de son épouse (Rachba, Mahram MiRotenburg, Rama, etc.), ou s’il dégage une odeur insupportable à sa femme (Michna Kétoubot, ch.7,10), le tribunal a le droit d’imposer le divorce à celui-ci. Mais en règle générale, la loi de base reste inchangée jusqu’à nos jours, le divorce est accordé et exécuté par le mari, et selon sa décision. L’octroi du guett doit être accepté par l’épouse devant un tribunal rabbinique (constitué de trois personnes) et en présence de deux témoins qualifiés. Une épouse juive est définie comme « agouna » (entravée ou ancrée à son mari) quand on ne peut prouver avec certitude le décès de son mari (conflits armés, porté disparu, etc.). Cependant, l’épouse de qui le mari refuse de remettre le guett est considérée comme une «méssourévèt guett » (refusée de guett). En l’absence de guett, aussi bien la « agouna » que la « messourévèt guett » sont dans l’impossibilité de contracter un nouveau mariage, et risquent de rendre adultérins (incestueux ou mamzerim) les enfants qu’elles auraient avec un autre homme (sans guett). En d’autres termes, les deux cas de figure diffèrent par leurs statuts vis-à-vis de la Halakha, bien que les conséquences dramatiques soient similaires. En effet, dans le but de libérer la « agouna » (dont on ignore le sort du mari) et lui permettre de refaire sa vie, le Talmud accepte des témoignages, qui d’ordinaire ne sont pas valables, ou se contente d’un seul témoin (alors que d’ordinaire, il en faut deux). Les clauses résolutoires peuvent-elles annuler les kiddoushin? Les premières clauses résolutoires ont été instituées après une série de persécutions qui ont abouti à des massacres, où de nombreux Juifs ont été tués ou forcés d’apostasier pour sauver leur vie. Ainsi, Rabbi Moshé Isserlès rapporte dans Even Ha’ézér (ch.157, 4) au nom du Mahri Brun : «Bien qu’ il ne faille, en aucun cas émettre une clause selon laquelle la mariée ne sera pas liée au yavam (frère du marié décédé sans enfants), on peut néanmoins remettre des kiddoushin associés à une clause résolutoire afin que les kiddoushin soient annulés rétroactivement si elle venait à se trouver en situation de yiboum (lévirat). » Cette idée d’une clause au moment du mariage avait pour but de dispenser la veuve éventuelle d’un lien avec un beaufrère renégat en cas de lévirat. Tous les projets de mariage à clause résolutoire qui voient le jour au fil du temps le seront toujours dans des instants de bouleversements politiques ou religieux. Ce fut le cas lors de l’instauration du mariage et du divorce civils dans les pays d’Europe, lors des périodes de guerre, etc. Cette formule, proposée au départ dans le cas spécifique d’un mariage avec le frère d’un apostat, va être étendue au fil du temps à d’autres cas problématiques, tel que dans le cas où le frère du marié a disparu, ou est sourd-muet. Les problèmes liés à la décomposition de la cellule familiale traditionnelle vont en s’amplifiant durant tout le 19e siècle. Face à la déliquescence de la société et notamment de la cellule familiale, et face à l’établissement du divorce civil, les rabbins se sont penchés sur les clauses résolutoires pour tenter de trouver des solutions, afin de libérer la femme, lorsque le mari refuse de donner le guett. En 1907, le Grand Rabbin Joseph Lehmann, directeur de l’Ecole Rabbinique de France, fut le premier à proposer un projet instituant systématiquement le mariage à clause résolutoire (en cas de divorce civil, et si le mari refuse d’octroyer le guett, les kiddoushin sont annulés afin d’éviter, entre autres, la naissance d’enfants mamzerim). Cependant, les Grands Rabbins Judah Lubetzki et Moise Weiskopf de Paris se sont opposés catégoriquement à ce projet, en réfutant tous les arguments élaborés par Rav Lehmann. Rav Lubetzki et Rav Weiskopf ont été soutenus par les rabbins de toute l’Europe (dont Rav Haim Ozer Grodjienski qui représentait l’autorité suprême en Halakha d’avant-guerre), des Etats-Unis et d’Israël. 8 LA CHRONIQUE DU RABBIN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 07

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