CIG Magazine N°07

L'exposition, désormais itinérante, a été présentée peu avant l'été sur la Rotonde du Mont-Blanc à Genève. Nommé vice-consul, Carl Lutz débuta sa mission à Budapest en 1942. De longues files d'attente se formèrent devant la Maison de Verre lorsque la rumeur sur les possibilités d'émigrer se répandit dans la capitale hongroise... © PIERRE-MICHEL VIROT Pour Xavier Cornut, président du Cercle Carl Lutz, et les autres membres de son comité, ainsi que pour Anita Halasz, responsable culturelle de la CIG, il a fallu près de six mois de recherches pour vérifier les informations et réunir les documents, notamment iconographiques, afin d’illustrer leurs propos. «Nous avons interrogé de nombreux historiens », précisent-ils en chœur. « Souvent, les témoignages des familles ou les biographies conduisent à la création de mythes. » Ainsi, le nombre de Juifs sauvés par Carl Lutz, fixés à 62000, n’a jamais pu être vérifié. Mais, à leurs yeux, il n’était pas question de tomber dans l’héroïsation à outrance. «Nous n’employons jamais ce terme dans l’exposition. Les visiteurs se rendent compte par eux-mêmes de la valeur de ces actes… » Pour Anita Halasz, l’exercice a été d’autant plus émotionnel que sa famille a vécu ces événements, ballottée entre l’horreur et l’espoir. «Ma mère, âgée de quatre ans, était dans le train Kasztner en direction de la Suisse. Et mon oncle, Sándor Grossman (ndlr. membre de la CIG enterré au cimetière israélite de Veyrier), fut le leader du mouvement de jeunesse sioniste Hashomer Hatzair et, à ce titre, dirigea la Maison de verre à Budapest. » Chercheuse en physique des hautes énergies au CERN, Julia Dancu a aussi tenu à témoigner lors du vernissage de cette exposition : originaire de Satu Mare, en Transylvanie, son grand-père, Miklós Steinberger, doit la vie sauve à une lettre de protection émise par la Suisse. Condamné aux travaux forcés à Budapest, il s’est échappé, alors que son bataillon se trouvait à Budapest, avant de se réfugier dans la Maison de verre. « Sans ce document miraculeux, je ne serais pas là à vous parler », souffle la jeune Roumaine, reconnaissante. Cette exposition célèbre d’abord la vie et les valeurs humanistes. À la tête du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme depuis 2018, Michelle Bachelet salue également « l’empathie, le courage et la détermination dont ont fait preuve les défenseurs des droits de l’homme ». Mais ce fait d’histoire résonne d’autant plus aujourd’hui qu’avec la crise sanitaire, on remarque une augmentation effrayante de propos xénophobes ou antisémites sur les réseaux sociaux, ainsi qu’une résurgence des théories complotistes. En Hongrie, avec son projet de Musée de l’Holocauste – « le premier musée révisionniste d’Europe », selon la communauté juive – Viktor Orban affiche ouvertement son intention de réécrire l’histoire, tentant de minimiser le rôle des Hongrois dans la Shoah. « Les mots ont des conséquences », rappelle Michelle Bachelet. «Nous devons combattre les mensonges, la haine, et veiller à ce que le discours social soit fondé sur le respect et la vérité. » Le Cercle Carl Lutz et la Communauté Israélite de Genève comptent d’ailleurs amener leur exposition jusqu’à Budapest. Histoire de rappeler certains faits à la mémoire de la Hongrie. Décédé en 1975, Carl Lutz, lui, n’a jamais vraiment quitté les bords du Danube. S’il a été le premier Suisse à recevoir le titre de Juste parmi les Nations, décerné par Yad Vashem en 1964, son nom figure sur le Mémorial à l’entrée du Grand Ghetto, ainsi que sur le monument dressé en son honneur devant l’ambassade des États-Unis. Qu’on le veuille ou non, son destin sera lié à jamais à l’histoire du peuple juif. « Les lois de la vie sont plus fortes que les lois des hommes », aimait à rappeler l’Appenzellois. Une phrase à méditer. Encore et encore. Jean-Daniel Sallin 23 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1

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