CIG Magazine N°07

© POINT-OF-VIEWS.CH Le 19 mars 1944, l’Allemagne nazie finit par envahir la Hongrie. Jusqu’en juillet, date de l’arrêt des déportations imposé par l’amiral Horthy, le destin des Juifs hongrois bascula dans l’horreur. Rafles, internements dans des camps de transit à 25km de la ville, restrictions des libertés individuelles, port de l’étoile jaune, ghettoïsation… En moins de deux mois, près de 430000 Juifs de province, hommes, femmes et enfants, furent envoyés à Auschwitz-Birkenau : 90% d’entre eux furent exterminés. Quand arriva l’été, les Juifs de Budapest étaient quasiment les derniers Juifs survivants de Hongrie. C’est dans ce contexte que Carl Lutz décida d’agir… CHAÎNE DE SOLIDARITÉ DANS LA SOCIÉTÉ CIVILE Dès la fin du mois d’avril, le vice-consul suisse prit une première initiative diplomatique : il exigea que les autorités hongroises, désormais sous la tutelle allemande, respectent leur engagement d’autoriser – selon les termes du Livre Blanc établi par le Royaume-Uni – la migration de 8000 Juifs vers la Palestine. Est-ce à ce moment précis que l’Appenzellois décida de désobéir ? Peut-être. Sans l’autorisation de l’administration helvétique, et alors que la réponse de l’Obersturmbannführer-SS Adolf Eichmann, en charge des affaires des migration pour l’Allemagne en Hongrie, tardait à venir, il décida ainsi d’émettre des « lettres de protection » qui plaçaient leurs détenteurs sous la protection de la Suisse jusqu’à leur départ. Avant de négocier le droit de pouvoir inscrire ces 8000 individus comme familles entières dans des passeports collectifs afin de leur permettre de traverser les frontières. Mû par une abnégation sans limite, Carl Lutz décida ensuite d’établir un « Service d’Émigration de la Division des Intérêts étrangers de la Légation suisse» dans un nouvel immeuble. Il choisit de placer la Maison de verre – un ancien bâtiment industriel de commerce de verre transformé en centre de contrefaçon par les mouvements de la jeunesse sioniste – sous protection suisse. Puis, à mesure que la situation de la communauté juive se détériorait dans la capitale, suite à la prise de pouvoir des nazis hongrois, les Croix Fléchées, il s’arrangea avec le Ministère hongrois des affaires étrangères, en novembre 1944, pour créer un quartier distinct pour tous les détenteurs d’une lettre de protection d’un état neutre. Ainsi, Carl Lutz permit le transfert de 17000 Juifs dans 76 immeubles résidentiels de Budapest, sur lesquels il apposa des plaques diplomatiques leur conférant le statut d’extraterritorialité. Ce chiffre passa à 120 grâce au soutien d’autres États neutres et du CICR qui appliquèrent la même méthode. Évidemment, Carl Lutz ne fut pas seul à mener cette opération de sauvetage. Une véritable chaîne de solidarité s’est mise en place dans la société civile pour permettre à ces milliers de Juifs d’échapper à la mort. On pense au diplomate suédois Raoul Wallenberg, envoyé à Budapest par les États-Unis et la Suède ; à l’homme d’affaires juif hongrois Georges Mandel-Mantello, employé au Consulat général du Salvador à Genève, qui délivra des documents officiels antidatés, frappés du tampon salvadorien, dans toute l’Europe ; à Rezsö Kasztner, représentant des mouvements sionistes locaux, qui, après d’âpres négociations avec Adolf Eichmann, permit à près de 1700 Juifs de monter dans ce train qui les emmena vers la liberté, à Caux-sur-Montreux, en 1944 ; ou au pasteur Gábor Sztehlo, envoyé par l’Église évangélique hongroise, qui cacha des milliers d’enfants juifs. Sans oublier Gertrud Lutz-Fankhauser, dont le rôle, aux côtés de son époux, fut plus que déterminant. UNE CÉLÉBRATION DE LA VIE ET DES VALEURS HUMANISTES C’est cette histoire de la Seconde Guerre mondiale que l’exposition «Un sanctuaire dans la tempête : le sauvetage des Juifs de Budapest » raconte au travers d’une trentaine de panneaux. Co-organisée par le Cercle Carl Lutz et la Communauté Israélite de Genève (CIG), en partenariat avec la Ville de Genève, la Loterie Romande et la Mission des États-Unis auprès des Nations Unies, elle a été présentée pour la première fois peu avant l’été à Genève, sur la Rotonde du Mont-Blanc, à quelques mètres de la statue de Sissi, l’impératrice d’Autriche et reine de Hongrie. Tout un symbole. Le vernissage, mis sur pied en collaboration avec la Ville de Genève, la Fédération Suisse des Communautés Israélites, la Communauté Juive Libérale de Genève, les Amis Suisses de Yad Vashem, le Congrès Juif Mondial et la CICAD, a permis de proposer une visite guidée pour S.E.M. Panayotis Stournaras, ambassadeur, représentant de la Mission de la Grèce auprès de l’ONU. De gauche à droite : Joël Herzog, président de l'Association des Amis Suisses de Yad Vashem, Julia Dancu, chercheuse au CERN, Xavier Cornut, président du Cercle Carl Lutz, et Anita Halasz, responsable culturelle de la Communauté Israélite de Genève. 22 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 07 LE REPORTAGE

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