CIG Magazine N°07

REPORTAGE CARL LUTZ, UN SUISSE PARMI LES JUSTES PAGES 21-23 ENQUÊTE LES RABBINS, CES NOUVELLES STARS DU WEB PAGES 14-17 L E M AG A Z I NE D E L A COMMUNAU T É I S R A É L I T E D E G E NÈ V E 0 7 - 0 9 2 0 2 1 N ° 0 7

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L’ÉDITO BELLE ANNÉE 5782 ! Cette rentrée a été rythmée par les différentes fêtes de Tichri. Nous profitons de cette 7e édition du CIG Magazine pour vous souhaiter, à toutes et à tous, une belle et douce année 5782 placée sous le signe de la santé et du succès. Dans cette édition, nous vous invitons à lire le passionnant article de notre Grand Rabbin Dayan sur le divorce et la problématique de l’obtention du guett pour les femmes. Espérons, pour le bien-être des femmes et des enfants, que les dirigeants religieux trouveront des solutions à ces problèmes épineux. La onzième édition du Festival International du Film des Cultures Juives de Genève (GIJFF) se tiendra cette année du 13 au 20 octobre. Nous vous invitons à découvrir en page 10 l’interview exclusive d’Irma Danon et de Laurent Selvi, respectivement responsable de la programmation et président de la manifestation. Vous y découvrirez la programmation composée d’une douzaine de films, documentaires et courts-métrages. La CIG se modernise en proposant des conférences et cours en ligne, en développant sa présence sur les réseaux sociaux, en publiant les vidéos de nos évènements ainsi qu’en proposant notre magazine en ligne sur notre site Internet. Dans ce contexte, nous nous sommes penchés dans notre enquête sur le développement des cours et enseignements des rabbins en ligne, ses côtés positifs et ses possibles dérives. Le célèbre ghetto juif de Venise, créé en 1516, est souvent décrit dans l’historiographie comme le premier du genre en Europe. Or c’est en 1428 que la cité de Genève va expérimenter la création d’un quartier juif rigoureusement clos, Le Cancel. Rendez-vous dans la vieille ville avec Jean Plançon pour en savoir plus en lisant son récit en page 18. L’action de sauvetage de milliers de Juifs de Budapest en 1944, initiée par le diplomate suisse Carl Lutz, et mise en œuvre grâce à une chaîne de solidarité au sein de la société civile, a fait l’objet d’une exposition sur les rives du lac Léman au printemps dernier. Le reportage qui lui est consacré dans ce numéro se penche sur la notion de courage civique, et rend hommage à des personnalités hors du commun qui ont su faire la différence lors d’une des périodes les plus sombres de l’Histoire. En page 28, découvrez en image la 22e Journée Européenne de la Culture Juive, placée sous le thème des « dialogues ». La Communauté Israélite de Genève a proposé au public genevois un programme spécial qui a réuni plus de 300 personnes. Nous saisissons cette occasion pour vous remercier de toutes vos actions et contributions, qui nous permettent de continuer à bâtir une communauté forte et d’assurer sa pérennité pour l’avenir de nos enfants. Dans la continuité de notre e-développement, nous avons mis en place un module de paiement de don par carte de crédit sur notre site Internet. Nous vous invitons à le découvrir sur https://www.comisra.ch/dons/ Que l’année 5782 soit source de lumière et de paix pour tous. Que le Chalom, l’unité et les valeurs de notre identité portent nos foyers et notre communauté. Noémi Amatriain-Bernheim Responsable Communication et Evènements SOMMAIRE LES NEWS..........................................5-7 LA CHRONIQUE DU RABBIN Divorce et clauses résolutoires............. 8-9 L’ENTRETIEN Au cinéma avec Irma Danon et Laurent Selvi !..................................10-13 L’ENQUÊTE Le rabbin, nouvelle star du web ?...... 14-17 L’HISTOIRE Le Cancel de Genève, prototype des futurs Ghettos juifs d’Europe...................................... 18-19 LE REPORTAGE Carl Lutz : désobéir pour sauver des vies................................................. 21-23 ÇA S’EST PASSÉ À LA CIG Nos activités. ..................................... 25-27 Nos instantanés................................. 28-29 L’ÉTAT CIVIL. ..................................... 31 LA CUISINE. ..................................... 33 LE TRAIT D’HUMOUR............... 34 Editeur Communauté Israélite de Genève Rédaction en chef Eric Roditi Rédaction Rav Dr. Izhak Dayan Noémi Amatriain Jean Plançon Jennifer Segui Sonia Hamdi Jean-Daniel Sallin Relecture Leila Racordon Conception BuxumLunic www.buxumlunic.ch Tirage 1500 exemplaires Impression Imprimerie Agescom J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1 3

LES NEWS POUR NE RIEN MANQUER DES ÉVÉNEMENTS DE LA COMMUNAUTÉ NOUVEAUTÉ SAVE THE DATE À VOS DONS ! Essentiellement financée par des dons et des cotisations, la Communauté Israélite de Genève ne saurait exister sans votre générosité. Envie de participer à cette chaîne invisible qui relie toutes les générations de Juifs en Suisse et dans le monde entier ? Envie de perpétuer notre judaïsme ? Notre fierté d’appartenir au peuple de la Bible? Quel que soit son montant, votre geste est essentiel. Choisissez directement le montant et la fréquence de votre don sur notre site ! www.comisra.ch/dons ADMINISTRATION DES BIENS FÊTE DE HANOUCA En espérant que les conditions sanitaires nous permettront cette année de nous rassembler pour célébrer cette chaleureuse période comme il se doit, nous vous donnons rendez-vous dès maintenant pour cette belle fête des lumières qui aura lieu le dimanche 5 décembre de 14h30 à 17h30. Au programme des festivités, de nombreux jeux et animations qui seront assurés par l’équipe du GAN pour les plus petits dès 2 ans et par le CCJJ pour les enfants dès 7 ans. Parmi les nombreuses activités, tous pourront profiter de sauter sur des châteaux gonflables, de déguster de délicieuses crêpes, de se maquiller et de réaliser de jolis bricolages en lien avec Hanouca. Tout cela avant de profiter d’un étonnant spectacle de magie. Sans oublier bien sûr l’allumage des bougies par notre Grand Rabbin. CULTE SYNAGOGUE BETH YAACOV Les visites guidées mensuelles de ce chef d’œuvre de l’architecture genevoise classé monument historique qu’est la grande synagogue Beth Yaacov auront lieu avec Eric Ackermann, second ministre, les 10 octobre, 7 novembre et 5 décembre. Tarifs : 10 francs et moins de 25 ans : 5 francs. Inscriptions en ligne : https://etickets.infomaniak.com/shop/iJtNSuBKmr/ CULTE CONFÉRENCE LES LUNDIS DE WIESEL Participez à la prochaine conférence en partenariat avec Les lundis de Wiesel, le lundi 18 octobre à 19h, sur le thème de « L’archéologie du judaïsme en France ». Animée par Paul Salmona, directeur du musée d’art et d’histoire du judaïsme, elle retracera les prémices et le développement de l’archéologie juive en France. Offre spéciale aux membres de la CIG: inscription offerte jusqu’au 14 octobre pour Les Lundis de Wiesel. Possibilité de participer à la conférence par visioconférence sur la plateforme Zoom. Pour plus d’informations contactez-nous : culture@comisra.ch CULTURE ® MAGALI GIRARDIN VISITE SAVE THE DATE 5 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1

COURS D’HÉBREU Destinés aux 14-17 ans, les cours d’hébreu dispensés par Binyamin Greilsammer permettent d’apprendre la langue d’une manière ludique et amusante ! Autour d’un bon panini, les participants sont invités à s’initier sans s’ennuyer et en parfaite immersion. Pour les ados intéressés, les cours ont lieu au CCJJ tous les mercredis de 19h30 à 21h ! Pour plus d’informations : r.ccjj@comisra.ch et 022 317 89 76 CCJJ MÉMOIRE CINÉMA RENCONTRE RÉUNION DU RÉSEAU 2E GÉNÉRATION Le lundi 18 octobre, à 18h30, aura lieu la traditionnelle réunion du Réseau 2e Génération. L’occasion, pour ce groupe qui réunit des descendants des 2e et 3e générations de rescapés de la Shoah, de discuter ensemble autour d’un témoignage, d’un auteur, d’un colloque ou encore d’une projection de film. La réunion aura lieu à la Maison Juive Dumas. En cas d’impossibilité liée à la situation sanitaire, elle se déroulera à distance via Zoom. CULTURE DIVERTISSEMENT 7E ART Dans le cadre du ciné-club de la CIG, rendez-vous le 4 novembre prochain, à 19h15, dans les salles obscures des cinémas du Grütli pour la projection du film Chained, réalisé par l’israélien Yaron Shani. Environ toutes les six semaines, le ciné-club de la CIG présente, en programmation conjointe avec les cinémas du Grütli, un film récent en lien avec le judaïsme. CULTURE JOURNÉE DE L’ENTRECONNAISSANCE Un moment de partage et de découverte entre les communautés juives et musulmanes de Genève. C’est à ce bel échange que nous convie la Plateforme interreligieuse de Genève le 14 novembre à travers une journée de l’entre-connaissance. Ouvert à tous, cet évènement se déroulera entre la grande synagogue Beth Yaacov et la grande mosquée de Genève. Les participants auront l’opportunité de se rencontrer lors d’ateliers, de visites de lieux et de dialogues conviviaux avant, en guise de clôture, un concert de musiques arabo-andalouses et liturgiques juives et musulmanes. Informations à venir sur notre site CULTURE OULPAN HOMMAGE ALAIN SCHAUDER NOUS A QUITTÉS Président de la CILV, la Communauté Israélite de Lausanne et du canton de Vaud depuis dix ans, Alain Schauder, qui fut aussi vice-président du comité de la FSCI, la Fédération Suisse des Communautés Isarélites, est décédé le 14 août dernier à l’âge de 64 ans des suites d’une longue maladie. Homme chaleureux, profondément engagé, le Lausannois avait pris la présidence de la CILV en 2011, une charge qu’il a eu à cœur d’assumer jusqu’au bout, preuve de sa grande force de caractère. Né à Strasbourg, en 1957, c’est en 1975 qu’il découvre la capitale olympique à l’occasion de ses études à l’EHL, l’École Hôtelière de Lausanne. Installé en Suisse, il occupera ensuite de hautes fonctions dans le groupe hôtelier Hyatt jusqu’à en devenir le vice-président pour l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient. Et ce, avant de créer son propre cabinet de RH. Dans le même temps, il s’est, parallèlement à sa carrière, rapidement impliqué pour la communauté juive et notamment la CILV, dont il est toujours demeuré un membre actif jusqu’à la présider dès 2011. Lors de ses mandats, à la tête de la CILV comme en tant que vice-président de la FSCI, Alain Schauder aura fait preuve de nombreuses qualités, dont celle d’un grand sens de l’écoute et du consensus, qui lui ont permis de réunir toutes les forces dans un bel esprit de dialogue. Il aura laissé son empreinte grâce à des idées fortes et novatrices, un engagement sans faille qui lui ont valu, tout au long de ces années, l’estime de tous ceux qui ont eu la chance de croiser sa route. Son implication de toujours, son humanité et la force dont il a fait preuve dans son combat contre la maladie ne peuvent qu’inspirer à tous un profond respect. A sa famille, son épouse, ses enfants et ses petits-enfants, aux membres de la CILV et à tous ceux que sa disparition laisse dans la peine, la CIG adresse ses plus sincères condoléances. ® SHUTTERSTOCK DA’AT ROSA LUXEMBOURG Dans le cadre du Da’at au féminin du 20 octobre à 12h30, le groupe de discussion féminin autour de la place de la femme dans la spiritualité juive organisé chaque 3e mercredis du mois, Myriam Zaiontz évoquera le parcours de Rosa Luxemburg, théoricienne et militante socialiste issue d’une famille de commerçants Juifs polonais et assassinée en 1919 à Berlin. CULTURE POUR PLUS D'INFORMATIONS, CONSULTEZ NOTRE SITE INTERNET WWW.COMISRA.CH 7 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1

LA CHRONIQUE DU RABBIN DIVORCE ET CLAUSES RÉSOLUTOIRES Selon la loi juive, un mariage n’est rompu que lorsque le mari donne à la femme un « libellé de divorce » dit guett. Nous pouvons lire dans le Deutéronome (ch.24, verset 1) : «Quand un homme aura pris une femme et cohabité avec elle, si elle cesse de lui plaire, parce qu’ il aura remarqué en elle quelque chose de malséant, il lui écrira un libellé de divorce, le lui remettra en main, et la renverra de chez lui. ». Notons que la Torah fait un progrès dans le sens de la protection de la femme, puisque l’époux ne peut la chasser simplement de chez lui. L’instauration de la kétouba (ou acte de mariage) constitue une étape supplémentaire dans cette démarche. En effet, en cas de divorce, le mari s’engage à donner à sa femme une somme d’argent pour lui permettre de vivre un an. Certes, d’après le verset cité ci-dessus, le divorce ne peut se faire qu’avec le plein accord du mari, si bien que toute contrainte physique ou morale (exercée sur le mari) risquerait d’invalider le guett. Cependant, nos sages ont pris certaines mesures pour la protection de la femme et pour une plus grande égalité. Si le mari refuse de subvenir aux besoins financiers ou affectifs (traité Kétoubot, p: 77a) de son épouse, s’il manifeste un comportement violent à l’égard de son épouse (Rachba, Mahram MiRotenburg, Rama, etc.), ou s’il dégage une odeur insupportable à sa femme (Michna Kétoubot, ch.7,10), le tribunal a le droit d’imposer le divorce à celui-ci. Mais en règle générale, la loi de base reste inchangée jusqu’à nos jours, le divorce est accordé et exécuté par le mari, et selon sa décision. L’octroi du guett doit être accepté par l’épouse devant un tribunal rabbinique (constitué de trois personnes) et en présence de deux témoins qualifiés. Une épouse juive est définie comme « agouna » (entravée ou ancrée à son mari) quand on ne peut prouver avec certitude le décès de son mari (conflits armés, porté disparu, etc.). Cependant, l’épouse de qui le mari refuse de remettre le guett est considérée comme une «méssourévèt guett » (refusée de guett). En l’absence de guett, aussi bien la « agouna » que la « messourévèt guett » sont dans l’impossibilité de contracter un nouveau mariage, et risquent de rendre adultérins (incestueux ou mamzerim) les enfants qu’elles auraient avec un autre homme (sans guett). En d’autres termes, les deux cas de figure diffèrent par leurs statuts vis-à-vis de la Halakha, bien que les conséquences dramatiques soient similaires. En effet, dans le but de libérer la « agouna » (dont on ignore le sort du mari) et lui permettre de refaire sa vie, le Talmud accepte des témoignages, qui d’ordinaire ne sont pas valables, ou se contente d’un seul témoin (alors que d’ordinaire, il en faut deux). Les clauses résolutoires peuvent-elles annuler les kiddoushin? Les premières clauses résolutoires ont été instituées après une série de persécutions qui ont abouti à des massacres, où de nombreux Juifs ont été tués ou forcés d’apostasier pour sauver leur vie. Ainsi, Rabbi Moshé Isserlès rapporte dans Even Ha’ézér (ch.157, 4) au nom du Mahri Brun : «Bien qu’ il ne faille, en aucun cas émettre une clause selon laquelle la mariée ne sera pas liée au yavam (frère du marié décédé sans enfants), on peut néanmoins remettre des kiddoushin associés à une clause résolutoire afin que les kiddoushin soient annulés rétroactivement si elle venait à se trouver en situation de yiboum (lévirat). » Cette idée d’une clause au moment du mariage avait pour but de dispenser la veuve éventuelle d’un lien avec un beaufrère renégat en cas de lévirat. Tous les projets de mariage à clause résolutoire qui voient le jour au fil du temps le seront toujours dans des instants de bouleversements politiques ou religieux. Ce fut le cas lors de l’instauration du mariage et du divorce civils dans les pays d’Europe, lors des périodes de guerre, etc. Cette formule, proposée au départ dans le cas spécifique d’un mariage avec le frère d’un apostat, va être étendue au fil du temps à d’autres cas problématiques, tel que dans le cas où le frère du marié a disparu, ou est sourd-muet. Les problèmes liés à la décomposition de la cellule familiale traditionnelle vont en s’amplifiant durant tout le 19e siècle. Face à la déliquescence de la société et notamment de la cellule familiale, et face à l’établissement du divorce civil, les rabbins se sont penchés sur les clauses résolutoires pour tenter de trouver des solutions, afin de libérer la femme, lorsque le mari refuse de donner le guett. En 1907, le Grand Rabbin Joseph Lehmann, directeur de l’Ecole Rabbinique de France, fut le premier à proposer un projet instituant systématiquement le mariage à clause résolutoire (en cas de divorce civil, et si le mari refuse d’octroyer le guett, les kiddoushin sont annulés afin d’éviter, entre autres, la naissance d’enfants mamzerim). Cependant, les Grands Rabbins Judah Lubetzki et Moise Weiskopf de Paris se sont opposés catégoriquement à ce projet, en réfutant tous les arguments élaborés par Rav Lehmann. Rav Lubetzki et Rav Weiskopf ont été soutenus par les rabbins de toute l’Europe (dont Rav Haim Ozer Grodjienski qui représentait l’autorité suprême en Halakha d’avant-guerre), des Etats-Unis et d’Israël. 8 LA CHRONIQUE DU RABBIN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 07

L’une des idées du Grand Rabbin Lehmann repose sur un passage talmudique stipulant que : « kol démékadesh ada’ta dérabanane mékadesh », (quiconque remet des kiddoushin, ne le fait qu’avec l’assentiment des rabbins). Faut-il encore savoir ce qu’inclut le terme « rabanan » : s’agit-il uniquement des rabbins de la Mishna et du Talmud, ou s’applique-til aux rabbins contemporains ? D’ailleurs, le Rashba (13e siècle) écrit explicitement que les rabbins n’ont plus le poids juridique nécessaire pour casser des kiddoushin. Une autre idée du Grand Rabbin Lehmann est que l’on peut faire de n’importe quelle institution (Takanot) pour le bien de la communauté. Cet argument n’est valable que pour les problèmes liés à des coutumes. Dans ce cas, il s’agit d’interdits d’ordre thoraïque. Les décisionnaires ne permettent de faire un mariage conditionnel que dans le cas de yboum, lorsque le beau-frère est renégat, qu’il a disparu ou qu’il est sourd-muet, mais ils n’ont pas étendu leur autorisation à tous les mariages célébrés. Pourquoi ce distinguo entre le cas où le mari est encore vivant, et le cas où il est décédé ? Dans le cas où le mari est encore vivant, on considère qu’il annulera la clause lors de la consommation du mariage. Le statut religieux des enfants à naître va le motiver à annuler la clause. En effet, si des enfants naissent, qu’il est vivant au moment où son couple se déchire, et qu’il refuse de donner le guett, bien que le divorce civil ait été prononcé, que se passera-t-il si la condition est appliquée ? Son mariage sera annulé rétroactivement et ses enfants auront le statut de nés hors mariage (pégoumim). Un homme refusera, en règle générale, de se retrouver dans une telle situation ; par voie de conséquence, il annulera implicitement la clause avant qu’elle ne puisse prendre effet et la condition n’a pas de valeur. En revanche, dans le cas du renégat (ou disparu ou sourd-muet), le couple n’a pas eu d’enfant et il n’y a pas de crainte à avoir sur le statut des descendants. Le Rabbin David Hoffman (directeur du Séminaire rabbinique de Berlin, et auteur de Responsa Melamed Leho’ il) rapporte que s’il était réellement possible de casser les kiddoushin, alors toute la littérature rabbinique concernant les « agounot » serait superflue. D’autant plus que nous risquons d’arriver, par le biais de cette condition, à la quasi-annulation des lois matrimoniales, et la notion de famille juive pourrait s’effondrer. Le Rav Moshé Domishenski, rabbin de Slabodka, considère que faire une condition aurait pour conséquence éventuelle l’annulation rétroactive des kiddoushin, et, par là-même, le vécu rétroactif en concubinage. Cet état de fait n’est pas accepté, en vertu du principe selon lequel « ène adam ossé bé’ ilato, be’ ilat znout » (un homme se refuse à avoir des relations extra-conjugales). C’est la raison pour laquelle il subsiste le risque que le mari annule implicitement le tenay (la condition). Il est difficile, voire délicat, de trancher catégoriquement pour des clauses prénuptiales sur un plan halakhique. Les divorces font partie des tâches compliquées et laborieuses des rabbinats, et il est toujours très triste de voir arriver une femme en détresse. Nos dirigeants religieux ont toujours fait d’énormes efforts dans ce domaine pour trouver les solutions adéquates à ce problème épineux. En Israël, le pouvoir du Tribunal Rabbinique étant plus important qu’en Diaspora, plus de moyens peuvent être mis en œuvre pour forcer l’homme à donner le guett à son épouse. Bien qu’il soit tentant de penser que ces clauses faciliteraient la vie de beaucoup de femmes, les risques sont trop importants de se retrouver avec des enfants mamzerim pour donner suite à des mariages annulés. Rav Dr. Izhak Dayan, Grand Rabbin ® SHUTTERSTOCK 9 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1

L’ENTRETIEN AU CINÉMA AVEC IRMA DANON ET LAURENT SELVI ! La onzième édition du Festival International du Film des Cultures Juives de Genève se tiendra du 13 au 20 octobre prochain. Parmi la dynamique équipe qui donne vie chaque année à cet évènement qui propose films, documentaires et courts-métrages venus du monde entier autour de la culture juive au sens large, les époux Irma Danon et Laurent Selvi s’impliquent chacun à leur façon. Tandis que l’ancienne journaliste veille à la programmation et assure la présentation des films du festival, lui en est le président. Interview à deux voix autour de cette collaboration qui va bien au-delà d’une histoire de couple ! Comment, en 2011, avez-vous eu l’idée de créer ce festival ? Laurent Selvi Ce festival est la version locale d’un évènement très connu en Angleterre, qui existe depuis 25 ans. Ici, il a été créé il y a onze ans, par Alan Howard, un financier anglais, grand philanthrope impliqué dans la cause juive. Il l’a, en quelque sorte, rapporté dans ses bagages lorsqu’il s’est installé à Genève. D’ailleurs, même si la programmation est « affinée » au niveau local, l’administration et l’organisation de la manifestation se font en grande partie toujours à Londres. Irma Danon Il faut savoir qu’en Angleterre, le UK Jewish Film Festival est un évènement culturel très important. Il réunit personnalités du monde politique, culturel et social. Le festival draine plus de 20000 spectateurs sur une année entre Londres et Brighton... Il a une toute autre dimension que celui de Genève qui est en, quelque sorte, le « petit frère ». Pourquoi avoir eu envie de vous impliquer dans son organisation ? ID Parce qu’un évènement de ce type nous a immédiatement parlé, avec cette idée de créer un rendez-vous autour de la culture juive. Et parce que nous aimons passionnément le cinéma. Laurent est un très fin cinéphile. Ce festival est la seule manifestation juive qui ne soit pas communautaire. La culture permet cette ouverture… On ne se limite pas à la religion juive ou aux cinéastes israéliens, loin de là. Dans l’organisation, dans nos choix, nous avons une grande liberté tout en présentant plusieurs facettes de la culture juive. En Angleterre, le festival s’appelle le UK Jewish Film Festival, avec une nuance qui est difficile à transposer en français. C’est pour cette raison que nous avons nommé la version genevoise Festival du Film des Cultures Juives et non pas Festival du Film Juif. L’édition 2021 sera la onzième édition ? ID Oui, la première édition a eu lieu en 2011. Le festival se tiendra du 13 au 20 octobre, selon les règles sanitaires actuelles, en mode hybride avec quelques évènements en public et d’autres en ligne. Il proposera, selon sa formule habituelle, une douzaine de films, documentaires, court-métrages de toutes origines en version originale, toujours sous-titrés en français. Nous profiterons de la présence d’acteurs et de réalisateurs qui viendront parler de leur film. Le film d’ouverture, projeté le soir de la soirée de gala est le fameux Persian Lessons. C’est un film puissant, intense, qui vous prend aux tripes, et qui montre les capacités invraisemblables à réagir en cas d’urgence absolue. Comment s’opère la sélection ? ID Un premier choix est fait à Londres où l’on nous propose la plus grande partie de ce qui est programmé. Nous faisons également des suggestions avec des productions en langue française susceptibles d’intéresser le public local. Avec Donna Adiri, qui est la productrice du festival, nous visionnons tous les films et retenons ce qui nous semble pertinent pour peaufiner la programmation. Donna est celle sur qui tout repose ici, elle coordonne le festival et s’occupe de la logistique. Mettre sur pied une programmation n’est pas simple, il faut négocier, convaincre les distributeurs. Plus ils sont importants, plus c’est compliqué. Nous sommes un petit festival, mais on arrive à leur faire comprendre que cet évènement est un grand moment de rencontres, avec un public de vrais passionnés. Parvenez-vous à obtenir des exclusivités ? ID On essaie évidemment de proposer des choses qui ne sont pas encore sorties, qui n’ont pas été vues partout. Il faut bien penser que la plupart des films que nous proposons ne pourraient pas être visibles ailleurs en Suisse. C’est une opportunité unique de voir en quelques jours ce genre de films. C’est intense, et cela fait partie du plaisir d’un festival. Parfois, cela ne nous dérange pas de programmer des films pas tout à fait récents mais avec un véritable intérêt pour le public. C ’est le cas cette année avec The Human Factor qui vous plonge dans les négociations israélo-palestiniennes à l’époque de Clinton, avec une vue sur les coulisses de ce moment d’histoire. C’est un documentaire à voir absolument ! L’année dernière, ce moment de rencontre a pris une forme particulière avec un succès inattendu ? LS Oui, cela a été vraiment particulier en raison de la pandémie. Nous avons dû faire des choix compliqués. Nous avons dû repousser les dates de la tenue du festival à deux reprises. Nous nous sommes longuement interrogés sur la manière de maintenir la programmation. Les gens manifestaient un grand besoin d’accès à la culture. Notre budget était bouclé, et grâce à la générosité de nos sponsors, nous avons pu offrir ce festival au public en ligne avec un délai de 72 heures pour visionner gratuitement chaque film. Cela a eu un très grand succès ! Nous avons vraiment travaillé pour maintenir au maximum l’expérience festivalière, en gardant avec les présentations, l’esprit du festival. Nous avons eu de très bons retours et un nombre de spectateurs bien au-dessus de nos attentes ! 10 L’ENTRETIEN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 07

® AGATHE DE SARRAU POEYDOMENGE Irma, vous êtes journaliste de métier… Cela vous pousse-t-il naturellement plus vers les films en lien avec l’actualité, l’information? ID Il est vrai que j’aime particulièrement les documentaires. J’aime aussi les films d’auteur tout comme les productions grand public. Mais j’ai une préférence, toutefois, pour les films sombres, avec une attention particulière pour la musique. J’apprécie aussi le cinéma comme un simple moment de divertissement. Le vrai cinéphile c’est Laurent, il est incollable. Du coup, ses exigences sont plus pointues. LS Un bon film pour moi est un film qui me touche, qui fait appel à l’émotionnel, qui me séduit par son côté esthétique… Cela ne peut pas être l’un ou l’autre, la qualité cinématographique passe par ça mais aussi par la justesse de la réalisation, la cohérence de la narration. Le film que j’ai préféré depuis la naissance du festival est une comédie israélienne qui s’appelle Le Balcon des Femmes. Il traite de la lutte interne entre les extrémismes religieux les plus traditionnalistes. C’est une ouverture inattendue sur cet univers très opaque. Est-ce compliqué de faire des choix, de décider de ce que l’on donne à voir ? ID Il faut être conscient que l’on ne fait pas un festival juste pour soi. Nous choisissons des films qui nous plaisent, évidement. J’ai plusieurs fois visionné des films sur petit écran en n’étant pas vraiment convaincue, pour, finalement, être surprise par le succès de ce même film projeté lors du festival ! L’expérience d’un film dans une salle de cinéma, avec un grand écran, entouré de personnes qui réagissent, cela change tout… Le ressenti reste magique devant un grand écran ! LS J’insisterais aussi sur le fait qu’il faut vraiment considérer que nous faisons ce festival pour le public romand. C’est avec cet objectif que l’on prend vraiment en compte ce qui peut plaire ou intéresser. Ce public, justement, quel est-il ? LS C’est un public largement communautaire mais pas uniquement ! Il est constitué de personnes très différentes, avec une représentation très large qui varie selon les œuvres programmées. En 2013, par exemple, lorsque nous avons programmé le film Bessa, La Promesse, nous avons eu énormément de membres de la communauté albanaise, car le film traitait de la manière dont cette communauté avait sauvé des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Il y a aussi des inconditionnels, des personnes qui viennent passer un séjour à Genève juste pour le festival. Comment ce festival se positionne-t-il dans la vie culturelle genevoise ? ID Genève est une ville très riche en termes de festivals. Mais nous ne sommes pas en compétition avec les autres. On doit évoluer dans un écosystème où l’on se différencie naturellement par notre taille, entre autres. Notre offre est culturelle, informative, historique et ludique. Nous respectons ce qui se fait ailleurs et ne marchons aucunement sur les plates-bandes des autres festivals. Nous ne sommes pas en concurrence, chacun à sa place. Autant de propositions culturelles ne posent pas de problèmes par rapport au financement d’un tel évènement ? LS Nous ne fonctionnons que grâce à la générosité de nos sponsors. Ils sont de vrais partenaires ! Ce sont des particuliers, des institutions et des sociétés. Très différents les uns des autres, mais avec une grande envie que ce festival puisse avoir lieu. Nous avons un groupe de soutien, Les Amis du Festival, qui permet aussi de contribuer à l’existence de l’événement grâce à leurs dons. ID Tous nos partenaires sont très impliqués, ils s’engagent vraiment pour un événement dans leur cité. Ils sont motivés par ce moment de partage et de rencontres autour de thèmes parfois sensibles. 11 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1

Une certaine cohésion est-elle importante pour le succès d’une programmation ? ID Oui, bien sûr, il y a toujours un fil conducteur. Dans le contexte actuel, il y a cette difficulté à distinguer le vrai du faux, comme les fake news par exemple. Cela nous amène à nous poser des questions autour de ce que l’on voit et qu’on se permet de juger trop rapidement. Cette année, nous projetterons Misha and the Wolves. C’est un documentaire sur Misha Defonseca, l’auteure de Survivre avec les loups, le récit autobiographique d’une petite fille qui a échappé à la Shoah en parcourant l’Europe protégée par des loups. Récit dont on s’est aperçu des années après qu’il était complètement inventé. Ce document montre comment cette histoire est née, comment elle s’est construite et les traumatismes qui ont poussé à raconter cela avec autant de véracité. Qu’est-ce qu’englobe finalement ce terme de « culture juive » ? LS C’est davantage une question de société et de politique que de communauté, autour de la manière que l’on a de vivre toute forme de persécution, de ségrégation. Au-delà de notre appartenance à une communauté, à une religion, on a tous les mêmes interrogations… Tout est question de perception… Le but du festival n’est pas d’être totalement lisse. Si la valeur cinématographique est indispensable, la programmation est aussi là pour poser des questions et amener la discussion. Vous pensez qu’un tel festival manquait à la vie culturelle genevoise, où la communauté juive a toujours été très présente ? LS Oui, indéniablement, cela manquait. C’est vraiment un évènement qui permet de se rencontrer autrement que sous l’égide de la seule religion, de montrer la diversité de notre culture, de nos aspirations. Même si le cinéma israélien est de très grande qualité, ça n’est pas un festival du film israélien, ni du film juif. Vous parlez du cinéma israélien…On a l’impression d’un vrai renouveau de ce cinéma, notamment sous l’impulsion de l’énorme succès des séries made in Israel. LS C’est une petite production, comparée à d’autres pays bien évidemment, mais qui est de plus en plus qualitative grâce à de bons auteurs et de bons cinéastes. On y trouve vraiment de belles choses. Les Israéliens ont un goût avéré pour la comédie musicale, pour l’humour décalé. Il y a d’excellentes écoles de cinéma. Le Festival International du Film des Cultures Juives de Genève propose aussi un programme éducatif sur la Shoah. Comment cela se passe-t-il ? LS C’est un aspect du festival qui nous tient très à cœur. Durant chaque édition, nous organisons une ou deux projections en exclusivité pour un public d’écoliers et de collégiens des secteurs publics et privés, en présence, autant que possible, des comédiens ou du réalisateur. Le film a bien entendu un rapport avec la Shoah, sans être un documentaire sur ce sujet précis. Nous voulons consacrer un moment à l’Histoire, à travers un film de fiction, parce que c’est un bon moyen d’aborder la problématique, dans un but aussi pédagogique. Le cinéma a un côté magique, quelque chose d’unique. Il laisse une empreinte sur ce public qui a, de par son jeune âge, une sensibilité exacerbée. Je pense que, lors de ces séances, c’est un écolier qui entre dans le cinéma et c’est un autre qui en ressort tant ce qu’il a vu le marque. ID C’est vraiment palpable. Lorsque nous avons programmé Un sac de billes, il y a eu un échange très fort avec le scénariste qui était présent. A la fin de l’échange, le scénariste a donné un sac de billes à un écolier. Il en avait les larmes aux yeux. C’était intense et symboliquement puissant. Un beau moment de partage. Vous êtes un couple, tous deux très impliqués dans ce festival…Quels sont vos rôles ? ID De mon côté, j’ai un rôle dans la programmation, je vois tous les films aux côtés de Donna. Pendant le festival lui-même, j’assure la présentation et les interviews avec l’équipe du film après sa diffusion. LS Je m’implique davantage dans l’aspect financier, je suis celui qui vient regarder les factures (il rit). J’ai également un rôle stratégique sur ce que doit être le festival maintenant et dans le futur, et la manière dont on peut le développer. Mais si nous nous y impliquons en couple, ce festival n’est pas une histoire de couple mais une histoire de passion commune. Pouvez-vous nous parler de ceux qui, à vos côtés, font vivre le festival ? ID Donna Adiri a un rôle fondamental au cœur du festival. Elle réalise un travail remarquable et intense. C’est elle qui organise tout et surtout qui motive nos sponsors. Elle est très douée. Les bénévoles s’impliquent à fond, ils ont un rôle-clé et ne comptent pas les heures. Le tout forme une équipe formidable. Comment voyez-vous l’avenir du festival après ces deux années un peu chahutées par la crise sanitaire ? LS Je dois dire que j’ai été agréablement surpris par le succès de la version en ligne ® SHUTTERSTOCK 12 L’ENTRETIEN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 07

13 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1 du festival, proposée l’an dernier. Elle a réuni trois fois plus de spectateurs que les autres années. Cela donne des pistes, par exemple sur des éditions avec des projections classiques et d’autres à distance. Puis l’offre de salles s’élargissant à Genève avec la construction de multiplexes, on pourrait augmenter notre capacité de spectateurs. Cette année, la forme sera hybride avec une partie en salle et l’autre en ligne. Je reste convaincu que pour l’avenir, il faut ancrer encore davantage son organisation. Il faudra augmenter la portée pédagogique et s’associer aussi avec d’autres évènements culturels comme le Salon du Livre, autour de thématiques comme la lutte contre les préjugés. ID Nous souhaitons également, organiser des séances orientées familles et enfants. C’est d’ailleurs une demande de nos spectateurs. Nous cherchons également à mettre sur pied une projection « rétro » avec un film qui a marqué l’histoire du cinéma et qui est en lien avec nos thématiques. Et enfin, un jury serait le bienvenu dans notre festival avec une remise de prix. Cela serait un plus pour les films sélectionnés. Tout cela nécessite plus de moyens évidemment, mais on y croit. Le festival va continuer de grandir. On se réjouit pour la suite ! Jennifer Segui LE PROGRAMME DU FESTIVAL MERCREDI 13 OCTOBRE GALA D’OUVERTURE Cinerama Empire à 20h Persian Lessons, de Vadim Perelman En 1942, dans un camp de l’Allemagne nazie, la relation particulière entre Gilles, un Juif qui se fait passer pour un perse, et le chef du camp à qui il enseigne le farsi. JEUDI 14 OCTOBRE Projection en ligne dès 19h (+72h) Shalom Taiwan, de Walter Tejblum Aaron, un rabbin à la recherche de fonds pour soutenir sa communauté, part à Taiwan où on lui a assuré que de riches donateurs seraient prêts à l’aider. JEUDI 14 OCTOBRE Projection en ligne dés 19h (+72h) The World Without You, de Damon Shalit Adapté d’un roman du même nom, ce film raconte l’histoire d’une famille endeuillée par la mort de Léo, un photographe de presse américain de confession juive mort en Irak, qui se réunit pour lui rendre hommage le temps d’un week-end. Court-métrage : Woman of Valour VENDREDI 15 OCTOBRE Projection en ligne dès 11h (+72h) Honeymood, de Talya Lavie A Jérusalem, un couple s’apprête à passer sa nuit de noces dans la suite nuptiale d’un hôtel de luxe. Mais rien ne va se passer comme prévu. Court-métrage : The Schnoz SAMEDI 16 OCTOBRE FILM PRINCIPAL Cinerama Empire à 20h30 The Human Factor, de Dror Moreh Un documentaire fascinant sur les années 90 qui ont fait naître l’espoir d’une réconciliation entre Israël, la Palestine et la Syrie grâce à la diplomatie et aux négociations américaines. DIMANCHE 17 OCTOBRE Projection en ligne dès 11h (+72h) Kiss Me Kosher, de Shirel Peleg Lorsqu’une Israélienne et une Allemande décide de se marier, le plus compliqué n’est pas d’être deux femmes. Mais de devoir composer avec un père colon, une grandmère survivante de la Shoah et un passé familial nazi. DIMANCHE 17 OCTOBRE Projection en ligne dès 11h (+72h) Misha and the Wolves, de Sam Hobkinson Ce passionnant documentaire revient sur l’immense imposture du livre à succès de Misha Defonseca, auteure de Survivre avec les loups. Court-métrage : Masel Tov Cocktail DIMANCHE 17 OCTOBRE Projection en ligne dès 11h (+72h) What If ? Ehud Barak on War and Peace, de Ran Tal Âgé de 78 ans, Ehud Barak, qui fut chef d’état-major des FDI et Premier ministre de l’État revient, dans ce documentaire, sur les évènements-clés qui ont façonné Israël. LUNDI 18 OCTOBRE Projection en ligne dès 19h (+72h) Asia, de Ruthy Pribar Asia est un touchant portrait mère-fille entre Asia, une mère célibataire et Vika, sa fille unique qui souffre d’une grave maladie. LUNDI 18 OCTOBRE Projection en ligne dès 19h (+72h) The End of Love, de Keren Ben Rafael Yuval, dont le visa expire, est contraint de quitter Paris où il vit et de rejoindre Israël. S’en suit une relation à distance avec Julie via Skype qui va s’avérer difficile. MARDI 19 OCTOBRE Projection en ligne dès 19h (+7 jours) Dayan : The First Family, de Anat Goren Un documentaire étonnant sur la famille aussi influente que dysfonctionnelle du célèbre général d’armée borgne Moshe Dayan. MARDI 19 OCTOBRE Projection en ligne dès 19h (+72h) Winter Journey, de Anders Østergaard Ce film très personnel raconte l’histoire d’un naturalisé américain qui, l’espace d’une journée révèle à son fils Martin comment lui et son épouse ont fui l’Allemagne en 1941. MERCREDI 20 OCTOBRE FILM DE CLÔTURE Cinerama Empire à 20h My Amazing Funeral, de Néstor Sanchez Sotelo Quand une mère juive envahissante qui a peur de l’avion organise son propre enterrement pour faire venir à elle ses enfants répartis à travers le monde.

14 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 07 L’ENQUÊTE

L'ENQUÊTE LE RABBIN, NOUVELLE STAR DU WEB ? Pendant un an et demi, la pandémie de Covid-19 a provoqué la fermeture des synagogues. Il a donc fallu trouver un moyen de conserver le lien avec la communauté. Cours et enseignements par visioconférence sont vite devenus la norme pour les rabbins comme pour les fidèles. Mais, si Internet ouvre le champ des possibles, il peut aussi entraîner des dérives pernicieuses. Au cours de ces dix-huit derniers mois, la pandémie de Covid-19 a largement bousculé nos habitudes, remettant en cause nos libertés, nos liens sociaux et familiaux, ainsi que notre manière d’appréhender notre quotidien. Du jour au lendemain, la population s’est retrouvée confinée avec cette seule obligation : maîtriser les gestes barrières pour survivre et protéger son prochain. Les gouvernements ont alors décidé de tout fermer : les restaurants, les boîtes de nuits, les salles de spectacles, les musées… Les lieux de culte n’ont pas fait exception. Impossible de se réunir pour partager sa foi ou rendre un dernier hommage à ses morts. Une fois les portes des synagogues closes, il a donc fallu se réinventer. Chercher un moyen, nouveau forcément, de nourrir ce lien fondamental avec la communauté. Une urgence d’autant plus importante que le rabbin en constitue le plus souvent la pierre angulaire. Avec cette responsabilité, fondamentale, de faire respecter les 613 commandements de la loi juive. « La question est de savoir jusqu’où on peut aller dans le renouvellement et l’ interprétation actuelle de ces enseignements, appelés à être traduits dans le langage d’aujourd’hui », rappelait Lionel Elkaïm, rabbin de la Communauté Israélite de Lausanne et du canton de Vaud, dans l’émission Hautes Fréquences sur La Première. Histoire de souligner que, même complexe, la Torah doit aussi prendre la réalité des fidèles en compte… AVEC INTERNET, ON CONSERVE LE LIEN AVEC LA COMMUNAUTÉ Pour les rabbins, il paraissait dès lors naturel d’utiliser les outils à disposition pour conserver ce lien et continuer à transmettre leurs connaissances à la communauté. Et, avec le développement du télétravail, la visioconférence – au travers des applications Zoom, Google Meet ou Webex – est devenue incontournable. «Cette forme de communication est un magnifique terrain d’inventivité spirituel, culturel et religieux », fait remarquer Rivon Krygier, rabbin de la communauté Adath Shalom à Paris. « J’ai vu des fidèles, qui ne venaient plus à la synagogue parce qu’ ils habitaient loin, renouer avec la communauté. Et le fait de se réunir et d’observer l’ensemble de ces visages présents à l’écran a permis, dans ces moments d’anxiété latente, de dépasser le côté virtuel de ce moment. » J’AI VU DES FIDÈLES, QUI NE VENAIENT PLUS À LA SYNAGOGUE PARCE QU’ILS HABITAIENT LOIN, RENOUER AVEC LA COMMUNAUTÉ. ET LE FAIT DE SE RÉUNIR ET D’OBSERVER L’ENSEMBLE DE CES VISAGES PRÉSENTS À L’ÉCRAN, A PERMIS, DANS CES MOMENTS D’ANXIÉTÉ LATENTE, DE DÉPASSER LE CÔTÉ VIRTUEL DE CE MOMENT. 15 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1 ® SHUTTERSTOCK

Eric Ackermann, Hazan, s’est aussi résolu à passer dans le monde virtuel : alors qu’il utilisait déjà les réseaux sociaux, notamment au travers de sa page Facebook, il a choisi, depuis un an et demi, de donner ses cours via Zoom. « Le web ne remplacera pas tout », analyse-t-il. « Se retrouver face à face, se parler, avec tous les sens aux aguets : le virtuel ne peut pas transmettre ces émotions-là. Mais, avec la situation que nous vivions, il constituait une solution adéquate pour poursuivre la vie communautaire. » À ses yeux, il était primordial que la communauté s’adapte à ce mode de communication afin de palier la distanciation, non pas sociale, mais physique, imposée par la crise sanitaire. Guide spirituel et responsable du secteur social à l’EMS les Marronniers, il a ainsi pu proposer une réflexion « humaniste, psychologique et philosophique », travaillant sur des thèmes différents, tels que l’amour du prochain ou l’art de la connaissance, s’adressant aussi bien aux aînés qu’aux adolescents. « Je ne souhaitais pas des conférences, mais plutôt des cours interactifs, où les gens pouvaient intervenir et poser leurs questions », précise Eric Ackermann, surpris par une demande qui n’a fait que croître avec le temps. «Des groupes mixtes, juifs et chrétiens, ont commencé à suivre mes cours. Mais, surtout, le web ouvre les frontières : j’avais des auditeurs en Italie, aux États-Unis ou en Israël. » À une époque où il est de plus en plus compliqué de fidéliser une communauté à la synagogue, où le consommateur – et non, le « consommacteur » pour reprendre son néologisme – a la fâcheuse tendance de zapper de plus en vite, les autoroutes du Net offrent un terrain d’expression majuscule aux rabbins. Une vitrine géante qui les amène à pousser toujours plus loin les murs de leur synagogue. DES PLATEFORMES POUR PARTAGER LA PENSÉE JUIVE Cela peut-il conduire à des dérives ? Autrement dit : ces interventions sur les réseaux sociaux (Instagram, Facebook, YouTube) forment-elles les prémices d’un fast-food religieux dans lequel le rabbin deviendrait une personnalité ultra médiatique ? Le phénomène n’est pas nouveau. L’Hexagone est devenu un terreau de popularité pour certains d’entre eux. On pense notamment à Yann Boissière, ex-scénariste pour le cinéma et la télévision, fondateur de l’association interconvictionnelle La Voix de la Paix, ou à Haïm Korsia – qui vient de débuter son second mandat comme Grand Rabbin de France. Ancienne journaliste de France Télévisions, désormais rédactrice en chef du magazine Tenou’a, Delphine Horvilleur, elle, enchaîne les plateaux TV et les interviews, depuis la sortie de son nouveau livre, Vivre avec nos morts, paru chez Grasset en début d’année. Cela a peut-être suscité des vocations. « Toutes ces personnalités étaient connues bien avant la pandémie », souligne cependant Sigalit Lavon, directrice éditoriale du site Akadem. « Dans le cas de Delphine Horvilleur, cette starification est propre à sa personne : elle est énormément sollicitée par les médias, elle a toujours donné des cours sur Internet, elle n’a donc pas hésité à organiser des directs depuis chez elle pendant le confinement. » Akadem, non plus, n’a pas attendu la Covid-19 pour s’imposer comme le « campus numérique juif ». Le site existe depuis 2005 et se présente comme l’un des précurseurs de ce 16 ® ISTOCK L’ENQUÊTE LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 07

basculement vers le Net. Conçu d’abord pour filmer conférences et colloques, il s’est vite transformé en un média à part entière, conviant intellectuels, auteurs et politologues à s’exprimer sur sa plateforme, amenant une touche culturelle à un contenu déjà très riche. «Nous avons créé un besoin », analyse Sigalit Lavon. Avec 5000 visiteurs uniques par jour et un total de plus de 8200 pages vues au quotidien, Akadem a trouvé son rythme de croisière avant que le coronavirus n’apparaisse. «Nous avons aussi un fort public de chrétiens désireux d’obtenir des ressources. Entre 20 et 30% de nos visiteurs ne sont pas juifs. » Le trafic a même augmenté de près de 10% durant la période de confinement. «Notre mission est de constituer des archives de la pensée juive », ajoute la directrice éditoriale. Qui prend volontairement ses distances avec un autre site, Torah-Box, créé lui aussi au début du XXIe siècle, mais géré depuis Israël. «Nous ne sommes pas concurrents », fait-elle remarquer. « Torah-Box n’a pas la même ligne éditoriale qu’Akadem, ni le même niveau intellectuel. Ce n’est pas le meilleur de la pensée juive. C’est pourquoi nous essayons de ramener un maximum de leurs internautes sur notre site… » LES LIMITES DU VIRTUEL Entre une web-série humoristique et un tuto foulard dédié aux femmes, Torah-Box laisse largement la parole aux rabbins. Lecture de la Paracha, études sur texte, réponses aux questions posées par les visiteurs : le rav est omniprésent. N’est-ce pas excessif ? «Un rabbin est celui qui a la connaissance, il est donc là pour répondre à toutes ces questions », admet Eric Ackermann. «Mais a-ton vraiment besoin de rabbin gourou qui vous dise comment agir jour après jour ? Je ne le crois pas. Un maître doit vous permettre de devenir autonome et de vous dépasser pour trouver votre propre chemin. » Il ne blâme pas les réseaux sociaux, eux qui offrent un accès plus aisé à la connaissance. « Il serait bête de ne pas en profiter. Ils poussent à la curiosité et permettent aux gens de rester jeunes toute leur vie. Ce que je demande, simplement, c’est de garder un sens critique ! » Eric Ackermann a un peu plus de difficulté à accepter ce besoin de « s’arrêter sur le paraître ou l’ostentatoire ». Un comportement encouragé aussi bien par la banalisation de la télé-réalité que par l’art du selfie. Peutêtre espère-t-il que tous ces rabbins, avides d’une audience plus large et d'une visibilité extra-territoriale, renoncent à se transformer en influenceurs… «Un rabbin doit inspirer le respect. S’ il l’ impose, ce n’est plus un rabbin ! » Avec le retour à une certaine normalité, après un an et demi d’une existence rythmé par les gestes barrières, il estime néanmoins que les fidèles ne renonceront pas plus longtemps au minian. « Les personnes âgées ont hâte de retrouver la synagogue », souffle-t-il en guise de conclusion. « Le judaïsme, ce n’est pas ça », affirme encore Sigalit Lavon. « La vie juive, c’est être ensemble, se rencontrer… Cette période va néanmoins modifier profondément notre manière de partager notre foi. On aura le choix de le faire en virtuel ou en présentiel. Je pense notamment aux gens qui ont des enfants et qui n’ont pas toujours la possibilité de se déplacer à la synagogue : ils pourront suivre des enseignements via les réseaux sociaux. L’un n’empêchera pas l’autre. » Pour Floriane Chinsky, il n’est d’ailleurs pas superflu de « réaffirmer ce qui est normal » au moment de sortir de la crise : être libre, sortir de chez soi, s’embrasser, se sentir propre sans se désinfecter les mains à tout-va. Après des mois d’isolement forcé, il peut paraître difficile de s’en rappeler. Reste à savoir ce qui subsistera de tout ça à l’avenir… «Un proverbe dans La Sagesse des Nations dit : si tu plantes des graines dans un pot, seules celles que tu as décidé d’arroser pousseront », conclut-elle. «C’est tellement important ! C’est le sens même du mot Halakha, le chemin : tu dois sans cesse regarder quelles graines tu arroses, pourquoi quelles raisons, dans quelle direction tu choisis d’avancer et quels nouveaux horizons ce choix va-t-il t’ouvrir. » Le judaïsme par Zoom, avec son champ des possibles et ses éventuelles dérives, sera-t-il l’une de ces graines ? L’avenir le dira. Jean-Daniel Sallin www.akadem.org www.torah-box.com « À CHACUN DE GARDER SON SENS CRITIQUE ! » Bianca Favez, violoniste : « Suivre ces cours par Zoom m’a grandement facilité la vie. J’ai des enfants, je n’ai pas toujours la possibilité d’aller à la synagogue. Le fait d’avoir accès à des cours en direct, à des moments compatibles avec mon emploi du temps, est une immense chance pour moi. Je ne vois qu’un risque avec cette pratique : que l’on se perde à trop picorer à droite et à gauche. Quand on est pratiquant, on se doit de suivre une ligne et, lorsqu’on a des questionnements, on prend rendez-vous avec son rabbin et on accepte la réponse qu’ il nous donne, quelle qu’elle puisse être. Avec le Net, on aura peut-être la faiblesse d’aller chercher une réponse qui convienne mieux à nos attentes. » Raymond Azoulay, ingénieur en chimie : « Tous les jeudis soirs, pendant la pandémie, je suivais le cours du Grand Rabbin Izhak Dayan. Je me rends aussi régulièrement sur le site Torah-Box, parce qu’on a le choix des thèmes, on peut faire sa sélection au gré de ses besoins. Il y a bien plus de monde sur Zoom qu’en présentiel, parce que c’est plus simple : on est chez soi, devant son petit verre, on n’a pas besoin de chercher une place de parking… À chacun, ensuite, de conserver son sens critique ! On ne peut pas comprendre ces cours ou ces commentaires si on n’a pas lu les textes avant. On devrait tous avoir la sagesse de renoncer à partager ses pensées si on ne s’est pas informé sur le sujet auparavant. C’est une question de bon sens ! » J.-D. S. LA VIE JUIVE, C’EST ÊTRE ENSEMBLE, SE RENCONTRER… CETTE PÉRIODE VA NÉANMOINS MODIFIER PROFONDÉMENT NOTRE MANIÈRE DE PARTAGER NOTRE FOI. ON AURA LE CHOIX DE LE FAIRE EN VIRTUEL OU EN PRÉSENTIEL. 17 J U I L LE T-SEP TEMBRE 202 1

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