CIG Magazine N°06

LA CHRONIQUE DU RABBIN ESSAIS CLINIQUES SUR LES ÊTRES HUMAINS L’expérimentation sur l’être humain d’une nouvelle thérapie issue de la recherche en laboratoire est indispensable puisqu’elle contribue à la mise au point de nouveaux traitements ou de nouvelles méthodes de diagnostic. Cependant, elle n’est pas sans poser de réels problèmes éthiques d’ordre halakhique. Nous tenterons d’exposer ici les règles principales qui sont à la base de l’atti- tude du judaïsme face au problème évoqué . 1 RE RÈGLE Nous ne disposons d’aucun étalon nous per- mettant de mesurer le prix et l’importance de la vie ( Min’hat Shlomo, Ch.91 §24) ; la valeur de la vie humaine n’est pas quanti- fiable, et c’est pourquoi elle est indivisible : chaque particule en est infinie (le quotient de la division reste infini). ’Hayé sha’a («Une vie de quelques instants ») est aussi importante qu’une vie de 70 ans, ou bien la valeur de la vie d’un agonisant est égale à celle d’un individu bien portant, comme le stipule le Rambam ( Hikhot rotséya’h, Ch.2, Halakha 7) : «Celui que tue un individu en bonne santé, etc., ou même un agonisant, sera passible de peine de mort. » Si l’infini est indivisible, de même, il ne peut être multiplié. La vie d’une seule personne est aussi im- portante que celle de plusieurs individus. Le Talmud ( Sanhédrin 37a) rapporte : «C’est pourquoi l’homme a été créé unique, pour t’en- seigner que celui qui détruit une vie est consi- déré comme s’ il détruisait un monde entier, et celui qui maintient une seule vie est comme s’ il maintenait un monde entier. » 2 E RÈGLE Cette importance considérable accordée à la protection de la vie n’est pas sans répercus- sion sur la vie religieuse. Selon la loi juive, il est obligatoire de repousser les commande- ments ou les interdictions qui s’opposeraient à la préservation de la vie ou qui mettent la vie de l’individu en danger ; l’action de sauver une vie est considéré comme un commandement de la Torah. Il est, de ce fait, impossible de sa- crifier une seule vie humaine, dont la valeur est incommensurable. Ce principe donne également une grande place à ce que l’on appelle dans la tradition juive ’hayé sha’a ( « vie momentanée » ou un « instant de vie » ). Même en sa durée la plus courte, même condam- née à brève échéance, la vie représente une valeur suprême, incontournable. Même pour une « vie d’un instant » , on peut transgresser le Chabbat ( Yoma 85a), ainsi que le consigne le Choulkhan Aroukh ( Orékh ‘Haïm 329,4) : «Même si on lui trouve la cervelle écrasée et qu’il ne peut vivre qu’un moment, on dégage les décombres (le jour du Chabbat en cas d’ense- velissement sous un éboulement). » En d’autres termes, on doit (et pas seulement on peut) transgresser toutes les interdictions habi- tuelles, sauf trois d’entre elles : ne pas adorer de faux dieux, ne pas commettre d’inceste, ne pas tuer (voir plus loin). 3 E RÈGLE L’homme est tenu de porter assistance à une personne en danger. Ceci n’est pas seulement un devoir moral, mais une prescription de la Torah dont un verset ( Vayikra 19,16) stipule : Lo ta’amod al dam réékha : «Ne reste pas indiffé- rent au sang de ton prochain. » Rachi ( Sanhédrin 73a) explique qu’il faut user de tous les moyens dont nous disposons pour aider la personne en danger. Cependant, assister une personne en péril peut amener celui qui veut lui porter aide à prendre certains risques, voire même à mettre sa propre vie en danger. On se trouve là dans une zone grise, où il convient d’apprécier l’importance du risque encouru par rapport au résultat escompté (voir plus loin : Examen de quelques situations typiques). 4 E RÈGLE Comme déjà mentionné, il n’y a pas de diffé- rence entre les êtres humains, quel que soit leur état de santé, leur religion, leur genre, leur origine, ou encore leur couleur de peau ; raison pour laquelle il est interdit de prati- quer les essais cliniques sur des personnes infirmes ou incapables de discernement. 5 E RÈGLE Il est interdit de s’exposer au danger de mort. 6 E RÈGLE Même au prix de la sanctification du nom de D.ieu, on n’a pas le droit de renoncer à la vie, sauf dans trois cas où il est spécifié Yéharég vélo ya’avor : «On se laisse tuer, pour ne pas les transgresser » : avoda zara (idolâtrie), gilouy ‘arayot (inceste) et shfikhout damim (ne pas tuer). 7 E RÈGLE Le corps n’appartenant pas à la personne, le code du droit rabbinique, le Shoulkhan aroukh ( ‘Hoshen Mishpat, 420,31) condamne l’au- tomutilation, ou le fait de porter atteinte à l’intégrité physique d’autrui. Cette interdic- tion ne concerne qu’une blessure gratuite, mais ne saurait viser un acte utilitaire mé- dical (une intervention chirurgicale, voire l’amputation d’un organe ou d’un membre). 8 E RÈGLE Dans la difficile confrontation entre le souci d’atténuer et de supprimer la souffrance, et l’interdit de supprimer la vie (voir 6 e règle), la primauté absolue doit être accordée à la vie sur la souffrance, même contre l’avis du patient. EXAMEN DE QUELQUES SITUATIONS TYPIQUES Au sujet de la recherche impliquant des volontaires capables de discernement et en bonne santé (mais ne profitant pas de cette recherche), on constate que : • S’il n’y a pas de risques évidents, la par- ticipation est recommandée, mais sans pour autant les obliger (ils conservent la possibilité d’en décider eux-mêmes) ; • S’il y a une prise de risque, la participa- tion n’est autorisée que si le danger n’est pas majeur. Accepter un inconvénient banal et réversible ne doit pas empêcher un volontaire de participer, et cela est même considéré comme un acte pieux, puisque cela permettra éventuellement de faire bénéficier des malades des ac- quis de cette recherche. S’il y a dan- ger de mort, ou même un risque élevé, la participation est interdite, car Ène dokhine néfésh mipéné néfésh : «On ne repousse pas une vie à cause d’une autre vie », ou bien ’Hayékha kodmine lé’hayé havérkha : « Ta vie a priorité sur celle de ton prochain. » Au sujet de la recherche impliquant des vo- lontaires malades capables de discernement, soit qui profitent eux-mêmes peut-être de cette recherche, soit qui n’en retirent personnellement aucun bénéfice, mais qui peuvent faire bénéficier d’autres patients des acquis de cette recherche, on observe que : • Si le patient est condamné, dans les pro- chains 12 mois, à mourir suite à une ma- ladie incurable (‘holé shéyésh bo sakana), il lui est permis de participer, même si le traitement risque de précipiter l’heure de sa mort. Dans ce cas-là, nous tenons plus compte de ’hayé sha’a . • Si le patient souffre d’une maladie qui n’entraînerait pas la mort (’holé shéén bo sakano), il doit suivre la majorité des avis médicaux en leur joignant l’approbation du Rabbin de la ville. Rav Dr. Izhak Dayan, Grand Rabbin DANS LA DIFFICILE CONFRONTATION ENTRE LE SOUCI D’ATTÉNUER ET DE SUPPRIMER LA SOUFFRANCE, ET L’INTERDIT DE SUPPRIMER LA VIE, LA PRIMAUTÉ ABSOLUE DOIT ÊTRE ACCORDÉE À LA VIE SUR LA SOUFFRANCE. 9 8 LA CHRONIQUE DU RABBIN MARS -J U IN 202 1 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 06 ® SHUTTERSTOCK

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