CIG Magazine N°06

® UNSPLASH LA CUISINE COMME VECTEUR DE CULTURE Knut Schwander, responsable du guide Gault- Millau Suisse romande, ne s’étonne pas vrai- ment de l’émergence de ces nouveaux chefs et d’Israël comme nouvelle Terre promise de la gastronomie : «C’est une région qui est le berceau de nos religions, qui est un melting pot de cultures diverses et qui dispose de pro- duits très séduisants, de nombreuses saveurs, épices, herbes, le tout dans une certaine forme de simplicité. Jusqu’ici, tous ces plats, qui étaient un peu lourds, se sont allégés, comme cela a été le cas dans d’autres types de gastronomies. S’ajoute à cela une inventivité et tout un côté moderne également apporté par la créativité de la cuisine végétarienne et vegan. » Pour le journaliste gastronomique, cet univers « cha- toyant, séduisant, fait de racines moyen-orien- tales et enrichi d’ influences du monde » est un « vrai vecteur de cultures, un élément fédéra- teur. » Pour autant qu’elle soit portée par des personnes de talent : «De par ces influences multiples, il ne faudrait pas que ce terme de cui- sine israélienne devienne un concept marketing un peu fourre-tout comme on a pu le voir avec d’autres cuisines à la mode ou dites ‹fusion› . Il ne suffit pas de mettre du houmous ou des fallafels à la carte pour s’afficher comme un restaurant de cuisine israélienne. » DES INFLUENCES MULTIPLES Multiculturelle, la cuisine israélienne l’est par définition. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, le peuple d’Israël, venu de toute part, cuisine d’abord pour se nourrir selon ses propres codes. Mais très vite, les diffé- rentes cultures en présence vont apporter, chacune, le meilleur de leurs traditions : plats ashkénazes, recettes séfarades, mais aussi in- fluences irakiennes, yéménites, marocaines, tunisiennes ou polonaises… Avec les années, ce melting pot gastronomique ne cesse de se développer, de se réinventer, aidé par une amélioration de l’agriculture de la région qui fournit des produits de plus en plus qualitatifs. A la tête du traiteur Adar à Paris, Tamir Nah- mias expliquait la richesse de cette éducation au goût au magazine l’Express : «Ma mère est ashkénaze d’origine hongroise. La famille de mon père, elle, est séfarade, originaire d’Égypte. Alors chez mes parents, à table, c’était le choc des cultures. Durant un même repas, on pouvait manger des harengs à l’huile ou des pickles, des mets typiques de la cuisine des pays d’Europe de l’Est, avec du houmous. » Depuis quelques années, en l’absence de vé- ritable formation en hôtellerie et restauration en Israël, les cuisiniers en devenir partent se former en Europe, en France mais aussi au Danemark et réinventent leurs classiques en dehors des codes, sans complexe et en toute liberté. Annabelle Schachmes, photographe et jour- naliste culinaire, auteur du livre La cuisine Juive (éditions Gründ), explique : « La Cui- sine juive, c’est une cuisine de terroir, autour de chefs et de produits de ce terroir, comme les légumes, les épices, à l’ image de l’emblé- matique zaatar, du sumac, du tahini. Il ne faut pas la confondre avec la cuisine juive qui est une cuisine géographique, originaire d’Afrique du nord ou d’Europe de l’est. » Cuisine israélienne, cuisine juive, cuisine casher… Alors qu’Israël exporte ses chefs, la confusion existe chez les non-initiés… L’un des points communs de ces nouveaux noms de la gastronomie, qui essaiment leurs tables à travers le monde, est de souvent s’affranchir des questions de religion pour donner vie à des recettes, et à des tables, laïques. Claire Bastier, auteure de l’ouvrage Chroniques culinaires de Jérusalem (éditions Menu Fretin), explique, dans un article du magazine français l’Express : « Depuis une vingtaine d’années, Israël s’ouvre sur le monde et se construit une identité culinaire qui s’af- franchit des clivages religieux et s’émancipe de la cacherout, les interdits alimentaires dictés par la Torah. » Goûts inédits, textures créatives, associations inattendues… Le suisse Guy Lindt, directeur de l’emblématique hôtel American Colony situé à Jérusalem-Est, a lui senti l’émer- gence de cette nouvelle gastronomie et de ses nouvelles figures de proue : « Israël aime bien manger et se passionne pour tout ce qui parle de cuisine. Les programmes comme les versions locales de Masterchef ou de Cauchemar en cuisine ont beaucoup de succès. Et, dans un territoire pas si vaste, nous avons pas mal de deux étoiles Michelin. La cuisine israélienne, c’est une cuisine très middle east, saine, avec beaucoup de goût portée par une belle agri- culture, notamment bio. » Signe de ce succès, l’établissement confiera prochainement les cuisines de l’un de ses deux restaurants au chef palestinien Sami Tamimi, meilleur ami, business partner et co-auteur de la star Yo- tamOttolenghi, pour une première adresse en Terre Sainte après ses multiples adresses à Londres, Dubaï et New York. Un retour aux sources en quelque sorte… Jennifer Segui QUATRE CHEFS À SUIVRE ® WWW.INSTAGRAM.COM/OTTOLENGHI ® WWW.INSTAGRAM.COM/EYALTOMATO ® WWW.INSTAGRAM.COM/CHEF_MEIR_ADONI YOTAM OTTOLENGHI Né en 1968 à Jérusalem, YotamOttollenghi est surtout connu pour ses livres de cuisine érigés au rang de best-sellers. Le dernier en date, Flavour , co-écrit avec la cheffe mexi- caine Ixta Belfrage, fait encore une fois la part belle aux légumes, sa spécialité. S’il a commencé sa carrière en tant que pâtissier à Londres, cet amoureux du végétal, qui n’est lui-même d’ailleurs pas végétarien, excelle dans ce domaine. Auteur à succès, il publie de nombreuses chroniques culinaires pour le New York Times et le Guardian . Nombre de ses livres sont co-signés avec son ami le chef Sami Tamini, avec lequel il possède de nombreux restaurants. Son plat emblématique Les aubergines brûlées au tahini. Les adresses de ses restaurants, ses livres, sa boutique en ligne www.ottolenghi.co.uk Ce qu’il dit « J’ai suivi les cours d’un institut de cuisine tra- ditionnelle française, l’école Cordon Bleu. J’y ai appris des techniques passionnantes, mais le légume était toujours un à-côté, jamais la pièce centrale. Dans ma culture, même quand il y a du poisson ou de la viande à table, on ne retrouve pas cette hiérarchie. » EYAL SHANI Né à Jerusalem en 1959, il est considéré comme l’un des précurseurs de la cuisine israélienne à travers sa chaîne mondiale de restaurants Miznon. Surnommé le «Cali- flower King », le chou-fleur est l’un de ses produits-phares. Il possède des adresses à Paris, New York, Tel-Aviv. Son plat emblématique Le chou-fleur rôti. Parmi ses adresses Ses restaurants Miznon : www.miznonnyc.com A Tel Aviv : www.hasalonnyc.com Ce qu’il dit «Nous mettons vraiment le meilleur dans un simple pain pita. Je veux l’énergie de la rue dans ma nourriture, l’énergie de la jeunesse. Mais les ingrédients, l’expérience, l’originalité, la pureté... Tout cela en fait une cuisine raffinée. » ASSAF GRANIT Ce chef star en Israël, où il a été le présen- tateur de l’émission Cauchemar en cuisine comme Gordon Ramsay pour la version an- glaise et Philippe Etchebest en France, est né à Jérusalem en 1978. Il possède aujourd’hui treize restaurants entre Jérusalem, Londres et Paris. Son restaurant Shabour vient de remporter sa première étoile. Son plat emblématique L’œuf haminados, un œuf mollet imprégné de thé noir et de gingembre. Parmi ses nombreuses adresses Le Shabour à Paris : www.restaurantshabour.com Le Palomar à Londres : www. thepalomar.co.uk/food Machneyuda à Jerusalem: www.machneyuda.co.il Ce qu’il dit « Les uns aux fourneaux, les autres à la four- chette mais ensemble. Tous complices, conni- vents, réunis dans le même élan à vivre, parler, rire, profiter et, bien sûr, manger. » MEIR ADONI Né à Eilat en 1973 dans une famille maro- caine, ce qui a considérablement influencé sa cuisine. Sa base : la tradition, qu’il aime interpréter et revisiter. Il est aujourd’hui à la tête de quatre restaurants entre New York, Berlin et Tel Aviv. Son plat emblématique Le carpaccio d’aubergines, une assiette servie avec des dattes, du tahini, des pistaches, des pétales de rose, du fromage feta. Ses adresses www.chefadoni.com Ce qu’il dit « La cuisine israélienne a été découverte ces dernières années et est devenue une tendance culinaire en vogue sur la scène culinaire in- ternationale. Notre cuisine est accueillie avec enthousiasme, passion et avec une grande curiosité. Cela ne semble que le début et que beaucoup dans le monde sont curieux de dé- couvrir ses secrets. » ® WWW.INSTAGRAM.COM/BALAGAN_PARIS 17 16 L’ENQUÊTE MARS -J U IN 202 1 LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 06

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