CIG Magazine N°05

LA CHRONIQUE DU RABBIN LE JUDAÏSME FACE AUX CONVERSIONS La fête de Chavouot est essentiellement marquée par la lecture du livre de Ruth. Cette lecture, pendant la fête du don de la Torah , constitue l’un des fondements de la pensée juive. II est remarquable de signaler que Ruth, la première convertie, est l’ar- rière-grand-mère du roi David et qu’elle est à l’origine de la lignée royale légitime. Plus encore, c’est de la descendance de Ruth qu’apparaîtra le Messie, objet de notre at- tente. Pour bien comprendre ce paradoxe, il est intéressant de se pencher sur l’approche du judaïsme face aux conversions. Dans le Talmud, on discerne, à première vue, deux courants opposés, l’un favorable aux conversions, l’autre qui les réprouve. Traitons tout d’abord du courant favorable. «Quiconque amène un païen à la connaissance de D.ieu sera considéré comme s’ il l’avait créé ( Béréchit rabba 8,10). » « Israël n’a été exilé que pour qu’ il s’accroisse par les prosélytes ( Pes- sa’him 87). » Certains docteurs estiment que les mérites des prosélytes sont supérieurs à ceux d’Israël. «Une même loi vous régira, vous et l’étranger domicilié. Règle absolue pour vos générations: vous et l’étranger, vous serez égaux devant l’Éternel. Même loi et même droit exis- teront pour vous et pour l’étranger habitant parmi vous ( Nombres 15,16). » Commentant ces versets, le Midrach Yalkouth Chim’oni nous livre la parabole suivante : « Le converti ressemble à une gazelle du désert qui vint se mêler au troupeau. Le berger l’aimait et la soignait plus que ses propres moutons. Quand on lui demanda, pourquoi il agissait ainsi, il leur répondit: ‹Pour élever mes brebis, il m’a fallu beaucoup de peine. Or, celle-là, qui est venue d’elle-même, ne devrais-je pas l’aimer ?› Les enfants d’Israël, je les ai fait sortir d’Égypte, je leur ai procuré l’eau dans le désert, je leur ai fourni la manne, je les ai entourés de colonnes de nuées jusqu’au moment où il re- çurent la Torah . » Ce Midrach , comme bien d’autres, témoigne de l’approche positive que le judaïsme adopte vis-à-vis des conver- sions sincères. L’élection d’Israël n’est pas une exclusivité. La voie menant vers D.ieu est ouverte à tous. Rech Laquich dit : « Le converti est aimé par le Saint-Béni-Soit-Il plus que ne le sont ceux qui ont reçu la Torah sur le Mont Sinaï. Ce converti n’a pas été témoin des miracles opérés en faveur d’Israël et, malgré cela, il a pris sur lui le joug de la Torah et des mitzvots. Y a-t-il un homme plus aimé que celui-ci ? » Rabbi Shimon Bar Yohaï déclarait : «Des justes, il est dit, qu’ ils aiment D.ieu ; des prosélytes, que D.ieu les aime: qui donc est le plus grand ? Celui dont on dit qu’ il aime le roi ou celui dont on dit qu’ il en est aimé (Mehkhilta sur l’Exode 22,20) ? » Cette même idée est reprise par Maimonide dans la réponse qu’il a donnée à Ovadia le converti lorsqu’il lui a demandé s’il pouvait réciter le Chmoné Esré’ (Amida) et dire «Notre D.ieu et D.ieu de nos pères » vu que ses pa- rents ne descendaient pas des patriarches. A Ovadia le converti, Maimonide a adressé une longue lettre, très encourageante dont nous rapportons cet extrai t: « Tu dois réciter la prière sans aucune modification, tu dois la dire comme tout juif qui fait sa prière habituellement. C’est ainsi que tu dois faire les bénédictions et prier. Que ta prière soit publique ou privée, que tu sois ministre-officiant ou non. Le converti est le disciple d’Abraham notre père. Il n’y a aucune différence entre toi et nous. Tes origines sont supérieures aux nôtres. Nous, nous nous rattachons aux patriarches Abraham, Isaac et Jacob et toi, tu te rattaches à celui qui a créé le monde, il n’y a absolument aucune différence entre toi et nous. » En effet, l’élévation spirituelle ne dépend que de la volonté de tout un chacun, comme cela ressort du Midrach ( Midrach Rabba, section Bo ) où Rabbi Méïr dit qu’une personne même non-juive qui étudie la Torah est considérée comme un grand prêtre. Il se base sur le ver- set ( Lévitique 18,5) : « Adam accomplira mes commandements pour vivre. » Il parle d’Adam (un homme) et non spécifiquement d’un juif. Mais le caractère universel du judaïsme apparaît surtout dans la Michna Guérim où il est écrit : « Le prophète Elie dit : ‹Je prends à témoin les cieux et la terre que ce soit un juif ou un non-juif ; que ce soit un homme ou une femme... Tous peuvent avoir droit à la révélation divine.› C’est d’ailleurs la raison pour laquelle D.ieu choisit le désert pour don- ner la Torah . Ceci pour nous enseigner que la Torah ne peut être acquise que par celui qui, tel le désert, reste ouvert à tous. » Abordons ici le courant défavorable à la conversion. Il faut savoir distinguer entre la propagande religieuse active et l’attitude passive des rabbins qui se contentent d’ac- cueillir favorablement les prosélytes sincères lorsqu’ils s’adressent à eux. Cette réserve rabbinique est déjà exprimée par certains textes qui désapprouvent les conversions et montrent de la défiance à l’égard de conver- tis. Ainsi, l’un des Amoraïm (l’un des Maîtres du Talmud ) exprima son rejet des prosélytes en affirmant : « Les convertis sont aussi durs pour Israël qu’une blessure ( Yébamot , 47b). Les malheurs s’accumulent sur ceux qui font des prosélytes ( Yébamot , 48b). » La contradiction entre les positions des uns et des autres n’est cependant qu’apparente. Le judaïsme accepte avec plaisir les conversions désintéressées, déterminées par une véritable vocation re- ligieuse. Mais il condamne celles qui sont fondées sur des mobiles purement intéressés. LA CONVERSION N’EST PAS UNE FORMALITÉ QUE L’ON ACCOMPLIT. ELLE DOIT ÊTRE, POUR CELUI QUI S’Y ENGAGE, UNE SOURCE D’ÉPANOUISSEMENT ET NON UN JOUG INTOLÉRABLE À SUPPORTER. POUR CELA, IL EST IMPÉRATIF DE PRENDRE SON TEMPS, D’ÉTUDIER AFIN DE POUVOIR POSER UN ACTE DÉLIBÉRÉ ET SURTOUT DE FAIRE UN CHOIX ÉCLAIRÉ. 8 LA CHRONIQUE DU RABBIN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 05

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