CIG_JOURNAL_N°3_FLIPBOOK

LA CHRONIQUE DU RABBIN TRANSPLANTATIONS D’ORGANES : QUE DIT LA LOI JUIVE ? Les progrès réalisés dans la recherche médicale, au cours de la fin du siècle dernier, ont conduit à la multiplication des greffes et des transplantations d’organes. De la greffe de la cornée ou de la peau, les chercheurs sont parvenus à transplanter des reins, puis des cœurs. Les greffes de poumons ou de pancréas sont, quant à elles, toujours en cours d’exploration. Certaines de ces transplantations sont aujourd’hui au point et prolongent la vie des opérés. D’autres, même si elles dépassent le stade expérimental, conservent un taux de réussite bas. Toutes soulèvent des problèmes d’ordre éthique et halakhique pour le donneur (mort ou vivant) ainsi que pour le receveur. Les donneurs d’organes toujours en vie ont-ils le droit de s’exposer au danger (suite à l’intervention chirurgicale) pour sauver la vie d’autrui ? Avons-nous le droit de prélever un organe sur un malade dans le coma dont la mort n’est pas encore médicalement effective ? Par ailleurs, avons-nous le droit de greffer sur un malade un viscère qui pourrait peut-être prolonger son existence, mais risque de provoquer la mort au cours de l’opération ou dans la phase post-opératoire? Qu’en estil du Nivoul Hamet (enlaidissement du corps humain) ? A-t-on le droit de tirer profit d’une dépouille mortelle (Issour Hanaa) ? Les problèmes d’éthique médicale ont de tout temps interpellé les penseurs juifs, dont certains étaient eux-mêmes médecins. Partant des textes bibliques, la tradition orale a, au cours des siècles, cherché des réponses aux problèmes nouveaux que présentait l’avancée médicale. La Halakha (littéralement la « loi en cheminement »), à travers la littérature talmudique et les responsa rabbiniques qui la maintiennent, nous enseignent la voie à suivre dans tous les domaines de l’existence. Il est donc évident que les récentes découvertes, et en particulier les transplantations, ont donné naissance à des centaines d’ouvrages, articles et mémoires. Elles ont même été à l’origine de divers périodiques telle que la Halkha Ourphoua (Loi rabbinique et médecine), Assia et d’autres, sans parler de centaines de responsa par les penseurs les plus éminents consultés à ce sujet. Toute cette littérature permet au public scientifique et aux lecteurs intéressés de comparer la position de l’éthique médicale à celles des décisionnaires du judaïsme. La Halakha étant par définition évolutive, le progrès des recherches peut amener des changements dans les réponses des penseurs consultés ! Ainsi, une transplantation à l’origine interdite par les législateurs juifs, car considérée trop risquée, peut aujourd’hui être admise quasiment à l’unanimité. Les décisions rabbiniques peuvent donc changer en fonction de l’évolution scientifique et technique. Les greffes d’organes sont liées, pour le législateur juif, à certains principes de base : • La vie humaine est sacrée et chaque instant de l’existence est aussi précieux que de longues années de vie. Il est donc interdit de provoquer ou de hâter la fin d’un être humain, ne serait-ce que pour abréger ses souffrances, ou pour se servir d’une partie de son corps en vue de sauver un autre malade. C’est ce que le judaïsme appelle Khayé Shaa (vie momentanée). • Le corps humain conserve son caractère sacré même après le décès. La loi interdit donc toute manipulation de cadavre, comme l’autopsie ou les prélèvements d’organes (pour stockage). C’est l’interdiction de Nivoul Hamet (dégradation physique du corps humain). • Lorsque la vie d’un être humain est en danger, beaucoup d’interdits sont levés. Ainsi, nous avons le droit (et même le devoir) de transgresser le chabbat pour sauver une vie humaine, même si le danger de mort n’est pas absolument évident. C’est ce que la loi nomme Pikoua’kh Nefesh. La Torah autorise et ordonne la transgression de tous les interdits religieux (hormis l’idolâtrie, la débauche et le meurtre) pour sauver une personne en danger de mort. Préserver une vie humaine a donc la priorité sur le caractère sacré du corps humain. Aussi, la loi autorise-t-elle exceptionnellement le prélèvement d’un organe sur un cadavre pour le greffer sur un malade en danger. L’argument de Pikoua’kh Nefesh pour une greffe de la cornée et de la peau peut être évoqué, car à certains égards, une personne frappée de cécité peut être considérée comme morte. Rabbi Yehezkkel Landau (auteur des responsa rabbiniques Noda Bihouda) rapporte que la transgression destinée à sauver un être humain de la mort n’est acceptable que dans le cas où le danger est imminent et se déroule sous nos yeux, comme pour le cas d’une noyade durant le chabbat. Mais si la personne en danger n’est pas en contact direct et immédiat avec nous, tous les interdits doivent être respectés. Néanmoins, le Hazon Ish (autorité religieuse suprême du siècle dernier) souligne qu’à notre époque 6 LA CHRONIQUE DU RABBIN LE MAGA Z INE DE L A C I G N ° 03

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