L'ENQUÊTE LAÏCITÉ DANS LA CITÉ DE CALVIN : OÙ EN EST-ON ? En février 2019, un débat s’ouvre à Genève. Il divise partis politiques et citoyens genevois. L’article 3 alinéa 4 de la loi sur la laïcité de l’Etat (LLE), interdisant notamment le port de signes religieux par les élus politiques membres du législatif, est-il contraire à la constitution suisse ? Si cette question a cristallisé tant de tensions, c’est parce qu’elle ouvre un débat plus profond sur la définition de la laïcité genevoise à l’aune du principe de neutralité de l’Etat. Enquête. Avec ses 40% de résidents d’origine étrangère, Genève est la ville la plus cosmopolite du pays. La cité de Calvin n’abrite pas moins de 400 communautés religieuses différentes. Alors qu’en Suisse, l’organisation des relations entre religions et État n’est pas du ressort de la Confédération, les cantons sont très directement confrontés à la question du vivre ensemble. « Le principal sujet qui a occupé les cantons suisses depuis le XVIe siècle et la Réforme est de savoir comment permettre la coexistence religieuse, explique Sarah Scholl, maître assistante à la Faculté de théologie à l’UNIGE. Au XIXe siècle, les catholiques et les protestants, puis les juifs, obtiennent la liberté de s’établir où ils le souhaitent dans la Confédération. Il faut alors organiser cette diversité, continue-t-elle. La laïcité est l’une des alternatives : il s’agit de mettre en place la neutralité des institutions publiques en matière religieuse par la séparation de l’Eglise et de l’Etat. » Et de préciser : « La Constitution suisse garantit à partir de 1874 la laïcité de l’école et de l’Etat civil par exemple, mais n’empêche pas les cantons d’avoir des liens avec les communautés religieuses et de les financer. » NEUTRALITÉ DE L’ÉTAT ET LIBERTÉ DES CANTONS «Au nom de Dieu tout-puissant ! » : ce sont les premiers mots du préambule de la Constitution fédérale de 1999, dont le texte garantit pour autant la liberté de conscience et de croyance. L’article 72 précise que « La réglementation des rapports entre l’Eglise et l’Etat est du ressort des cantons. » Cela entraîne une variété de situations, avec des pratiques différentes d’un canton à l’autre. Deux cantons se définissent aujourd’hui comme laïcs : Genève et Neuchâtel. Depuis 1907, la société genevoise s’organise autour de la séparation de l’Eglise et de l’Etat afin de mettre fin au conflit du Kulturkampf entre les anticléricaux, les protestants et les catholiques. Une solution de paix, nommée aujourd’hui « laïcité ». Si en France, elle s’impose comme un principe constitutionnel fort, issu de la révolution de 1789 et séparant clairement l’Eglise de l’Etat, notamment pour contrer l’influence de la religion dans les institutions de la République, à Genève, elle a été établie pour éviter de prendre parti afin d’assurer un traitement égal pour tous : « La laïcité, dans son histoire et sa définition même, est la renonciation de l’Etat à régir les convictions et comportements religieux des Genevoises et Genevois », précise Sandra Scholl. Neutre donc. Mais à quel point ? C’est cette question qui alimente le débat. Jusqu’en novembre 2019, à Genève, l’article 3 alinéa 4 de la loi sur la laïcité de l’Etat interdisait le port de signes religieux aux élus et fonctionnaires en ces termes « Lorsqu’ ils siègent en séance plénière, ou lors de représentations officielles, les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s’abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs ». Cette disposition, non prévue initialement dans le projet de loi (voir encadré) a été l’un des principaux points de critiques durant les débats précédant le vote de février 2019 pour l’adoption de la LLE. Pour les partis de gauche (Parti socialiste, Ensemble à gauche, Parti du travail, SolidaritéS, Verts… ), les partis chrétiens (le Parti évangélique au centregauche et l’Union démocratique fédérale à droite), certains syndicats et associations, elle allait à l’encontre de la liberté de culte et de l’égalité des Genevois. LES DATES-CLÉS 1907 : La séparation entre l’Eglise et l’Etat est adoptée par le canton de Genève. 1945 : Une loi autorise le Conseil d’Etat (gouvernement cantonal) à percevoir une contribution ecclésiastique volontaire pour le compte de l’Eglise nationale protestante, de l’Eglise catholique romaine et de l’Eglise catholique chrétienne. 2013 : Entrée en vigueur de la nouvelle Constitution de la République et canton de Genève qui comporte un article 3 sur la laïcité, composé de trois brefs alinéas. 2015 : Le Conseil d’Etat dépose devant le Grand Conseil un projet de loi. S’ensuivent deux années de traitement en commission des droits de l’homme du parlement cantonal. 2018 : Un projet de loi est discuté au Grand Conseil. La plupart des amendements proposés sont rejetés par une majorité de députés. 23 mars 2018 : une disposition non prévue (alinéa 4) est ajoutée à l’article 3 du projet de loi. Il suscite de nombreux débats. 10 février 2019 : La loi sur la laïcité de l’Etat est adoptée par une majorité controversée (à cause du faible taux de participation) de 55,1%. Novembre 2019 : L’alinéa 4 de l’article 3 est annulé par la chambre Constitutionnelle, du fait qu’il viole la liberté religieuse. LA SOCIÉTÉ GENEVOISE S’ORGANISE AUTOUR DE LA SÉPARATION DE L’ÉGLISE ET DE L’ÉTAT DEPUIS 1907. 11 MARS -MA I 2020
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