CIG Magazine N°02

L’ENTRETIEN ORA SOUDRY, DANS L’INTIMITÉ DU MIKVÉ Sa discrétion rivalise avec sa bienveillance. Depuis 2013, Ora Soudry, regard limpide, geste tranquille et verbe retenu, reçoit les femmes de la Communauté Israélite de Genève au mikvé de la Maison Juive Du- mas. Créé à l’initiative du Rav Dayan et de son épouse et grâce à la générosité d’un précieux donateur, le mikvé du 21, avenue Dumas accueille en moyenne une visite par jour depuis sa rénovation en 2018. De plus en plus fréquenté, ce centre névralgique de la communauté n’en demeure pas moins un lieu de paix, où les mots mesurés de la ba- lanit, teintés d’accent israélien, résonnent. Rencontre dans l’intimité du mikvé avec celle qui l’entretient au quotidien. CIGMagazine : Quel parcours vous a conduit à vous occuper du mikvé ? Ora Soudry : Je suis née en Israël, mais je suis arrivée à Genève il y a 35 ans. Au fil des années, je me suis de plus en plus en- gagée dans les activités de la communauté, en devenant éducatrice au Gan Yéladim d’abord, et en faisant de plus en plus de bénévolat. J’ai continué quand le mikvé a été créé, en 2013. Considérez-vous votre activité comme un travail ou s’agit-il d’une vocation ? Accueillir les femmes au mikvé est un véri- table travail, qui nécessite une disponibilité totale. Vivant désormais seule, sans enfant à la maison, je peux m’accommoder des horaires d’accueil variés qui divergent en hiver et en été. Mais pour assurer ce plein engagement, pour s’investir totalement, il faut avoir une véritable vocation. En quoi consiste ce travail ? Deux fois par mois, je réalise un grand net- toyage, en vidant notamment le bassin. Tous les jours, avant chaque visite, je veille à ar- river en avance afin de pouvoir accueillir parfaitement les femmes qui ont pris ren- dez-vous. L’autre part de mon métier, c’est l’accompagnement, l’écoute et l’accueil. On me pose beaucoup de questions par rapport à la Halakha. Pour y répondre, je dérange parfois le Grand Rabbin Dayan tard dans la nuit ! Il est toujours disponible pour moi et pour les femmes du mikvé. Qui sont ces femmes qui se rendent au mikvé ? Le mikvé est fréquenté par tout type de femmes, qu’elles soient des habituées, de jeunes mariées, des converties, des touristes qui sont informées grâce au site Internet de la CIG… Certaines dames viennent tous les mois, de manière très fidèle ! Quelques-unes sont très religieuses, d’autres ne suivent pas la cacheroute et n’observent pas le chabbat, mais elles se rendent au mikvé par conviction. J’accueille des femmes modernes, actives, qui viennent parfois le soir après le travail ou tard dans la nuit après une garde ! S’agit-il toujours d’un choix ? Oui, dans la grande majorité des cas, se rendre au mikvé est un véritable choix des femmes. Les femmes enceintes, particulièrement, veulent faire cette mitsva. Elles viennent se purifier au neuvième mois de grossesse afin d’avoir un accouchement facile et un bébé en bonne santé. En accompagnant les femmes dans leur bain rituel, vous entrez dans leur intimité, et dans celle de leur couple, parfois. Au fil des années, j’ai appris à connaître les femmes qui viennent régulièrement. J’ai dé- veloppé avec elles une relation particulière, presque familiale. Par la force des choses, j’entre dans leur intimité. Mais ce dont on parle est extrêmement confidentiel. Ce qui se passe au mikvé reste au mikvé. Quels sont les bienfaits d’un bain rituel ? La purification au mikvé marque la fin de la séparation du couple pendant la période de sept jours qui suit les menstruations. Cet éloignement ravive le désir de se retrouver. J’utilise souvent cette comparaison : quand on mange tous les jours du chocolat, on est écœuré. Si une femme est toujours permise à son époux, l’habitude s’installe. En étant une femme et une sœur par moments, le couple s’épanouit, devient plus fort, s’ins- talle dans la durée. Le mikvé réconcilie sexualité et spiritualité? Absolument ! Le bain au mikvé marque les retrouvailles avec l’époux. C’est aussi une expérience spirituelle. Les prières y sont souvent entendues. Une dame m’expliquait que son fils, pendant la guerre du Liban, a subi une attaque terroriste. Au même mo- ment, elle priait au mikvé. La balle est passée devant lui. Beaucoup de femmes qui ont des difficultés à tomber enceintes viennent se purifier et prier au mikvé. Souvent, leur sou- hait est exaucé. D’ailleurs, je suis parfois la première à savoir qui attend un enfant dans la communauté ! Quelles sont les qualités nécessaires à une balanit ? Beaucoup de patience et de compréhension ! Cette purification ne doit pas devenir une contrainte, mais être un plaisir. J’aime assurer la tranquillité des personnes qui viennent au mikvé, leur donner du temps et en prendre soin. Une femme qui se rend au mikvé doit être dans la paix, pas dans l’angoisse. Enfin, la discrétion est la qualité maîtresse : tout ce que les femmes me racontent, je le jette dans l’eau. Avez-vous conscience d’être une person- nalité centrale de la CIG? Non ! Je fais cela très naturellement. Je n’y prête pas attention. Je me soucie seulement du bien-être des femmes que je reçois. J’ai la chance de m’occuper de deux mitsvot : les rites de pureté familiale, au mikvé de l’avenue Dumas, et la purification des dé- funts, au cimetière de Veyrier. J’ai vraiment beaucoup de chance. Emilie Cailleux 9 OC TOBRE 201 9 -JANV I ER 2020

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