CIG Magazine N°01

L’ENTRETIEN DAVID FOENKINOS À LA CIG SUR LES TRACES DE CHARLOTTE SALOMON Pour son plus grand succès, David Foenkinos s’est inspiré de la biographie de Charlotte Salomon, née en 1917 à Berlin, et morte à Auschwitz alors qu’elle n’avait que 26 ans. Ce roman écrit en prose poétique plonge le lecteur dans l’univers de la peintre alle- mande. Son œuvre picturale autobiogra- phique est comme un testament. Quant au livre Charlotte , il est le récit d’une quête. Celle d’un écrivain hanté par une artiste, et qui va enquêter sur son parcours et sur sa vie. Rencontre avec David Foenkinos, après sa conférence à la Maison Juive Dumas en février dernier. CIG Magazine : Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie irrépressible de raconter la vie de cette peintre oubliée ? David Foenkinos : J’ai ressenti comme un coup de foudre lorsque j’ai découvert les dessins autobiographiques de Charlotte Sa- lomon. Ils racontent sa vie et sa souffrance. Elle était tout ce que j’attendais. Comme une rencontre amoureuse qui semblait déjà exister en moi... J’ai ressenti une fascination absolue pour son œuvre, sa modernité, sa culture. Et la tristesse de voir à quel point elle était oubliée. Son rapport à la mort et à la résurrection sont des catalyseurs de sa vocation. Cela fait écho à votre propre destin ? Oui, c’est vrai. J’ai touché la mort de près lorsque j’avais 15 ans, et je suis revenu à la vie (ndlr : il a souffert d’une maladie cardiaque dont l’opération l’a retenu plusieurs mois à l’hôpital et qui l’a poussé à dévorer les livres). C’est cette expérience qui m’a fait découvrir ma vocation pour l’écriture et insufflé cette pulsion créatrice. De la même façon, la vie de Charlotte Salomon est marquée par la mort (ndlr : par les suicides de sa tante, de sa mère et de sa grand-mère). J’ai été fasciné par la façon avec laquelle elle a transformé cette expérience en une création pleine de vie. Et puis elle a écrit : « Il faut être mort une fois pour aimer véritablement ». D’ailleurs, son amour, Alfred, est souvent représenté dans son œuvre. Oui, elle est tombée amoureuse d’Alfred Wolfsohn, le professeur de chant de sa belle- mère. Elle le dessine souvent dans le récit pictural autobiographique de son existence, intitulé « Vie ? ou Théâtre ? » . Un récit tridi- mensionnel: textes et peintures qu’elle as- socie d’ailleurs à des morceaux de musique, comme pour rendre hommage à son mentor. Avec la montée du nazisme, la famille Sa- lomon se retrouve au ban de la société... Charlotte Salomon naît à Berlin dans une famille bourgeoise juive laïque. Elle étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Berlin mais on refuse de lui donner le premier prix d’un concours d’art à cause de ses origines juives et doit interrompre ses études. Charlotte souffre d’antisémitisme et finit par être exclue de toutes les sphères de la société allemande (école, piscine, cafés... ). C’est une progres- sion dans l’horreur. Mais c’est surtout que les Salomon se sentaient Allemands avant tout et ne pouvaient pas imaginer que le pire serait à venir. Ils ont fait partie des derniers à comprendre l’horreur. Ils ont été trop op- timistes malheureusement. Charlotte réussi à s’exiler avec ses grands-pa- rents à Villefranche-sur-Mer, en France. Vous êtes allé jusqu’à enquêter sur place ? Je suis allé de nombreuses fois sur ses traces voir la maison d’Ottilie Moore, la riche amé- ricaine d’origine allemande qui l’a accueillie et fut son mécène. Pas forcément pour y découvrir des éléments. Simplement pour l’idée qu’on peut rencontrer une âme en al- lant sur ses traces. Je raconte dans mon livre tous ces signes de l’intuition de connaître déjà quelqu’un. Vous avez même rencontré un descendant du collaborateur français qui a dénoncé Charlotte. Oui, et l’héritage de salaud n’est pas facile à porter non plus. Ce fut une horreur absolue pour Charlotte. Elle a fini par être déportée à Auschwitz. Trois semaines d’une agonie atroce... Elle y a péri à 26 ans, alors qu’elle était enceinte de 5 mois.... Cette obsession quasi mystique vous a mené à la consécration en 2014 à la sortie du livre. Grâce à vous, Charlotte Salomon est enfin reconnue ? Oui, c’est la plus belle chose que j’ai pu vivre. Mettre en lumière cette femme qui me fasci- nait. Et continuer à faire connaître son œuvre pour entretenir un lien entre les générations passées et la nôtre était important pour moi. Il y a eu surtout une grande exposition à Nice, là où elle avait été arrachée à sa vie. Pour cet ouvrage vous avez reçu plusieurs prix dont le Renaudot. Lequel vous touche le plus ? Le Goncourt des lycéens est un prix majeur pour moi. Surtout pour ce livre. Je suis heu- reux que les jeunes le lisent et découvrent Charlotte. Car elle est un exemple de cou- rage et de combat. Je pense que l’éducation est le centre de tout. Elle est essentielle pour leur faire comprendre la tolérance et le respect des autres. Comment vivez-vous votre judaïcité ? C’est un lien avec une culture, une histoire, mais je ne me sens pas attaché à la religion. Votre nouveau roman Deux sœurs vient de sortir, de quoi parle-t-il ? Je voulais raconter une rupture amoureuse vraiment douloureuse. Mathilde, mon héroïne, est dévastée en perdant sa raison d’être. Elle va être recueillie chez sa sœur, dont elle ja- louse la vie. C’est un thriller psychologique, et on se demande jusqu’où va aller Mathilde... Avez-vous de nouveaux projets ? On va écrire un nouveau film avec mon frère. Une comédie sûrement. Florence Schmidt 9 J U IN-SEP TEMBRE 201 9

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